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Recours à la contrainte pour imposer un acte médical à un étranger dans le cadre d’une procédure de transfert, de refoulement, de retour ou d'éloignement.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins a été sollicité par plusieurs confrères pour donner son avis concernant le projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers sur la politique de retour proactive (Doc. Parl., sess. 2022-2023, doc 55 3599/001).
Leur question s’inscrit dans les débats qui sont actuellement menés autour de l’article 26 du projet de loi qui insère un article 74/23 dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (l’article est repris in extenso à la suite de cet avis), dont il ressort que, dans certaines conditions à vérifier au cas par cas, l’étranger majeur peut être soumis par la contrainte à des examens médicaux afin de permettre l'exécution forcée d'une mesure de transfert, de refoulement, de retour ou d'éloignement le concernant et à laquelle il refuse de coopérer.
1. Dans l’état actuel de la législation belge relative aux procédures de contrainte justifiant l’intervention d’un médecin, la contrainte physique pour l’exécution d’un acte médical est exceptionnelle et strictement encadrée[1].
Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une politique migratoire européenne que chaque État doit respecter au même titre que les droits humains fondamentaux qui sont en jeu.
En l’occurrence, le projet prévoit le recours à la contrainte pour imposer un acte médical qui n’est pas réclamé par la loi belge mais imposé, comme à d’autres États européens, par le pays de destination ou de transit, ou comme condition de voyage par le transporteur responsable du transport de l’étranger, dans le cadre d’une urgence de santé publique de portée internationale déclarée par l’Organisation mondiale de la santé.
Les actes médicaux qui pourront être imposés par la force ne sont pas définis, ni leur degré d’atteinte à l’intégrité physique de l’individu qui y est soumis. Il est seulement affirmé que l’acte médical doit permettre de déterminer si l’étranger peut voyager sans mettre en danger sa propre santé, celle des autres voyageurs ou celle de la population du pays de destination. L’acte médical doit en outre figurer sur une liste dressée par le Roi, sur « proposition conjointe du ministre[2] et du ministre de la Santé publique », par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.
L’individu n’a pas de recours permettant de s’opposer, avant son application, à la coercition au motif que la mise en place d’une telle procédure compliquerait très sérieusement l’exécution de la mesure de transfert, de refoulement, de retour ou d’éloignement et que, par conséquent, l’introduction de l’obligation de se soumettre à un examen médical n’aurait plus d’utilité (Doc. Parl., doc 55 3599/001, p. 15).
Face au refus d’un étranger de coopérer à l’examen médical, la décision de recourir à la contrainte et l’exercice de celle-ci appartient au délégué du ministre (un membre du personnel de l’Office des Étrangers), qui aura reçu une formation spécifique à cet effet, à déterminer par le Roi.
2. Il est légitime que le corps médical, dont les valeurs déontologiques et éthiques reposent par essence sur le respect de l’intégrité et l’intérêt de l’individu, s’interroge sur son rôle dans une procédure fondée sur une conception où la bonne exécution de la politique migratoire, qui s’exerce à l’égard d’un groupe d’individus par nature vulnérables, est jugée supérieure à ces valeurs.
Le Bureau du Conseil national a été interrogé par le cabinet du Secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration sur un avant-projet de loi avant que le présent projet de loi ne soit déposé à la Chambre.
Sans se positionner sur le fond, il a fait valoir que compte tenu de l’étendue de la gamme d’examens médicaux possibles et du fait notamment que l’examen médical peut être une exigence du seul transporteur, le type d’examen et sa finalité devraient être précisés. La mention que l’examen ne peut avoir un caractère vexatoire et est effectué dans le respect de la dignité de l’étranger, sans d’ailleurs mentionner qui apprécie que tel est bien le cas, ne lui a pas paru suffisante.
Le Bureau a souscrit à l’interdiction de recourir à la contrainte pour pratiquer un examen médical sur un mineur ou en présence d’un mineur, qu’un examen ne peut jamais être réalisé lorsqu’il est susceptible de mettre en danger la santé de la personne concernée, à l’obligation que l’examen médical soit réalisé par du personnel médical qualifié, au fait que l’examen le moins invasif soit effectué, au caractère résiduaire de l’examen médical, qui ne sera pratiqué qu’en l’absence des attestations et certificats médicaux nécessaires, et de la contrainte, prévue à défaut d’autre moyen moins coercitif. Ces restrictions sont reprises dans le projet de loi déposé.
Le Conseil national maintient ces observations.
3. Le Conseil national prend acte que l’intervention médicale sous la contrainte envisagée ne pourra viser qu’une situation d’« urgence de santé publique de portée internationale déclarée par l’Organisation mondiale de la santé ». Il conviendrait de s’assurer que la loi en projet ne permettra pas d’accomplir un tel acte médical hors le type d’urgence précité.
Le Conseil national s’interroge sur la portée de la « contrainte physique » préalable à l’intervention médicale. Ce concept n’est pas explicité dans l’exposé des motifs, bien que le Conseil d’État en avait déjà fait l’observation dans son avis relatif à l’avant-projet de loi (Doc. Parl., doc 55 3599/001, pp. 102-103). La contrainte physique peut prendre des formes très diverses et il ne faudrait pas que cette autorisation de la loi soit comprise comme un blanc-seing pour les agents de l’exécutif. Au regard des droits et libertés consacrés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, cette notion devrait être clarifiée.
En ce qui concerne l’examen médical, l’article 26 du projet prévoit que seul l’examen le moins invasif sera effectué « à condition que cet examen soit disponible ». Les dispositions qui s’imposent doivent avoir été prises pour que l’examen le moins invasif soit réellement disponible. A défaut de quoi, le Conseil national estime que l’examen ne pourra pas être pratiqué.
4. Sur le plan déontologique, dans l’hypothèse où ce projet aboutirait, le Conseil national estime qu’un médecin appelé à prêter son concours à un examen médical pratiqué sous la contrainte dans le cadre d’une mesure de transfert, de refoulement, de retour ou d'éloignement, garde son indépendance professionnelle. Aucun médecin ne peut être tenu de pratiquer un tel acte.
Il est de la responsabilité du médecin de vérifier que son intervention est conforme à la loi, tant sur le plan des exigences légales relatives à l’examen médical qu’à sa réalisation par contrainte.
S’il considère que ces conditions ne sont pas rencontrées ou que le recours à la contrainte n’est pas adapté à la vulnérabilité de la personne ou que l’objectif peut être atteint par des moyens moins coercitifs, il ne posera pas l’acte médical en question.
Le médecin a toujours le droit de refuser de poser cet acte s’il l’estime en conscience contraire aux valeurs prônées par la déontologie médicale de professionnalisme, respect, intégrité et responsabilité. L’intervention du médecin doit toujours être conforme au Code de déontologie médicale (entre autres son article 30) et est susceptible de contrôle.
Enfin, le Conseil national tient à affirmer avec force qu’en aucun cas, il ne faudrait que les médecins et aucun professionnel des soins de santé ne soient instrumentalisés pour parer les difficultés et les impasses diplomatiques avec les pays tiers dans l’exercice de la politique migratoire.
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L’article 26 du projet de loi du 29 septembre 2023 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers sur la politique de retour proactive, énonce :
Dans le Chapitre I, inséré (dans la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers) par l’article 24, il est inséré un article 74/23, rédigé comme suit:
“Art. 74/23. § 1er. En vue de l’exécution forcée d’une mesure de transfert, de refoulement, de retour ou d’éloignement, un étranger peut être soumis à un examen médical, le cas échéant par la contrainte, pour autant qu’un tel l’examen soit requis afin de déterminer si l’étranger peut voyager sans mettre en danger sa propre santé, celle des autres voyageurs ou celle de la population du pays de destination. L’examen médical obligatoire ne peut être effectué que s’il est nécessaire parce qu’il est imposé comme condition d’entrée ou de transit par le pays de destination ou de transit, ou comme condition de voyage par le transporteur responsable du transport de l’étranger, dans le cadre d’une urgence de santé publique de portée internationale déclarée par l’Organisation mondiale de la santé, et que les attestations médicales disponibles ne sont pas acceptées comme étant suffisantes par le pays de destination ou de transit, ou par le transporteur.
L’étranger est informé au préalable de l’examen médical qui lui sera imposé, de la manière dont il sera effectué, de l’objectif de l’examen, de son éventuel effet sur sa santé et de la possibilité, en cas de refus de coopérer, de procéder à l’examen médical par la contrainte conformément au paragraphe 2. Ces informations sont fournies dans une langue que l’étranger comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend.
L’étranger signe une déclaration dans laquelle il s’engage à coopérer à cet examen médical. Cette déclaration comprend les informations mentionnées à l’alinéa 2. L’étranger a la possibilité, avant de signer la déclaration et en étant séparé du personnel impliqué dans l’examen, de relire les informations fournies.
Sur proposition conjointe du ministre et du ministre de la Santé publique, le Roi détermine, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, les examens médicaux qui peuvent être imposés à l’étranger en application du présent article.
§ 2. Si l’étranger ne se soumet pas volontairement à l’examen médical visé au paragraphe 1er et que l’objectif ne peut être atteint par des moyens moins coercitifs, l’examen médical peut être effectué par la contrainte.
Le recours à la contrainte lors de l’examen médical est exclu pour les mineurs étrangers. Le recours à la contrainte lors de l’examen médical ne se fait jamais en présence de mineurs étrangers.
Le recours à la contrainte est effectué par le délégué du ministre qui a reçu une formation spécifique à cet effet. Le Roi détermine le contenu de cette formation.
Le recours à la contrainte est soumis aux conditions prévues à l’article 37 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police. Le recours à la contrainte est adapté à la vulnérabilité de la personne.
Les moyens de contrainte autorisés sont la contrainte physique, la clef de bras et les menottes aux poignets et/ou aux pieds.
Tout recours à la contrainte lors d’un examen médical fait l’objet d’un rapport détaillé sans délai. Le délégué du ministre indique dans le rapport les moyens de contrainte utilisés, la durée du recours à la contrainte et la justification de celle-ci.
§ 3. L’examen médical visé au paragraphe 1er est effectué par du personnel médical qualifié.
Seul l’examen médical le moins invasif est effectué, compte tenu des conditions imposées par le pays de destination ou de transit, ou par le transporteur, et à condition qu’un tel examen soit disponible.
L’examen médical ne peut avoir un caractère vexatoire et est effectué dans le respect de la dignité de l’étranger. Si le personnel médical estime que l’examen est susceptible de mettre en danger la santé de l’étranger, il ne l’effectue pas.”.
[1] Voir par exemple l’article 90undecies, du Code d’instruction criminelle (analyse ADN) et l’article 524quater, § 2, du Code d’instruction criminelle (analyse de la possibilité de transmission d'une maladie contagieuse grave lors de la commission d'une infraction).
[2] Il faut sans doute lire « secrétaire d’État à l’Asile et la Migration », comme il est mentionné dans l’exposé des motifs (Doc. Parl., doc 55 3599/001, p. 15).