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Déontologie

Trois avant-projets de loi du ministre de la Santé publique dans le cadre d'une réforme de l'Ordre des médecins

Le Conseil national est réuni en séance extraordinaire afin d'émettre un avis à propos :

  1. des trois avant-projets de loi concernant la réforme de l'Ordre des médecins, à savoir :

    • l'"avant-projet de loi modifiant l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des médecins, l'arrêté royal n° 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaiens et l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales";
    • l'"avant-projet de loi concernant les juridictions disciplinaires administratives et les juridictions disciplinaires administratives d'appel des professions de la santé";
    • l'"avant-projet de loi instituant un Conseil fédéral de déontologie des professions de la santé".
  2. de l'"avant-projet de loi portant modification de la loi sur les hôpitaux coordonnée le 7 août 1987 et de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales" (dit : avant-projet de loi relatif aux droits du patient).

    - voir avis : BCN 83 p. 19 (a083013f) -

AVIS DU CONSEIL NATIONAL CONCERNANT LES TROIS AVANT PROJETS DE LOI DU MINISTRE DE LA SANTE PUBLIQUE DANS LE CADRE D'UNE REFORME DE L'ORDRE DES MEDECINS

Le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné en sa séance du 23 janvier 1999 l'avant projet de loi modifiant l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des médecins, ainsi que les avant projets y afférents concernant la création d'un Conseil fédéral de déontologie des professions de la santé, de juridictions disciplinaires administratives et de juridictions disciplinaires administratives d'appel des professions de la santé, transmis par le Ministre de la Santé publique le 17 décembre 1998.

Le Conseil national remercie le Ministre de la Santé publique d'avoir communiqué les avant projets demandés dans sa lettre au Ministre du 23 septembre 1998.

Le Conseil national s'étonne que dans l'exposé des motifs de l'avant projet de loi instituant un Conseil fédéral de déontologie des professions de la santé il soit affirmé que l'élaboration du code de déontologie ainsi que la procédure disciplinaire ont été le fait de ce seul groupe de praticiens concerné. Comme si l'auteur de l'exposé des motifs ignorait que l'Ordre des médecins a été institué par une loi en 1938, et que sa mission d'élaborer un code de déontologie en 1967 est aussi l'oeuvre du législateur. Le législateur a d'emblée prévu la présence de magistrats nommés à tous les échelons, afin notamment de mettre l'accent sur la vocation sociale de l'Ordre, et non pas sur l'organisation professionnelle. Il est inexact d'affirmer dans ce même exposé des motifs que le Conseil national n'a pas répondu à l'invitation du Ministre de la Santé publique de formuler des propositions visant la modernisation de l'Ordre. Le Conseil national a bien répondu à la lettre du Ministre de la Santé publique, du 24 octobre 1997, d'une manière circonstanciée et dans le délai souhaité, à savoir le 21 janvier 1998. De plus, le 28 février 1998, le Conseil national a publié son point de vue sur la réforme de l'Ordre des médecins, point de vue qui a été porté à la connaissance non seulement du Ministre de la Santé publique, mais de tous les Ministres concernés, de tous les partis politiques, de tous les parlementaires et du corps médical. Pour autant que de besoin, les deux documents sont annexés à cet avis.

Il ressort des avant projets qu'il n'a pas été tenu compte des propositions formulées par le Conseil national et qu'aucune suite n'a été donnée aux demandes réitéréés d'un dialogue constructif.

Après analyse de l'avant projet de loi instituant un Conseil fédéral de déontologie des professions de la santé, le Conseil national est arrivé à la conclusion que ce Conseil fédéral ne peut être considéré que comme un instrument politique dans les mains du Ministre de la Santé publique. Dans sa lettre du 21 janvier 1998, le Conseil national soulignait que la nomination par le Roi, sur présentation par le Ministre compétent, des magistrats, professeurs et greffiers dans les différents conseils de l'Ordre, représente un apport équilibré par l'Autorité, qui n'hypothèque pas l'indépendance et l'impartialité de l'Ordre, compte tenu du nombre et du mode d'élection des autres membres. Dans l'actuel avant projet, la nomination sur présentation par le Ministre de la Santé publique ne concerne pas seulement le président, mais tous les membres de chaque Chambre. Bien plus, deux membres de son département sont chargés du secrétariat, et le règlement d'ordre intérieur établi par chaque Chambre doit être approuvé par le Ministre qui règle la procédure et les modalités relatives à la composition, à l'organisation et au fonctionnement des Chambres par des arrêtés royaux. L'article 5 dispose de manière paradoxale que la présence de la moitié des membres présentés par le Comité consultatif de bioéthique et de la moitié des membres présentés par les conseils nationaux des professions de la santé suffit pour délibérer valablement, mais que par ailleurs une majorité double de blocage est requise. Pour couronner le tout, l'article 12 dispose que le Ministre établira lui même un code de déontologie pour un groupe professionnel déterminé lorsque la Chambre de ce groupe ne sera pas parvenue dans un délai chichement mesuré à l'élaborer et à le faire sanctionner par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres. Il est inadmissible que le Ministre de la Santé publique s'arroge le droit de définir lui même le code de déontologie d'un groupe professionnel pour ainsi imposer ce qui, dans un état de droit, doit être réalisé par le pouvoir législatif.

L'exposé des motifs de l'avant projet de loi concernant les juridictions disciplinaires administratives et les juridictions disciplinaires administratives d'appel n'a pas été transmis au Conseil national. Il est surprenant que les mêmes qualifications soient requises pour les présidents des juridictions disciplinaires administratives et des juridictions disciplinaires administratives d'appel, et que la notion de "magistrat" ne soit pas autrement précisée.
De plus, les présidents et les membres des juridictions disciplinaires sont présentés à la nomination par le Roi, conjointement par le Ministre de la Justice, le Ministre de l'Intérieur et le Ministre qui a la Santé publique dans ses attributions, sans avoir été proposés par une quelconque instance. Le Conseil national dénonce la politisation des nominations au sein des juridictions disciplinaires ce qui va à l'encontre de la volonté politique actuelle de dépolitiser les nominations.

La lourdeur de la procédure préconisée par l'avant projet concernant les juridictions disciplinaires administratives est particulièrement révélatrice. Pour les juridictions disciplinaires administratives, celle ci s'étend sur pas moins de 139 articles auxquels il y a lieu d'ajouter les 18 articles de la procédure d'appel. Se livrant à une réflexion critique à propos du droit disciplinaire médical, le Conseil national soulignait le 28 février 1998, dans son point de vue sur la réforme de l'Ordre, que le droit disciplinaire des praticiens d'une profession, par excellence humanitaire, devait, dans son exercice, être respectueux de la personne humaine, et que l'impact du système juridique sur la manière de traiter les plaintes, les plaignants et les prévenus n'avait pas eu une influence positive. L'actuel avant projet ne fait que renforcer le caractère peu humain de la procédure. Ainsi, ce n'est pas faire preuve de compréhension vis à vis du plaignant que d'exiger de sa part de déposer une requête et cinq copies de celle ci, certifiées conformes par le signataire, plus un inventaire des pièces et cinq copies de celui ci, dans les soixante jours de la connaissance des faits susceptibles de donner lieu à poursuite disciplinaire. Le plaignant doit aussi transmettre immédiatement une copie de sa requête au praticien qui en fait l'objet. En outre, le plaignant est obligé de rédiger un mémoire en réplique dans les trente jours de la réception d'un mémoire en réponse, et s'il ne reçoit pas ce dernier, il doit faire parvenir un mémoire ampliatif de la requête. La situation devient inextricable pour le plaignant quand des pièces doivent être déposées. Il doit alors être entendu et il doit déposer un mémoire en réponse particulier, s'il y a un mémoire particulier. Cette procédure peut avoir un sens devant le Conseil d'Etat, mais elle ne se justifie pas dans des différends d'ordre disciplinaire entre dispensateurs de soins et plaignants.
Le Conseil national est par conséquent d'avis que cet avant projet ne peut être accepté en raison, entre autres, de l'extrème complexité de la procédure.

L'avant projet de loi modifiant l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des médecins ne se limite pas aux adaptations qui découlent des avant projets examinés ci dessus, mais contient en outre une série de dispositions qui vident l'Ordre de sa substance.

Ainsi, selon cet avant-projet les Conseils provinciaux ne dresseront plus le Tableau de l'Ordre, comme si cette tâche pouvait être laissée en totalité aux Commissions médicales provinciales, dont la compétence en l'espèce se limite à vérifier l'authenticité des titres des praticiens de l'art médical avant de délivrer le visa. Actuellement, les Conseils provinciaux peuvent contrôler, lors de l'inscription, si le médecin s'est rendu coupable de faits dont la gravité entraînerait la radiation. Il est curieux de constater que même de lourdes condamnations encourues pour des infractions commises en-dehors de l'exercice de la profession, ne pourront plus être prises en considération lors d'une demande d'inscription. On voit aussi disparaître la possibilité de refuser ou de différer l'inscription sur base d'informations communiquées par l'Etat d'origine ou de provenance, lorsqu'il s'agit d'un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne.

Il est regrettable de constater que le Ministre de la Santé publique, par l'abrogation partielle de l'article 6 de l'arrêté royal n° 79, enlève aux Conseils provinciaux une de leurs missions les plus essentielles. Le fait de conseiller les médecins qui, dans des situations bien précises, font très fréquemment appel à leur Conseil provincial afin de savoir ce qui est déontologiquement recommandable, est une forme de service social des conseils provinciaux, méconnue et cependant très utile, que la modification de l'arrêté royal n° 79 réduit à néant.

Les Conseils d'appel sont totalement éliminés et remplacés par des juridictions disciplinaires administratives d'appel. L'avant projet est muet sur la saisine des litiges relatifs au domicile d'un médecin, les déchéances de mandat des membres des organes prévus et les contestations concernant la validité des élections des Conseils provinciaux.

L'esprit qui a présidé à la rédaction des trois avant projets est de vider le Conseil national de sa substance. Le Conseil national a encore le droit de proposer des représentants pour quelques organes s'occupant de déontologie et/ou d'éthique, et de déterminer le montant qui sera réclamé au médecin comme cotisation pour l'Ordre. Il est quelque peu cynique de définir comme troisième compétence prévue à l'article 13, que le Conseil national peut prendre toutes les mesures nécessaires à la réalisation de l'objet de l'Ordre.
Le Conseil national se voit enlever les compétences qui lui était confiées entre autres en matière d'échange d'informations et de la délivrance des attestations nécessaires lors des transferts de médecins dans un autre Etat membre de l'Union européenne. En enlevant ces compétences au Conseil national, le Ministre de la Santé publique méconnaît la participation active du Conseil national aux travaux des associations internationales axées sur la déontologie et l'éthique médicales, ainsi qu'il en avait été informé par la lettre du 21 janvier 1998.

Dans le présent avis, le Conseil national se borne à des remarques essentielles qui justifient à suffisance l' avis négatif qu'il émet à propos de ces trois avant projets.

Bien que le Conseil national souhaite un dialogue constructif avec le Ministre de la Santé publique, il constate que les avant-projets présentés ne peuvent en constituer le point de départ.