Proposition de loi de M. Ph. MONFILS modifiant la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique ; doc. n° 2 -126
Audition en commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat -
14 février 2001
L'internationalisation de nos modes de vie et conceptions et l'impact de conventions, directives, accords et recommandations de portée internationale sur l'évolution des normes et valeurs de notre époque et sur l'organisation de notre société sont une réalité que l'homme de la rue est amené à découvrir chaque jour.
Les progrès de la science médicale stimulés par la recherche mondiale ne sont qu'un aspect de l'évolution des dernières décennies: celle-ci comporte aussi l'influence accrue sur la pratique médicale de cadres de pensée économiques et juridiques se situant dans une perspective internationale.
L'audition du Conseil national de l'Ordre des médecins le mois dernier en commission de la Santé publique, de l'Environnement et du Renouveau de la société à la Chambre des représentants, sur le thème des droits du patient, et ce jour, en commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat, sur la proposition de loi modifiant la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, fait ressortir l'intrication des différents modèles qui régissent notre société.
Pour demeurer au diapason de ce qui se pense hors de nos frontières et faire entendre sa voix sur le forum international, le Conseil national de l'Ordre des médecins participe aux activités des principales organisations médicales faîtières qui se consacrent à l'éthique médicale et à la déontologie médicale.
La directive 97/55/VCE du Parlement européen et du Conseil du 6 octobre 1997 modifiant la directive 84/450/CEE sur la publicité trompeuse afin d'y inclure la publicité comparative n'a pas échappé au Conseil national. La portée de cette directive n'apparaissant pas de manière précise et les interprétations de la doctrine étant divergentes, le Conseil national n'a pas voulu la traduire immédiatement en règles de conduite pour les médecins.
L'annonce d'initiatives législatives fut un argument de plus à l'attente préconisée par le Conseil national qui ne voulait pas émettre une position qui s'avérerait par la suite contraire à la législation.
Selon un communiqué de presse, il apparaît qu'outre la proposition au sujet de laquelle le Conseil national est entendu aujourd'hui, le Conseil des ministres a approuvé sur proposition du ministre de la Justice, un avant-projet de loi concernant les professions libérales. Il importe de noter que l'article 5 de cet avant-projet prévoit que le Roi peut, sur proposition des autorités disciplinaires, interdire ou limiter la publicité comparative pour les professions libérales et que la proposition de loi déposée par le sénateur Monfils exclut de l’application de la section 1 du chapitre II de la loi du 5 août 1991, les règles restrictives de concurrence dictées par la défense de l'intérêt général à condition qu'elles aient été élaborées par un ordre professionnel et que le Roi ait préalablement déterminé les règles de fonctionnement de la profession qui sont considérées comme relevant de l'intérêt général.
Pour cette audition, nous avons dressé un inventaire des règles déontologiques actuellement prônées par l'Ordre des médecins sur le plan de la concurrence et en particulier de la publicité, dont nous cernerons la motivation pour chacune d'entre elles.
L'Ordre ne connaît pas de règles restrictives en matière d'établissement. En principe, tout médecin peut s'établir là où il l'entend. Ce principe souffre toutefois de quelques exceptions comme les limites à l'établissement après avoir remplacé un confrère malade ou comme l'interdiction d'établissement limitée dans le temps après un stage sauf accord du maître de stage, car il s'est avéré que dans le cas contraire, il se creuserait un déficit en lieux d'établissements, ce qui entraînerait des conséquences très graves pour la collectivité. La dispersion des activités médicales en différents endroits est aussi soumise à des limitations, encore qu'il n'y ait pas de règles générales en la matière. Un conseil provincial peut examiner chaque situation en particulier et examiner si la dispersion est contraire aux intérêts des patients et à la continuité des soins. On peut penser que des considérations protectionnistes pourraient jouer un rôle dans la décision au niveau provincial, mais il ne peut être douté des conseils d'appel qui se composent de cinq magistrats dont le président et de cinq médecins, un par province.
L'annonce de l'établissement nous conduit au chapitre de la publicité. En matière disciplinaire, les problèmes rencontrés concernent surtout la publicité trompeuse. Une règle importante à cet égard est que le médecin ne peut faire état d'une compétence qu'il n'a pas. Un autre aspect complexe du sujet est celui de la limite entre publicité et information du grand public via la presse, la radio, la télévision et à présent, l'internet. L'information du public doit se faire sans publicité directe du médecin pour son propre cabinet ou pour l'institution à laquelle il est attaché. Beaucoup de plaintes auprès des conseils provinciaux y ont trait, mais il s'agit généralement de publicité trompeuse ou d'informations scientifiquement inexactes, de compétences ou d'un monopole allégués en contradiction avec la réalité.
La discrétion que commande la déontologie au médecin s'exprimant en public constitue un point délicat tant en ce qui concerne la forme que le contenu. En l'occurrence, la limitation ne s'adresse pas aux communications qui sont faites, mais à la façon dont elles le sont. L'appréciation de cette discrétion est en perpétuelle évolution et l'Ordre suit cette évolution: les logos étaient anciennement inconcevables; à présent, des conseils provinciaux ont leur propre logo. Tout le monde probablement admet qu'il y a des limites dans ce domaine, mais les avis peuvent diverger à propos de la frontière entre l'acceptable et l'inacceptable.
La littérature juridique fait état de l'opposition de certains ordres professionnels à la collaboration multidisciplinaire. Ce n'est certainement pas le cas de l'Ordre des médecins. Des équipes multidisciplinaires existent tant dans le secteur ambulatoire que dans les hôpitaux et aussi bien dans le secteur subsidié que dans le secteur libre. L'Ordre ne voit pas d'inconvénients à ce mode de fonctionnement ni à ce que s'il se manifeste comme tel à l'extérieur. Cette collaboration peut être utile à la patientèle et il va sans dire que cela peut être rendu public. On notera d'ailleurs que l'Ordre des médecins soutient le libre choix du patient, ainsi que la liberté diagnostique et thérapeutique pour autant qu'elle ne favorise pas des abus et respecte la législation et la réglementation en vigueur.
On lit aussi que les ordres professionnels peuvent promouvoir des mesures restrictives de la concurrence en s'ingérant de trop près dans les questions d'honoraires. La plupart des tarifs conventionnels dans le secteur médical sont le fruit de négociations entre les mutualités et les syndicats médicaux agréés. L'on n'a même pas prévu un poste d'observateur pour l'Ordre lors de ces négociations.
La publicité autour de ce que l'on appelle crûment "le prix" des soins de santé constitue un aspect particulier. Il faut savoir que contrairement à ce que l'on prétend depuis tant d'années, l'Ordre n'a jamais considéré comme une faute déontologique le fait de travailler même systématiquement aux tarifs de remboursement. Un médecin n'a d'ailleurs jamais été sanctionné sur ce motif. Mais l'Ordre n'admet pas qu'un médecin acquière de la clientèle en affichant qu'il soigne gratuitement. L'affirmation est trompeuse car en fait, le médecin est tout de même rétribué pour les soins qu'il a dispensés. On peut par conséquent s'interroger sur la surconsommation à laquelle conduirait une guerre des prix et sur ce que serait son coût pour la collectivité. Enfin, l'article 127, §3, de la loi Soins de santé et Indemnités interdit la publicité qui mentionne la gratuité des prestations de santé ou qui fait référence à l'intervention de l'assurance soins de santé dans le coût de ces prestations.
Un aspect de la concurrence, typique de la sphère médicale et dont on parle rarement dans le cadre de la concurrence, est celui de la relation entre le médecin référant et le médecin auquel le patient est référé. Dans l'exercice de leur profession, les médecins doivent en effet continuellement faire appel les uns aux autres, et moyennant les accords nécessaires, peuvent empêcher que certains spécialistes acquièrent une clientèle ou n'y parviennent qu'en ristournant un pourcentage encore plus élevé de leurs honoraires aux référants. L'Ordre a réussi à endiguer cette calamité qui a causé des désastres par le passé. Cet abus n'avait pas seulement un partage inéquitable des honoraires pour conséquence; il favorisait aussi la surconsommation. Il était une insulte au principe déontologique suivant lequel l'exercice de la médecine n'est pas un commerce. Pour être précis, il faut ajouter que les pratiques incriminées sont aussi interdites par la loi.
Il ressort de l'inventaire des règles déontologiques qu'elles ne sont pas limitatives de la concurrence. Les restrictions sur le plan de la publicité n'ont pas pour objet d'entraver la concurrence et ont été inspirées par des motivations qui doivent être replacées dans leur contexte historique.
Autrefois, la publicité était directement associée à la pratique du commerce. Les médecins ne sont pas des commerçants et ne sont pas ressentis comme tels par leur clientèle. Mais lorsqu'on entend par publicité, toute forme de communication faite dans le cadre d'une profession libérale dans le but direct ou indirect d'attirer plus de clientèle par une information correcte, le terme prend une signification plus large, plus nuancée et plus acceptable. A la lumière de cette définition élargie, il devient paradoxal d'interdire dans le Code de déontologie médicale la publicité directe ou indirecte et d'indiquer dans un article suivant ce qui est autorisé pour les plaques, papiers à en-tête, etc., comme s'il ne s'agissait pas de publicité.
Il est depuis longtemps établi qu'une révision de ce chapitre du Code s'impose, mais la question est de savoir par quel texte le remplacer.
Il est évident que certaines formes de publicité doivent être autorisées et d'autres pas. Au regard de la législation, on peut dire que la publicité trompeuse et la publicité comparative illicite sont inacceptables. Le public peut et doit savoir quelles sont les qualifications et les aptitudes d'un médecin au moyen d'une information essentielle, pertinente, objective et contrôlable. Cette information devrait-elle être soumise à des restrictions?
Il ne pourra être répondu non sans réticence. Il est à craindre en effet que même cette forme de publicité ne réduise les soins médicaux à un article de consommation, avec pour corollaires le shopping médical, la surconsommation et une facture colossale pour la collectivité. La publicité conduisant à la commercialisation de la médecine et à la surconsommation est inadmissible.
Le Conseil national est enclin à autoriser la publicité se bornant à une information correcte du public, pourvue de verrous quant à sa formulation, sa forme et ses modalités. Les médecins ne peuvent susciter des attentes irréalistes, car ils ne peuvent que promettre des soins optimaux, ce qui n'est pas toujours la garantie du résultat souhaité. Les patients qui cherchent désespérément une aide et voient une lueur d'espoir dans toutes espèces de communiqués, peuvent facilement être trompés par d'ingénieuses techniques d'éloge, même lorsqu'une analyse précise et littérale ne prouve pas que l'information donnée est fausse.
En tant que commission des Finances et des Affaires économiques, vous avez déjà beaucoup investi dans la protection du consommateur qui est aussi l'objectif de la directive européenne relative à la publicité, mais il serait paradoxal qu'une approche strictement économique nuise aux intérêts du consommateur malade et à l'intérêt de la santé publique. Et sur le plan budgétaire, les pots cassés risqueraient d'ailleurs de retomber sur la collectivité.
En ce qui concerne la proposition de loi Monfils, nous doutons que l'exercice de la médecine réponde à la définition de l'entreprise et que la loi sur la protection de la concurrence économique soit d'application.
Ensuite se pose la question de savoir si l'Ordre des médecins est une association d'entreprises. A cet égard, il convient de remarquer que le président du Conseil national n'est pas un médecin, qu'il établit l'ordre du jour, a la signature et peut interjeter appel de toute décision du conseil disciplinaire même s'il a besoin, pour ce faire, de la signature de l'un des deux vice-présidents.
Et si la loi sur la concurrence devait tout de même s'appliquer à l'Ordre des médecins, il apparaît que mises à part les interdictions légales, il n'y a pratiquement pas de règles restrictives de concurrence.
Cet avis annule et remplace les avis a062010, a099009, a101002 et a134003.