Application du principe de proportionnalité et de minimisation des données par le médecin expert judiciaire
En sa séance du 20 mars 2021, le Conseil national de l’Ordre des médecins a examiné la demande de la chambre contentieuse de l'Autorité de protection des données visant à connaitre les recommandations déontologiques relatives à l'application des principes proportionnalité et de minimisation des données par le médecin expert judiciaire dans la rédaction de son rapport.
1. Cette demande fait suite à une décision quant au fond 51/2020 du 27 août 2020 de la chambre contentieuse dans un dossier dirigé contre un expert judiciaire médecin[1]. Il était reproché à celui-ci d’avoir intégré dans son rapport, soumis à la contradiction des parties, le rapport in extenso du sapiteur psychiatre qui contenait des données sensibles que la personne concernée jugeait non nécessaires à l’accomplissement de la mission d’expertise.
Dans le dossier d’espèce, la chambre contentieuse a considéré que la transmission par l’expert judiciaire du rapport du sapiteur psychiatre aux parties au procès ne violait pas les articles 6.1 et 9 du RGPD.
Pour autant, elle soulève dans sa décision : (…) la Chambre Contentieuse constate qu'en l'occurrence, un grand nombre de données à caractère personnel sensibles de la plaignante et de son époux ont été traitées et mises à la disposition de la partie adverse dans le cadre de la procédure judiciaire et plus particulièrement, en exécution d'une expertise médicale ordonnée par le tribunal.
La Chambre Contentieuse constate qu'il existe ainsi une zone de tension entre le principe du caractère contradictoire des expertises judiciaires, (…), et le droit[2] à la protection des données à caractère personnel des parties au procès, d'autre part.
Compte tenu de cette zone de tension et de l'applicabilité du principe de contradiction en matière judiciaire, la Chambre Contentieuse souligne l'importance particulière de garantir le respect du principe de proportionnalité et du principe de minimisation des données découlant de l'article 5.1.c) du RGPD par les experts lors de la réalisation d'expertises et de la rédaction de rapports d'expertise.
(…), la Chambre Contentieuse souligne qu'un test de nécessité préalable doit être effectué par les experts (médicaux) chargés de procéder à une expertise, afin que seules les données à caractère personnel qui sont "pertinentes" et "limitées à ce qui est nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont traitées" au sens de l'article 5.1.c) du RGPD soient reprises dans les rapports d 'expertise et soumises à la contradiction, et qu'ainsi, les principes de proportionnalité et de minimisation des données soient garantis.[3]
2. Le médecin expert judiciaire est soumis au code de déontologie des experts judiciaires[4] et au code de déontologie médicale (CDM 2018).
Le code de déontologie des experts judiciaires impose que l'expert judiciaire limite la collecte d'informations (…) à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission[5].
Le CDM 2018 prévoit plus largement que le médecin désigné comme expert judiciaire (…) s’en tient strictement à la mission qui lui est confiée[6]. Il énonce également de manière générale que le médecin respecte la finalité et la proportionnalité en matière de traitement de données à caractère personnel relatives à la santé[7].
Ces obligations déontologiques font notamment application du principe de proportionnalité et du principe de minimisation des données, suivant lesquels les données à caractère personnel doivent être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées »[8].
Elles se fondent également sur le secret médical auquel le médecin expert est, comme tout médecin, tenu. Les éléments portés à sa connaissance durant ou à l’occasion de l’expertise ne peuvent être dévoilés si ce n’est pas justifié par les nécessités de sa mission, ou par une autre cause légitime.
Plus fondamentalement, ces règles sont motivées par la protection de l’intimité de la personne.
La loi relative aux droits du patient, qui s’applique à la médecine d’expertise, rappelle que le patient a droit à la protection de sa vie privée lors de toute intervention du praticien professionnel, notamment en ce qui concerne les informations liées à sa santé. Aucune ingérence n'est autorisée dans l'exercice de ce droit sauf si cela est prévu par la loi et est nécessaire pour la protection de la santé publique ou pour la protection des droits et des libertés de tiers[9].
3. L’objet de sa mission et ses obligations légales et déontologiques guident l’expert à chaque étape de sa mission : lors de la collecte des données, de l’examen de la personne et de la rédaction du rapport.
Il lui revient d’apprécier au cas par cas leur mise en œuvre, sans en négliger aucun.
Lorsqu’il collecte lui-même les données à caractère personnel relatives à la personne faisant l’objet de l’expertise, l’expert informe la personne à laquelle il s’adresse conformément aux exigences du RGPD. Il s’assure que son interlocuteur a compris sa qualité d’expert judiciaire, la mission dont il est chargé, l’utilisation qui sera faite des données (en ce compris leur accès) et le cas échéant la possibilité de refuser de les lui communiquer.
Il veille à ne recueillir que des données qui sont utiles à la réalisation de la mission et qui ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour donner l’avis médical qui lui est demandé.
Si un dossier médical est saisi, le délégué du conseil provincial de l'Ordre exclut les pièces sans rapport avec l'affaire en question[10].
L’anamnèse médicale et l’examen médical menés par l’expert sont proportionnés à la nature du traumatisme ou du fait à expertiser.
L’expert s’abstient de toute investigation ayant pour seul objet de satisfaire une partie. Il garde son indépendance.
Le médecin expert applique rigoureusement les mêmes principes dans la rédaction de son rapport. Il lui appartient d’apprécier ce qu’il doit rapporter pour motiver et objectiver à suffisance son avis, notamment s’il doit reproduire certaines déclarations de la personne.
Ce que le médecin expert révèlera sera porté à la connaissance des parties au procès, lesquelles ne sont pas tenues à un devoir de confidentialité.
Le médecin expert doit veiller au respect de la dignité et de l’intégrité de l’individu soumis à son expertise. L’expert médical garde à l’esprit, que l’examen soit physique ou psychiatrique, que l’expertise médicale est pour la personne qui en est l’objet une intrusion dans son intimité, par un médecin qu’elle n’a pas nécessairement librement choisi [11]. Il s’adresse à elle avec respect, courtoisie et s’abstient de tout commentaire qui ne relève ni de sa mission ni de sa compétence.
Toutes les règles qui précèdent s’appliquent également au médecin sapiteur.
Si l’expert judiciaire s’interroge sur l’application du principe du contradictoire tenant compte du droit au respect de la vie privée, il peut saisir le juge afin qu’il règle l’incident.
Dans un arrêt du 2 novembre 2012, la Cour de cassation a rappelé que le caractère contradictoire de l’expertise peut être limité par le juge, en l’occurrence tenant compte du droit au respect de la vie privée, à condition qu'il n’en résulte pas une violation du droit à un procès équitable[12].
[1]https://www.autoriteprotectiondonnees.be/publications/decision-quant-au-fond-n-51-2020.pdf
[2] Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950
[3] Points 50, 51, 52 et 59 de la décision quant au fond 51/2020 du 27 août 2020
[4] Arrêté royal du 25 avril 2017 qui fixe les règles de déontologie des experts judiciaires en application de l’article 991quater, 7° du code judiciaire (l’article 991quater du code judiciaire a été abrogé par la loi du 5 mai 2019 portant dispositions diverses en matière d'informatisation de la Justice, de modernisation du statut des juges consulaires et relativement à la banque des actes notariés qui a inséré un livre V dans la deuxième partie du code judiciaire, comprenant les articles 555/6 à 555/16, intitulé : "Livre V. Des experts judiciaires et des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés", voir article 555/9, 3°)
[5] Art. 5, alinéa 3, de l’arrêté royal du 25 avril 2017 qui fixe les règles de déontologie des experts judiciaires en application de l’article 991quater, 7° du code judiciaire
[6] Art. 44 du CDM 2018
[7] Art. 27, §1er du CDM 2018
[8] Art. 5. 1., c) du RGPD
[9] Art. 10, § 1er, de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient
[10] Avis du 14 septembre 2013 du conseil national, intitulé Code de déontologie médicale – Modification de l’article 66
[11] L’article 962 du code judiciaire énonce que le juge peut désigner les experts sur lesquels les parties marquent leur accord. Il ne peut déroger au choix des parties que par une décision motivée.
A défaut d'accord entre les parties, les experts donnent uniquement un avis sur la mission prévue dans le jugement.
[12] Cass., 2 novembre 2012, n° C.11.0018.N