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Déontologie

Aspects déontologiques des trajets de soins

Le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné les aspects déontologiques des trajets de soins tels que définis par l'arrêté royal du 21 janvier 2009 (M.B. 6 février 2009, p. 8258), ainsi que le contrat concerné.

Avis du Conseil national :

En sa séance du 27 mars 2010, le Conseil national de l'Ordre des médecins a analysé les aspects déontologiques des trajets de soins tels que définis par l'arrêté royal du 21 janvier 2009 portant exécution de l'article 36 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, concernant les trajets de soins (M.B. 6 février 2009, p. 8258).

Le trajet de soins est la prise en charge médicale d'un patient, atteint d'une maladie chronique, sur la base d'un contrat avec le médecin généraliste et le médecin spécialiste, pour une durée de quatre ans.

Actuellement, les trajets de soins sont limités aux patients atteints du diabète sucré de type 2 ou d'insuffisance rénale.

Pour bénéficier du trajet de soins, le patient doit remplir des conditions médicales et d'autres conditions qui concernent le dossier médical global (au sens de l'arrêté royal du 18 février 2004 , M.B. 24 février 2004, p. 10639), le taux de consultation du médecin généraliste et du médecin spécialiste, et la conclusion d'un contrat « trajet de soins » avec le médecin généraliste et le médecin spécialiste.

Suivant les termes de l'arrêté royal, le contrat fixe les modalités de la collaboration entre les parties.

Des incitants financiers existent pour les parties.

Pendant la durée du trajet de soins, le patient se voit rembourser le ticket modérateur pour les consultations chez le généraliste et le spécialiste cocontractants et le coût de certains matériels et services paramédicaux.

Le médecin généraliste et le médecin spécialiste cocontractants perçoivent chacun de l'organisme assureur un honoraire forfaitaire annuel de 80 €.

Les bénéfices attendus de ces trajets de soins concernent l'organisation des soins, la collaboration entre les soignants, la compréhension par le patient de sa maladie et du suivi, et l'optimalisation de la qualité des soins.

Le Conseil national apprécie les efforts déployés pour atteindre ces objectifs.

Il émet les considérations suivantes concernant les trajets de soins et le contrat qui les formalise.

1. Du point de vue du patient.

Le libre choix du médecin est un principe fondamental de la relation médicale.
Le système du trajet de soins laisse au patient le choix du généraliste et du spécialiste en médecine interne (sous réserve qu'il réponde aux critères de qualification fixés par l'article 8, § 2), mais il limite ce libre choix en imposant que la relation contractuelle soit fixée pour une durée initiale de quatre ans.

L'INAMI précise sur le site www.trajetsdesoins.be que le patient a la possibilité de changer de médecin en cours de trajet de soins, sans perte des avantages qui y sont liés ; cette possibilité doit lui être expressément signalée.

Rien n'est prévu si le patient souhaite un second avis.

Le choix du patient est subordonné à l'acceptation par le médecin généraliste et le médecin spécialiste des contraintes administratives mises dans leur chef par le système des trajets de soins.

Le Conseil national constate que le système des trajets de soins n'est pas en concordance avec l'évolution de la maladie et l'intérêt du patient.

Le patient diabétique dont la situation clinique nécessite un renforcement de l'insulinothérapie ne peut bénéficier du trajet de soins de même que le patient en insuffisance rénale qui a besoin d'un traitement par dialyse ou transplantation.

Ces exclusions n'ont pas de justification médicale et sont difficilement explicables au patient. Elles créent une discrimination, sans justification objective, entre les patients. Le Conseil national prend acte que le patient auquel les critères d'exclusion ne s'appliquaient pas initialement ne perd pas les avantages de son trajet de soins du fait que les critères d'exclusion médicaux s'appliquent en cours de trajet de soins (cf. www.trajetsdesoins.be).

A la lecture des informations dont il dispose, le Conseil national constate que les visites à domicile ne sont pas incluses dans la notion de « consultation » et ne bénéficient dès lors pas de la gratuité. Il n'est pas éthique que la perte de mobilité d'un patient le prive de cet avantage des trajets de soins.

Dans l'objectif d'une prise en charge optimale, le remboursement du ticket modérateur aurait dû également être d'application pour les consultations des spécialistes, autres que visés à l'article 8, § 2, impliqués dans le traitement et la prévention des complications secondaires des deux affections concernées (ophtalmologue, radiologue, cardiologue, neurologue, etc.)

Le système des trajets de soins se limite à une optimalisation de la thérapeutique. Il n'inclut pas de mesure visant à améliorer le dépistage et le diagnostic des affections concernées alors qu'elles sont toutes les deux peu symptomatiques et que la prévention des complications qu'elles entraînent est tributaire du moment de la prise en charge.

Les bénéfices et les inconvénients des trajets de soins doivent faire l'objet d'une analyse dans le temps. A cet égard, le Conseil national reconnaît l'importance d'évaluer l'impact des trajets de soins sur la qualité des soins.

Néanmoins, il considère que le consentement du patient au traitement de ses données à caractère personnel relatives au trajet de soins n'est pas totalement libre dès lors que ce consentement est une condition à l'accès au trajet de soins (art. 5, § 1er et 12).
Le Conseil national s'interroge quant aux conséquences sur l'accès au trajet de soins du refus du patient de voir certaines de ses données traitées.

Le libre choix du patient est également mis à mal par l'obligation de disposer d'un dossier médical global pour pouvoir accéder au trajet de soins (art. 5, § 1er).
Le Conseil national émet des réserves sur la subordination de l'accès au trajet de soins à l'existence d'un dossier médical global.

2. Du point de vue des médecins généraliste et spécialiste.

La déontologie médicale interdit au médecin de conclure une convention susceptible de limiter sa liberté thérapeutique.

Le fait que les trajets de soins soient actuellement limités dans le cas du diabète de type 2 aux patients suivant un traitement à l'insuline, comprenant 1 ou 2 injections d'insuline par jour (le traitement avec des comprimés est insuffisant) pourrait influencer le choix des modalités thérapeutiques qui permettent l'accès aux trajets de soins, plutôt que d'autres modalités thérapeutiques mieux adaptées aux besoins du patient.

Il est essentiel que la prise en charge du médecin généraliste et spécialiste ne soit pas encombrée par des tâches administratives ; à cet égard, il eût été plus logique de prévoir que le patient transmette lui-même le contrat « trajet de soins » à son organisme assureur.

Il n'est pas d'usage que la relation contractuelle entre un médecin et son patient soit formalisée dans un écrit fixant les obligations de chacune des parties. La conclusion d'un contrat tripartite (patient, médecin généraliste et médecin spécialiste) est encore plus rare.

Le Conseil national s'interroge sur l'étendue de la responsabilité des médecins qui participent à un trajet de soins et sur les conséquences du non-respect de ses engagements par une des parties, notamment à l'égard de l'INAMI. Le texte légal ne contient aucune information à ce propos.

Les obligations à charge du médecin qui résultent du contrat « trajet de soins » pourraient, pour certaines, être considérées comme des obligations de résultat.

Si le traitement médical est, sauf circonstances exceptionnelles, une obligation de moyen, la nature des obligations telles que l'ouverture d'un DMG, l'obtention de l'accord du patient sur la transmission des données et la réalisation de celle-ci, est plus discutable.

Le médecin qui conclut un contrat « trajet de soins » doit être conscient des obligations qu'il souscrit; il est prudent qu'il se réserve une preuve, écrite si possible, de leur exécution.

Un contrat requiert l'accord de volonté des parties sur des droits et obligations.
Le Conseil national s'interroge sur la libre volonté du médecin de conclure un tel contrat, et d'accepter les obligations qui en découlent, sachant que leur refus sera synonyme, pour son patient, de la perte d'avantages financiers.

* * *

Le Conseil national prend acte des objectifs de principe et des modalités pratiques des trajets de soins tels qu'élaborés à ce jour au sein de l'INAMI et déjà définis dans un texte légal.

Bien qu'il apprécie les efforts déployés pour améliorer la prise en charge des malades souffrant d'une maladie chronique, il souhaite émettre des réserves.

C'est pourquoi le Conseil national vous demande de bien vouloir transmettre, à toutes les parties concernées au sein de l'INAMI, les considérations ci-avant à propos des trajets de soins et du contrat « trajet de soins » existants, afin que l'INAMI puisse y donner suite utile dans le cadre des trajets de soins tant actuels que futurs.

Le Conseil national est ouvert à la poursuite d'un dialogue ou d'une concertation avec l'INAMI et en particulier avec les associations professionnelles représentatives des médecins.