Relation entre les médecins et les entreprises pharmaceutiques - Avis conjoint des Académies royales de Médecine de Belgique
Un conseil provincial soumet la lettre d'un pharmacien faisant part de sa réticence à participer à une initiative d'une firme pharmaceutique s'insérant dans une campagne publicitaire pour l'un de ses produits. Ce produit étant délivré uniquement sur ordonnance, le conseil provincial estime qu'il se pose dans ce cadre des problèmes déontologiques pour les médecins également.
Avis du Conseil national :
Le Conseil national s’associe aux inquiétudes et recommandations formulées par les Académies de Médecine concernant les relations entre le corps médical et l’industrie pharmaceutique.
Il rappelle que l’indépendance du médecin en tant que scientifique ou en tant que prescripteur est une donnée fondamentale de la qualité des soins. L’intérêt du patient doit être le souci primordial. En aucune manière des impératifs financiers ou personnels ne peuvent interférer avec une décision diagnostique ou thérapeutique.
Avis conjoint des Académies royales de médecine de Belgique sur la relation entre les médecins et les entreprises pharmaceutiques *:
Les membres des Académies belges de Médecine (la "Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België" et l'Académie Royale de Médecine de Belgique) estiment nécessaire d'attirer l'attention sur le problème des relations entre médecins et entreprises pharmaceutiques. Les relations entre l'industrie pharmaceutique, le monde des médecins (chercheurs, leaders d'opinion et prescripteurs), le public qui inclut les patients, les autorités ( en tant qu'organisateurs/régulateurs et financiers des soins de santé et en tant que soutien de la recherche scientifique) sont complexes et multidirectionnelles. La communication entre ces différents groupes prend de nombreuses formes, allant de la communication scientifique à la vulgarisation, en passant par les communications promotionnelles et professionnelles. Bien que l'objectif final de toutes les parties concernées soit la préservation ou le rétablissement de la santé de la population, les intérêts des différents groupes sont souvent divergents. Récemment, l'attention s'est portée à nouveau sur les modalités de communication et les relations entre les différents intéressés, et plus particulièrement de l'industrie pharmaceutique et les médecins, qui devraient se faire par le biais de publications qui méritent d'être qualifiées de scientifiques. De nombreuses analyses réalisées à l'étranger ont récemment souligné les problèmes liés à ces relations. Les membres des Académies de Médecine, estiment que ces problèmes existent aussi en Belgique tant en ce qui concerne le médecin - chercheur clinique, que le médecin - prescripteur de médicaments.
L'importance critique du rôle joué par les médecins engagés dans la recherche clinique, a fait l'objet en septembre 2001, d'un éditorial publié simultanément dans plusieurs revues médicales éminentes (Lancet, British Medical Journal, New England Journal of Medicine,...). Cet éditorial souligne d'abord que la recherche clinique sur les médicaments est trop souvent orientée, pour des raisons économiques (le terme " sponsoring " revêt différentes significations et pourrait susciter des confusions) vers des problèmes ayant surtout un impact commercial (même si les résultats ne sont pas dénués d'intérêt) alors que des questions plus pertinentes restent sans réponse. C'est ainsi que des médicaments moins récents doivent être réévalués, et doivent être inclus dans des études de nouvelles molécules. Cet éditorial rappelle ensuite que l'élaboration du protocole, l'analyse des résultats et la publication de la recherche sont généralement aux mains de l'entreprise sponsorisante et que le chercheur a trop peu d'impact ou cherche trop peu à en avoir. Lors de la publication il y a lieu de mettre l'accent sur certains points, par exemple l'apport réel de l'intervention, et comment cet apport se compare avec celui d'autres interventions. Le chercheur ne s'impose pas assez comme le vrai responsable de la recherche vis-à-vis de tous les autres intéressés (collègues médecins, patients, autorités). Le manque de clarté initial aidant, certaines entreprises sponsorisantes ont été jusqu'à interdire à des chercheurs de publier leurs résultats. Enfin, cet éditorial constate que des contrats de quasi exclusivité menacent l'indépendance de certains centres de recherches universitaires, au profit de l'industrie. Sans affirmer qu'une telle attitude laxiste soit généralisée, il paraît souhaitable aux membres des Académies d'entreprendre une analyse approfondie de ces phénomènes en Belgique pour déterminer les mesures préventives nécessaires.
La relation du médecin en tant que prescripteur avec l'industrie pharmaceutique mérite également réflexion. Comment le médecin est-il informé de la valeur d'un médicament ? Les éditeurs de revues médicales sont les garants de l'objectivité des études sur les médicaments, ainsi que des commentaires et éditoriaux y afférents. Le fait que, pour survivre, la plupart des revues aient, dans une large mesure, besoin de la publicité sur les médicaments, est à l'origine d'une situation ambiguë. Les meilleures revues exigent des auteurs qu'ils s'expriment clairement sur d'éventuels conflits d'intérêts. Et pourtant certains universitaires n'hésitent pas à prêter leur nom à des articles qui, en réalité, ont été écrits par d'autres personnes. Depuis longtemps, le médecin est submergé de périodiques gratuits entièrement financés par la publicité, mais les articles publiés ne sont pas soumis à l'avis d'experts (peer review); en outre, la distinction entre contribution scientifique et publicité est très souvent vague. Enfin, il existe des publicités directes, envoyées par la poste ou par le biais d'abonnements à Internet mis gratuitement à disposition ainsi que les délégués médicaux, très nombreux en Belgique. La formation de niveau graduat et post-graduat doit apporter au médecin compétence et attitude critique. La formation complémentaire permanente, dans le cadre de l'accréditation par exemple, doit renforcer cette attitude. On attend des professeurs et des conférenciers qu'ils s'appuient sur des études contrôlées (médecine factuelle) Malheureusement il faut constater que régulièrement certains programmes, par exemple en formation continue, sont élaborés et organisés par une entreprise pharmaceutique, qui peut ainsi influencer le choix des sujets et des orateurs. Il est souvent question d'avantages directs non justifiés octroyés aux prescripteurs, sous la forme d'indemnités, de voyages, de participation à des congrès, mais leur influence éventuelle sur le comportement du prescripteur est difficile à évaluer : il va de soi que le remboursement des frais engagés est acceptable et que les avantages directs ne sont pas nécessairement abusifs, mais la transparence doit être présente.
Les entreprises pharmaceutiques sont, à l' évidence, essentielles dans la conception des médicaments. Elles jouent un rôle irremplaçable dans le renouvellement de l' arsenal diagnostique et thérapeutique en convertissant, de manière efficace, les connaissances fondées sur la recherche biomédicale récente en de nouvelles technologies médicales ou de nouvelles médications. Ce processus requiert l'utilisation de méthodes toujours plus complexes impliquant des risques financiers extrêmement élevés à long terme qui peuvent mettre en péril la survie des entreprises pharmaceutiques concernées. Les entreprises pharmaceutiques sont partenaires dans la recherche clinique et représentent une source d'informations pour le prescripteur. Toutefois, les entreprises pharmaceutiques et les médecins doivent prendre conscience de leur rôle spécifique respectif. En recherche clinique, ce sont les chercheurs qui doivent fournir la garantie médicale et éthique ultime aux sujets impliqués dans l'étude et à la communauté; ils doivent veiller à ce que seules les demandes pertinentes aboutissent à une recherche clinique, et ils sont responsables du traitement objectif et de la publication objective des résultats. Aussi la transparence s'impose-t-elle dans les accords conclus entre entreprises et chercheurs, y compris dans les aspects financiers. Quant au médecin prescripteur de médicaments enregistrés, il ne doit se laisser guider que par l'intérêt du patient.
L'indépendance du médecin en tant que chercheur ou en tant que prescripteur vis-à-vis de l'industrie est essentielle. Si les conflits d'intérêts sont inévitables, ils ne peuvent aboutir à une confusion d'intérêts : la transparence sur les conflits d'intérêts éventuels peut être une garantie. Les Académies de Médecine lancent un appel à tous les médecins, chercheurs cliniques et prescripteurs, pour que chacun joue correctement le rôle qui lui est dévolu et apporte, à cette fin, toute la clarté nécessaire vis-à-vis du monde extérieur. Notre appel s'adresse en particulier aux universitaires et autres personnes qui, en tant que " leaders d'opinion ", ont un rôle d'exemple dans la recherche et la prescription. Etre " leader d'opinion " est une lourde responsabilité et il convient d'éviter que le terme ne reçoive une connotation péjorative, comme' s'il s'agissait de personnes qui se laissent volontairement ou involontairement influencer afin de transmettre des messages non fondés sur des preuves scientifiques. La Belgique compte une série de revues médicales de valeur qui jouent un rôle important dans l'information des médecins belges; elles aussi doivent prendre leurs responsabilités. Le médecin doit savoir qu'une série de brochures et de périodiques mis gratuitement à sa disposition n'établissent parfois aucune distinction entre les données scientifiques et la publicité, en dépit des discours et des photographies d'éminents universitaires qui les appuient.
On peut attendre des autorités qu' elles garantissent la qualité des notices des médicaments, qu'elles soutiennent suffisamment les initiatives visant une information objective, qu'elles assurent l'objectivité de la publicité sur les médicaments et, en ce qui concerne la recherche clinique, qu'elles garantissent la reconnaissance de comités d'éthique dont le rôle est capital à cet égard.
Enfin, on peut et on doit également attendre des autorités qu' elles soutiennent les activités des chercheurs cliniques et des centres universitaires, de telle manière que ceux-ci puissent remplir parfaitement leur rôle en toute indépendance dans la production et la diffusion des informations.
* L'avis conjoint a été préparé par une commission mixte composée de MM. Ch. van Ypersele de Strihou, A. Dresse, T. Godfraind, G. Rorive, J.C. Demanet et R. Bernard pour l'Académie Royale de Médecine de Belgique, et de MM. J. Lauweryns, M. Bogaert, R. Bouillon, A. Herman, G. Mannaerts, S. Scharpé, I. Vergote et H. Goossens pour la " Koninklijke Academie voor Geneeskunde van België ".
L'avis a été approuvé par les Académies lors de leurs séances plénières respectives du 28 septembre 2002.