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Déontologie

La commercialisation de la médecine

EDITORIAL

Commercialisation de la médecine

L'éthique médicale est basée sur quelques principes fondamentaux qui ont été traduits dans le Code en règles de conduite pratiques.

Un de ces principes est formulé comme suit à l'article 10 du Code: «L'art médical ne peut en aucun cas ni d'aucune façon être pratiqué comme un commerce».

Il existe en effet une incompatibilité totale entre l'esprit commercial et une médecine honnête.

Dans un contexte commercial, il est normal d'augmenter la production, de faire de la publicité, de recevoir des pourcentages ou des commissions, de multiplier les points de vente. En un mot, de poursuivre des intérêts purement matériels.

En médecine, c'est précisément le contraire. Le patient doit pouvoir être assuré du fait, que les examens pratiqués et les traitements prescrits se limiteront à ce qui est strictement nécessaire à sa guérison.

Tout accord ou convention d'un médecin plaçant son intérêt personnel au‑dessus de celui de son patient, est donc répréhensible. Cette pratique mine la confiance du patient et peut parfois même nuire à son intégrité physique.

Aussi, la dichotomie, sous quelque forme que ce soit, et avec qui que ce soit, est toujours sévèrement condamnée.

Par dichotomie, il faut comprendre tout gain ou profit direct ou indirect que le médecin se procure à l'occasion de l'exercice de sa profession, hormis bien sûr ses honoraires réguliers.

Ces principes déontologiques ont été confirmés par la loi et la jurisprudence.
Dans un jugement du 23.12.1953 le tribunal civil d'Anvers en a fait la synthèse en ces termes lapidaires:

«L'indépendance et le désintéressement sont érigés en règles fondamentales pour l'exercice de la médecine non seulement pour garantir la dignité de la profession et la confiance dans son exercice, mais surtout pour sauvegarder les droits de chacun et en particulier le droit à l'intégrité corporelle, en vue de l'intérêt général; il s'ensuit que dans l'exercice de la médecine le respect de ces principes est d'ordre public et que les conventions qui leur portent atteinte doivent être tenues pour nulles.»

Civ. Anvers 23 décembre 1953 ‑ J.T. 1954 p. 263‑264.

On peut donc en conclure, à juste titre, que des pratiques commerciales sont contraires à la nature même de la médecine et sont dès lors condamnées tant par la déontologie que par le droit.

Il apparaît également des discussions parlementaires, qui ont précédé la constitution légale de l'Ordre des Médecins en 1938, que la lutte contre la commercialisation était déjà considérée comme l'une des missions essentielles de l'Ordre, la justice étant pratiquement impuissante en la matière.

Lorsqu'en 1947 I'Ordre a finalement pu entrer en fonction, c'est aussi ce qu'entrevoyait le Président du Conseil Supérieur de l'époque, lorsqu'il écrivait en avant‑propos du Code de 1950: «Il est indéniable que dans certains milieux la médecine est pratiquée comme un commerce. ll faudra donc réprimer ces pratiques sur le plan disciplinaire».

Les intentions combattives de l'Ordre et de son président furent cependant étouffées suite à l'annulation du Code par le Conseil d'Etat. Cette annulation a été interprétée par bon nombre de médecins comme un rejet du contenu même du Code.

Entretemps, les abus se sont multipliés. D'autant plus qu'avec la naissance de l'AMI, certaines personnes et instances visent la possibilité de tirer quelque avantage politico‑philosophique et financier de la médecine.

Lorsqu'en 1970, le conseil national a été chargé par le législateur de rédiger un nouveau Code, la lutte contre ces abus semblait bien une tâche impossible.

Finalement, le conseil national a pris la responsabilité en reprenant pour son compte un proverbe américain: «The wide extent of an unethical practice does not make it ethical».

La dispersion des pratiques antidéontologiques ne les rend pas déontologiques pour autant.

Ainsi, le système des pourcentages a été rejeté, puisque, combiné à la gratuité, il dégradait l'ensemble des soins de santé. Par ce système, ce n'est plus la compétence professionnelle des médecins ni la qualité de la médecine, et encore moins l'intérêt des malades, qui sont au centre des préoccupations, mais les intérêts matériels conjugués des institutions et des médecins.

Le conseil national n'a jamais eu la prétention de pouvoir mettre fin immédiatement à des abus qui ont cours depuis près de 40 ans. Conscient de la situation, il a cependant mis le doigt sur la plaie purulente et pris des décisions énergiques. Il est clair que l'on se trouve devant une tâche de grande envergure; c'est par un dialogue et une collaboration avec les instances concernées qu'il faudra la mener à bien.

Un exemple concret illustre bien la nécessité de ne pas laisser tomber les bras trop vite: en 1964, le Conseil Supérieur partait en guerre contre la dichotomie en général, et la dichotomie en chirurgie plus particulièrement. On a alors fait appel aux organisations professionnelles. Aujourd'hui la dichotomie en chirurgie a pratiquement disparu.

Plus récemment, un nouveau fléau a vu le jour. Ce sont les abus en biologie clinique, prenant toutes les formes imaginables d'une dichotomie manifeste ou des formes plus subtiles, telles par exemple la constitution de toutes sortes d'associations, où seul une étude approfondie des statuts et surtout la pratique peuvent faire apparaître la collusion.

Au moins deux ans avant les controverses actuelles dans la presse, I'Ordre est intervenu dans ce problème par l'envoi de circulaires du conseil national et par l'intervention au plan disciplinaire des conseils provinciaux.

Il semble que la lutte contre la commercialisation de la médecine ne soit pas près de prendre fin. Il ne faut pas s'en étonner. Shakespeare, en son temps, ne prêtait‑il pas à Hamlet les paroles suivantes: «To be honest, is to be one man pickt out of ten thousand».

Mais c'est d'une règle fondamentale qu'il s'agit, et de l'essence‑même de notre profession.

Aussi, I'Ordre est déterminé à tout mettre en oeuvre pour sauvegarder notre profession: une profession éminemment humanitaire, au service du patient.

Dr. Alex DE BRUYN
Membre du Conseil National