Loi du 21 avril 2007 relative à l'internement des personnes atteintes d'un trouble mental
Avis sur la loi du 21 avril 2007 relative à l'internement des personnes atteintes d'un trouble mental.
La loi a été publiée au Moniteur belge du 13 juillet 2007, mais n'est pas encore entrée en vigueur en décembre 2010 et doit manifestement être soumise à révision.
1. Elle se situe dans le prolongement des lois des 9 avril 1930 et 1er juillet 1964 sur la défense sociale et poursuit un double objectif : « Il s'agira à la fois de protéger la société tout en assurant un soutien thérapeutique adapté aux auteurs de crime ou délits qui souffrent d'un trouble mental ayant altéré de manière grave leur capacité de discernement et qui représentent un danger pour la société ».
Dans le présent avis, le Conseil national s'intéresse surtout aux implications déontologiques de l'expertise psychiatrique et de l'exécution de l'internement en vue du traitement du délinquant atteint d'un trouble psychiatrique.
2. La nouvelle loi comprend 156 articles tandis que la loi précédente, du 1er juillet 1964, n'en comptait que 32.
Le titre III « De la phase judiciaire de l'internement » a conservé une ampleur modérée (12 articles) mais le titre IV « De l'exécution des décisions judiciaires d'internement » par les tribunaux de l'application des peines (TAP) s'est considérablement allongé (65 articles). Cette partie est extrêmement détaillée et a pour objectif légitime la protection de la société et de l'intérêt des victimes, mais elle est en différents endroits si détaillée et contraignante que la qualité des soins dispensés à la personne internée « en vue de sa réinsertion dans la société » (article 2) s'en trouve manifestement compromise.
Le Conseil national estime qu'il conviendra de simplifier et d'assouplir quelque peu ces dispositions lors d'une révision de la loi.
3. La procédure de désignation de l'expert et la nouvelle formulation des questions qui lui sont soumises ne posent pas de problèmes sur le plan déontologique. Les questions sont plus précises, mieux définies qu'auparavant et conformes à l'état actuel de la science. Le Conseil national adhère entièrement à l'article 5, § 2, qui prévoit l'agrément des experts par le ministre compétent pour la Santé publique, et au § 3, qui prescrit à l'expert de rédiger un « rapport circonstancié, conformément au modèle fixé par le Roi ». Dans des avis antérieurs (notamment un avis du 30 octobre 1999 [1]), le Conseil national avait déjà mis l'accent sur l'importance du statut, de la formation et de l'enregistrement des experts judiciaires, ce qui bénéficiera à la qualité du rapport effectué. Il conviendrait que l'autorité mette rapidement en œuvre cet article, de préférence en concertation avec le groupe professionnel.
L'article 5, § 4, dispose que la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient s'applique à l'expertise psychiatrique, excepté l'article 6 (le libre choix du médecin). Une deuxième exception doit être prévue concernant le droit de consultation du dossier d'expertise par le patient. La Commission fédérale « Droits du patient » a adopté un avis à ce sujet [2]. Le Conseil national s'est rallié à ce point de vue dans son avis du 26 juin 2010, précisant que « c'est au procureur du Roi, au juge d'instruction ou au juge du fond, selon le cas en fonction du stade de la procédure, qu'il revient de permettre l'accès au dossier médical tenu par le médecin expert [3]». Cette dernière exception s'applique exclusivement aux missions d'expertise dans la procédure pénale et non dans la procédure civile.
4. L'article 6 prévoit la possibilité d'une expertise psychiatrique avec mise en observation dans la section psychiatrique de la prison. Cette possibilité existait déjà sous le régime de la précédente loi mais ne pouvait jamais être exécutée parce que les annexes psychiatriques des prisons n'étaient pas équipées à cette fin, et elles ne le sont toujours pas. L'arrêté royal du 19 avril 1999 portant création et érection en établissement scientifique de l'Etat du Centre pénitentiaire de recherche et d'observation clinique (CPROC) devait permettre la mise en observation prévue par la loi [4]. Ce centre n'a jamais vu le jour de sorte que l'article 6 reste lettre morte. La création du CPROC comblerait une lacune importante et favoriserait la qualité de l'expertise psychiatrique dans les cas difficiles. Si le CPROC n'est pas créé, l'article 6 peut être retiré.
5. Les tribunaux de l'application des peines (TAP) sont désormais compétents pour toutes les décisions relatives à l'exécution d'un internement. Ils remplaceront donc les actuelles commissions de défense sociale (CDS).
En soi, cela ne pose pas de problème, toutefois sous l'importante réserve suivante : un psychiatre siège dans la CDS, mais ce n'est pas prévu pour les TAP. Le Conseil national estime que c'est une lacune qui jouera au détriment de la qualité du fonctionnement du TAP, lequel devra statuer à propos de patients psychiatriques délinquants en traitement.
Il serait souhaitable de mettre en place au sein du TAP une chambre spéciale pour l'internement spécifiquement composée en fonction de cette matière. L'internement n'est pas, à proprement parler, une peine mais une mesure de protection.
6. L'analyse de l'abondant volet « exécution » de la loi montre que des considérations juridiques l'emportent sur les nécessités thérapeutiques. La rigidité du dispositif légal est en porte-à-faux avec la nécessaire flexibilité de l'action thérapeutique.
Plusieurs articles représentent un pas en arrière par rapport à la loi de 1964 :
L'article 19 limite les possibilités de congé à « sept jours au maximum par mois » alors que la pratique à l'heure actuelle enseigne que des périodes plus longues sont souvent indiquées du point de vue thérapeutique. Il conviendrait d'abandonner cette restriction de délai.
Suivant l'article 25, l'interné ne peut plus bénéficier d'une libération à l'essai immédiate et d'autres modalités d'internement doivent d'abord être appliquées même si, du point de vue thérapeutique, elles sont superflues ou dépassées. A l'heure actuelle, des internés comparaissent librement devant la CDS et celle-ci peut décider d'une libération à l'essai immédiate. Cela ne sera désormais plus possible, ce qui occasionnera bon nombre de renvois administratifs superflus et inutiles à des séjours résidentiels n'ayant pas de sens. Cela ne peut que contribuer à une saturation inutile du circuit de soins médico-légaux. En outre, l'éthique médicale montre que des patients traités de force doivent être référés à l'environnement le moins restrictif en tenant compte de leur pathologie et des exigences de sécurité. Des traitements ambulatoires ou des admissions dans la psychiatrie régulière d'internés « libérés à l'essai » doivent encore pouvoir être décidés sans qu'il soit nécessaire de satisfaire aux exigences posées par l'article 25 de la nouvelle loi. Il convient que cet article soit abrogé ou réécrit de manière à ce que le TAP puisse décider de la libération à l'essai, moyennant une motivation adaptée, sans que soient réunies les conditions actuelles de l'article 25 [5].
7. Le TAP désigne l'établissement dans lequel l'interné sera « placé » (article 17) pour y être traité. Ce placement est possible tant dans des établissements de l'autorité fédérale (ex. : Paifve, Merksplas, Turnhout, ...) que dans des établissements non fédéraux de défense sociale (ex. : Les Marronniers à Tournai) ou des institutions privées (ex. : hôpitaux psychiatriques). L'autorité a en outre décidé d'organiser et de financer un circuit de soins médico-légaux impliquant, entre autres, la construction en Flandre de deux établissements de défense sociale de haute sécurité, à Gand et à Anvers. L'objectif de l'autorité et du groupe professionnel est d'offrir aux internés des possibilités de traitement conforme à l'état actuel de la science et d'un niveau comparable à celui de la psychiatrie régulière (article 88 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus).
Le TAP doit pouvoir requérir le placement (ou le transfèrement) d'un interné dans un établissement de défense sociale de haute sécurité fédéral ou non fédéral mais le placement/l'admission ou le traitement dans les autres maillons du circuit de soins doit résulter d'une concertation et non d'une requête unilatérale. L'actuel article 17 ne fait pas de distinction entre les différents maillons du réseau, ce qui est une erreur. Il est évident qu'une unité psychiatrique d'un hôpital psychiatrique régulier ne peut accueillir que les internés pour lesquels elle a un projet de traitement et à condition que l'interné puisse y adhérer. A l'instar du schéma actuel, l'admission d'un interné dans des institutions privées doit se faire en concertation, avec des garanties de solutions alternatives en cas d'échec.
8. L'article 38 prévoit que le directeur de l'établissement de soins de l'autorité fédérale ou le responsable d'un établissement de soins non fédéral rend régulièrement un avis au TAP. Dans son avis du 30 octobre 1999 concernant le rapport final des travaux de la commission « Internement », le Conseil national a souligné qu'une séparation stricte est indiquée entre les missions d'un expert et celles d'un thérapeute. La loi de principes précitée confirme l'incompatibilité de la fonction d'expert avec celle de prestataire de soins (articles 100 et 101) [6].
9. Dans les prisons, les équipes de soins fonctionnent de manière indépendante par rapport au service psycho-social et sa mission d'avis. Rendre des avis au TAP concernant un interné est une fonction d'expert et non de prestataire de soins. Le Conseil national souscrit à ce point de vue, mais le fait que les deux fonctions soient inhérentes au contexte médico-légal peut occasionner des problèmes déontologiques. C'est pourquoi le Conseil national estime opportun que chaque institution dispensant des soins à des internés élabore un document interne déterminant le mode de formation d'un avis et la responsabilité de chaque collaborateur. Enfin, le Conseil national rappelle l'article 458 du Code pénal disposant qu'un médecin ne viole pas le secret professionnel lorsqu'il rend témoignage en justice, par exemple, devant le juge d'application des peines.
10. L'article 112 règle le problème difficile du « condamné-interné » qui est à la fin de sa « peine » et qui, selon le TAP, constituerait une menace grave pour la vie ou l'intégrité d'autrui. A l'heure actuelle, le condamné-interné ressortit à la CDS mais cela est considéré comme étant contraire à l'article 7 de la Constitution et à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le législateur a décidé, sans aucune concertation avec le groupe professionnel, que dans ces cas, le délinquant interné malade mental dangereux serait traité conformément à une forme adaptée de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux. Il s'agit d'une procédure civile, et non pénale, qui règle l'admission forcée de patients psychiatriques. L'adaptation de la loi du 26 juin 1990 accroît le pouvoir du juge de paix et limite celui du psychiatre chef du service de psychiatrie qui, par exemple (article 141), ne peut plus décider du renvoi de l'interné admis de force ou de la non-reconduction de la mesure. Le juge de paix reprend la fonction du TAP. Cette solution juridique est un faux semblant, car le système civil existant pour l'admission forcée n'est aucunement adapté à la prise en charge et au traitement de cette population de patients délinquants malades mentaux considérés dangereux. Le Conseil national insiste en vue d'un cadre légal spécifique adapté à ce groupe cible.
[1] Avis du Conseil national de l’Ordre des médecins du 30 octobre 1999 « Ministère de la Justice - Rapport final des travaux de la Commission Internement », Bulletin 87, p.17.
[2] Avis de la Commission fédérale « Droits du patient » du 9 octobre 2009 « Avis concernant la consultation du dossier médical tenu par le médecin-expert dans le cadre d’une affaire pénale ».
[3] Avis du Conseil national de l’Ordre des médecins du 26 juin 2010 « Consultation par le patient de son dossier médical établi par un médecin expert ».
[14Le CPROC devait obtenir le statut d’établissement scientifique de l’Etat mais rien n’indique qu’il sera jamais créé.
[5]Pour davantage d’informations concernant cet article 25 dommageable, voir les pages 338-339 et 362 de l’article de O. Vandemeulebroeke « Un autre régime d’internement des délinquants atteints d’un trouble mental. La loi du 21 avril 2007. », Revue de droit pénal et de criminologie, avril 2008, 308-363
[6]Loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, M.B., 1er février 2005, pp. 2815-2850