Traitement forcé d’un malade mental
A la différence de l'hospitalisation sous la contrainte et de l'internement, le traitement sous la contrainte n'est pas réglé par la loi en Belgique. Le Conseil national rappelle les différents points de vue à ce sujet et souligne le défaut de législation en la matière.
Avis du Conseil national :
Au cours des derniers mois, le Conseil national de l'Ordre des médecins a été contacté à plusieurs reprises à propos du traitement forcé d'un patient.
Le Conseil national rappelle dans le présent avis les différents points de vue à ce sujet.
En premier lieu, le Conseil national attire l'attention sur la distinction entre une hospitalisation sous la contrainte/un internement et un traitement forcé. La loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux et la loi du 21 avril 2007 relative à l'internement des personnes atteintes d'un trouble mental (entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2015 (Actuellement, c'est toujours la loi de défense sociale du 9 avril 1930 qui est d'application pour l'internement.)) ne règlent respectivement que l'hospitalisation sous la contrainte et l'internement. Une hospitalisation sous la contrainte ou un internement n'induit pas automatiquement un traitement sous la contrainte. La personne malade mentale ne perd pas tout droit de prendre une décision. En principe, elle conserve son droit au libre consentement tel que garanti par l'article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, dans la mesure de sa capacité de discernement. (articles 12-15 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient).
1/ Comité consultatif de bioéthique
Dans son avis du 10 mars 2003, le Comité consultatif de bioéthique émet des recommandations concernant le traitement forcé lors d'une hospitalisation sous la contrainte. Le Comité précise entre autres :
« Comme tous traitements, les traitements forcés administrés aux patients qui le refusent de façon persistante doivent répondre aux « good medical practices ». Lorsque l'on décide d'adopter des mesures de traitement forcé, le Comité estime qu'il convient de satisfaire aux critères suivants :
- Le traitement doit avoir pour but de traiter le trouble mental qui a justifié la mesure.
- Le traitement ne peut servir exclusivement les intérêts de tiers ou ne représenter qu'une solution à la situation administrative, pénale, familiale ou autre du patient.
- Le traitement doit toujours avoir aussi un intérêt thérapeutique direct pour le patient concerné.
- Le traitement doit être adapté à la gravité des symptômes physiques et psychopathologiques.
- Le psychiatre n'administrera sous contrainte, prudemment et scrupuleusement, que des soins psychiatriques correspondant aux connaissances scientifiques généralement acceptées à ce moment par la communauté de ses pairs. »
2/ Comité des ministres du Conseil de l'Europe
La recommandation Rec(2004)10 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe « concerning the protection of the human rights and dignity of persons with mental disorder » prévoit un certain nombre de critères auxquels doit répondre le traitement forcé :
« Article 18 - Critères pour le traitement involontaire
Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l'objet d'un traitement involontaire :
i. la personne est atteinte d'un trouble mental ;
ii. l'état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ;
iii. aucun autre moyen impliquant une intrusion moindre pour apporter les soins appropriés n'est disponible ;
iv. l'avis de la personne concernée a été pris en considération. ».
Dans ce cadre, il est recommandé aux gouvernements des Etats membres d'adapter leur législation et leur pratique aux lignes directrices contenues dans la Recommandation de 2004. Il leur est également recommandé de réexaminer l'allocation des ressources destinées aux services de santé mentale de façon à pouvoir répondre aux dispositions des présentes lignes directrices.
Dans la Recommandation de 2009, le Comité des ministres recommande aux gouvernements des Etats membres de se servir de la liste de contrôle figurant à l'annexe de cette recommandation pour élaborer des outils de suivi qui leur permettent de savoir dans quelle mesure ils se conforment à la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux Etats membres afin de protéger les droits de l'homme et la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux, et de leur garantir des soins adaptés.
3/ Commission fédérale « Droits du patient »
La Commission fédérale « Droits du patient » a formulé la conclusion suivante dans son avis du 18 mars 2011 relatif à l'application de l'article 8 de la loi relative aux droits du patient dans le secteur des soins de santé mentale ou au droit du patient au consentement préalable, libre et éclairé, à toute intervention du praticien professionnel :
« Il arrive, dans le secteur des soins de santé mentale, que les patients psychiatriques en crise soient isolés, séparés, immobilisés ou qu'on leur administre des médicaments sous la contrainte. De telles mesures sont régulièrement mises en œuvre. Ces pratiques sont parfois appliquées au simple motif d'un ‘comportement inadmissible' ou d'une perturbation de l'ordre. Tant les patients que les prestataires de soins peuvent ainsi se trouver pris dans une spirale négative. Un traitement sous contrainte affecte toujours profondément les patients.
Se référant notamment aux Recommandations précitées du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l'Europe, à l'art. 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'art. 22 de la Constitution, la Commission fédérale Droits du patient suggère au Ministre :
1. au moyen d'une circulaire, d'attirer l'attention du secteur des soins sur la nécessité de respecter l'article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient ;
2. d'examiner l'intérêt d'établir des lignes directrices, dans la mesure de ses compétences, afin d'éviter, le cas échéant, l'usage de la contrainte dans le cadre de la dispensation des soins ;
3. d'examiner le suivi qui pourrait être donné aux Recommandations précitées du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l'Europe. »
4/ Conseil national de l'Ordre des médecins
Dans son avis du 12 mai 2007 « Traitement forcé de patients psychotiques en prison », le Conseil national a estimé que « la justification éthique du recours à une contrainte externe afin de soigner un patient psychotique sans son consentement, est triple:
1. le traitement à l'aide d'antipsychotiques rétablit la capacité décisionnelle du patient, qui a fait défaut temporairement. Le traitement instauré et l'amélioration des symptômes psychopathologiques font retrouver au patient un état mental le plaçant dans une situation plus favorable à une prise de décision autonome et à la discussion du traitement ultérieur avec le médecin traitant, ainsi que prévu par la loi relative aux droits du patient;
2. le traitement réduit le risque de violence et d'atteinte à l'intégrité physique d'autrui;
3. le traitement améliore la santé du patient. La recherche scientifique a démontré à suffisance que plus longtemps un patient activement psychotique reste sans traitement, plus le pronostic est péjoratif à long terme. ».
[Voir aussi : « Traitement antipsychotique à long terme chez les patients atteints de schizophrénie », Folia Pharmacotherapeutica, n°40, Mars 2013, 19-22]
Le Conseil national réitère que le traitement sous contrainte d'un patient psychotique interné emprisonné doit répondre aux conditions suivantes :
• un traitement sous contrainte n'est légitime que dans un cadre médical et infirmier garantissant une surveillance professionnelle suffisante du patient. Si l'établissement pénitentiaire où l'interné séjourne ne dispose pas d'un personnel suffisamment qualifié sur le plan médical et infirmier, ce patient doit être transféré dans un service psychiatrique adéquat de ou hors de la structure pénitentiaire. L'envoi en cellule d'isolement, pour des motifs d'ordre disciplinaire, des détenus psychotiques qui représentent un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, est médicalement inacceptable ;
• le traitement sous contrainte doit bénéficier à la santé de l'interné, être adapté à la gravité de son état psychiatrique, avoir comme objectif le rétablissement de sa capacité à prendre des décisions, l'amélioration des symptômes psychopathologiques, notamment le contrôle du comportement agressif ou dangereux. Dès l'amélioration de l'état psychiatrique du patient, celui-ci est informé du traitement mis en œuvre, et la procédure normale de planification du traitement est suivie;
• les seuls soins psychiatriques prodigués sous la contrainte par le psychiatre sont des soins attentifs et consciencieux, conformes aux connaissances scientifiques généralement admises par les confrères de sa spécialité;
• pour autant que possible, le psychiatre traitant informe le(s) représentant(s) du patient du traitement forcé envisagé ou entrepris;
• toutes les données concernant le traitement forcé doivent être soigneusement tenues à jour dans le dossier du patient. La mesure de traitement forcé doit être évaluée à intervalles réguliers;
• idéalement, le patient concerné devrait avoir la possibilité de consulter un praticien professionnel de son choix, pour une deuxième opinion. Cette possibilité existe en principe mais elle s'avère difficilement réalisable dans la pratique.
Le Conseil national renvoie, en ce qui concerne les personnes détenues en prison, à son avis du 19 juillet 2008 « Traitement forcé préventif de patients psychotiques en prison », qui précise : « Les données scientifiques montrent clairement que la population pénitentiaire présentant une poussée psychotique constitue un risque plus grand et entre plus souvent en considération pour un traitement d'entretien à durée indéterminée que la même population en psychiatrie régulière. Il appartient aux équipes soignantes pénitentiaires d'incorporer dans le plan de traitement des modules de stimulation de la motivation afin d'obtenir la compliance du patient. Que ce soit au sein d'un établissement pénitentiaire ou à l'extérieur, un traitement de force n'est pas permis lorsque le patient dispose de suffisamment de facultés psychiques pour recevoir l'information et consentir au traitement proposé. ».
Se référant à l'avis précité du 12 mai 2007, le Conseil national déplore que le cadre du personnel dans certains établissements pénitentiaires du pays soit à ce point réduit qu'il est impossible de répondre de manière adéquate aux besoins médicaux de base tant des détenus. Il incombe aux pouvoirs publics de remédier à cette situation et de veiller à ce que tous les établissements pénitentiaires où des détenus sont soignés, disposent d'au moins une unité spécialisée pour une prise en charge thérapeutique adéquate de ces cas.
Tant la déontologie médicale que la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus confirment que les médecins travaillant dans les établissements pénitentiaires conservent leur indépendance professionnelle et que leurs évaluations et décisions concernant la santé des détenus sont fondées uniquement sur des critères médicaux (art. 96, § 1er, de la loi). La même loi formule, en son article 88, le principe fondamental d'égalité d'accès aux soins dans et en dehors de l'institution pénitentiaire et ajoute qu'il doit être tenu compte des besoins spécifiques des détenus.
Le Conseil national maintient ce point de vue, mais souligne également la nécessité d'une initiative législative visant à désamorcer ces conflits d'intérêts. La législation belge crée certes un cadre pour l'internement ou l'hospitalisation de personnes sous la contrainte, dans l'intérêt du patient et celui de la société, mais ne permet pas leur traitement forcé tant qu'elles sont suffisamment capables de manifester leur volonté. Excepté l'état de nécessité justifiant un traitement forcé, et contrairement aux Pays-Bas ou à la France, un dispositif légal à cette fin n'existe pas en Belgique.