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Loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé – Difficultés et préoccupations déontologiques
Le Conseil national a effectué une étude de la Loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (Loi qualité).
Le 11 décembre 2021, il a formulé certaines préoccupations déontologiques relatives aux articles de la Loi qualité prévus d’entrer en vigueur de manière anticipée le 1er janvier 2022 au ministre de la Santé publique.
L’analyse intégrale de la Loi qualité a été achevée. Le Conseil national met cette étude à disposition en tant que document de travail explicatif pour toutes les personnes impliquées dans les soins de santé (voir document en annexe).
Avis du Conseil national :
Le Conseil national de l'Ordre des médecins a été informé de l'approbation par le Conseil des ministres du projet d'arrêté royal fixant une date d'entrée en vigueur pour un certain nombre d'articles de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé.
Une Commission a été créée au sein du Conseil national pour effectuer une étude de la Loi qualité du point de vue déontologique, juridique[1] et médical. Cette analyse sera finalisée dans les prochaines semaines et communiquée à titre d'information aux médecins. En outre, le Conseil national est convaincu que cette étude peut également constituer un document de travail utile, d’une part, pour la rédaction des nombreux arrêtés royaux relatifs à l’application de la Loi qualité, et, d’autre part, pour la concertation entre les différentes professions des soins de santé.
Par la Loi qualité, l’Ordre des médecins obtient de nouvelles compétences ainsi qu’un outil supplémentaire pour évaluer les actions des médecins.
Le Conseil national regrette que la Loi qualité soit considérée comme une lexspecialis. Compte tenu de la formulation générale des exigences de qualité, applicables à tous les professionnels des soins de santé, le Conseil national estime qu'il est plus approprié de considérer la loi comme une lex generalis, qui peut être détaillée dans une législation ultérieure et, pour les aspects spécifiques, dans des règlements spéciaux.
En prévision de l’entrée en vigueur et l’exécution de l’entièreté de la Loi qualité, le Conseil national souhaite vous informer de certaines préoccupations déontologiques importantes concernant les articles de la Loi qualité qui pourraient entrer en vigueur de manière anticipée le 1er janvier 2022.
Veuillez trouver ci-dessous les obstacles et explications concernant le chapitre 2 Définitions et champ d'application (artt. 2-3) et concernant le chapitre 3 Exigences relatives à la qualité de la pratique des soins de santé, section 1 - Liberté diagnostique et thérapeutique (artt. 4-7), section 2 - Compétence et visa (artt. 8-11), section 3 - Caractérisation (artt. 12-13), section 4 - Encadrement (art. 14), section 5 - Anxiolyse et anesthésie (artt. 15-16), section 6 - Continuité (artt. 17-20), section 8 - Prescription (artt. 27-30) et section 11 - Dossier du patient (artt. 33-35).
Le Conseil national est prêt à poursuivre la concertation en vue de l'entrée en vigueur et l’exécution de la Loi qualité et reste à votre disposition, dans l'intérêt de la qualité des soins pour le patient.
Considérations et préoccupations déontologiques de l’Ordre des médecins
Concerne : loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (loi qualité), articles qui pourraient entrer en vigueur de manière anticipée le 1er janvier 2022.
Chapitre 2 – Définitions et champ d’application (artt. 2-3)
Le Conseil national est d'avis que, de manière générale, les descriptions des concepts et définitions de la loi qualité peuvent prêter à confusion au sein du corps médical.
La définition de la « prestation à risque » est insuffisamment développée et trop restrictive. Il existe de nombreuses autres prestations qui sont considérées comme « risquées » d'un point de vue médical, mais qui ne seront pas qualifiées de « prestations à risque » selon la définition de loi qualité.
Une définition claire des différentes formes d'anesthésie, en concertation avec les associations professionnelles compétentes, est recommandée.
Enfin, on peut noter que la loi qualité accorde une grande attention aux professionnels des soins de santé qui réalisent des prestations sous anesthésie. Toutefois, cette attention particulière ne doit pas conduire à la stigmatisation de ce groupe. Il est étrange qu'une loi qualité dont le champ d'application est très large et qui comporte de nombreuses exigences générales en matière de qualité consacre un chapitre entier aux professionnels des soins de santé qui réalisent des prestations sous anesthésie. Le Conseil national est donc d'avis que la Section - Anxiolyse et anesthésie devrait plutôt être publiée sous forme d'un arrêté royal, en concertation avec les associations professionnelles compétentes des médecins spécialistes en anesthésie et réanimation.
Chapitre 3 Exigences relatives à la qualité de la pratique des soins de santé, section 1 - Liberté diagnostique et thérapeutique (artt. 4-7)
Il est positif que certaines limites déontologiques à la liberté diagnostique et thérapeutique trouvent un ancrage légal via la loi qualité. Comme le montrent la législation existante et l'article 7 du Code de déontologie médicale, la liberté diagnostique et thérapeutique est une liberté réglementée et conditionnée.
Cependant, à l’estime du Conseil national, les critères mentionnés à l'article 4 de la loi qualité par lesquels le professionnel des soins de santé se laisse guider, principalement les données scientifiques pertinentes, son expertise et les préférences du patient, manquent de clarté.
Le commentaire de l'article 7 du Code de déontologie médicale dispose que ce ne sont pas les préférences du patient mais bien son intérêt qui prime. D'un point de vue déontologique, le médecin tient compte de l'autonomie du patient et ne considère pas seulement l'état de santé du patient, mais aussi sa situation personnelle, ses besoins et ses préférences. À cet égard, le Code de déontologie médicale est plus large que la loi qualité.
Chapitre 3, section 2 - Compétence et visa (artt. 8-11)
Le Conseil national note tout d'abord l'absence de définition claire du terme « compétence ». Cette lacune pourrait avoir une incidence considérable sur la pratique des professionnels des soins de santé et entraîner des conséquences graves, telles que le retrait ou la suspension de leur visa.
Le Conseil national craint que ce critère ne donne lieu à des évaluations arbitraires de la qualité des soins. Le Conseil national préconise l'examen par des « pairs ». L'article 41 de la loi qualité ne prévoit qu'une évaluation limitée des prestations à risque. En outre, la manière dont cette disposition sera concrétisée dans la pratique n'est toujours pas claire.
L'exposé des motifs de la loi qualité lie ce concept au critère de « bon père de famille », mais le Conseil national note que cette notion existait déjà et qu'il n'était pas nécessaire de la transposer dans la Loi qualité.
Le concept de « compétence » ne doit pas être confondu avec celui de « qualification ». La compétence est l'autorisation légalement définie d'effectuer certains actes. Un médecin peut être légalement compétent pour effectuer un acte médical sans être qualifié pour le faire. À l'inverse, un professionnel des soins de santé peut disposer de la qualification pour effectuer un acte sans être compétent pour le faire.
Il convient également d'accorder une attention particulière à la distinction entre « compétence » et « qualification » dans les textes en langue française, où « compétence » est utilisé pour désigner indistinctement les deux concepts.
En outre, le Conseil national considère que le concept de « qualification » est étroitement lié au développement professionnel continu et au recyclage permanent que le médecin est tenu de suivre (fitness to practise). Dans les articles 3 et 4 du Code de déontologie médicale et leurs commentaires, le Conseil national souligne cette obligation comme étant essentielle pour la qualité des soins et la sécurité des patients. Le Conseil national demande instamment que cette exigence de qualité soit explicitement incluse pour tous les professionnels des soins de santé lors de la mise en vigueur de la Loi qualité.
Enfin, il ressort de l'exposé des motifs que le portfolio constitue une obligation supplémentaire pour le professionnel des soins de santé, en plus du système d'accréditation déjà existant. Le Conseil national demande une clarification du contenu concret de cette obligation supplémentaire.
Dans un souci de sécurité juridique pour le professionnel des soins de santé, il est important d'éviter les concepts généraux et vagues. Il faut les expliquer plus clairement. L'Ordre des médecins est prêt à collaborer à l'élaboration de définitions claires.
Chapitre 3, section 3 - Caractérisation (artt. 12-13)
Le Conseil national souligne que l'anamnèse approfondie du patient est la pierre angulaire de la démarche déontologique du médecin afin d'assurer une médecine de qualité.
Il estime que la caractérisation en elle-même sera toujours pertinente, même si le médecin fournit des soins de santé à faible risque. Une prestation de soins de santé à faible risque peut, dans certains cas, devenir une prestation à haut risque, en raison de l'état de santé du patient. Le critère ne peut se baser sur « faible » ou « haut » risque. En outre, il n'est pas facile pour les médecins d'évaluer précisément les risques à l'avance.
Par conséquent, le Conseil national est d'avis que le concept de caractérisation « pertinente » devrait être mieux défini, également en vue d'une évaluation de cette obligation qui ne peut être effectuée de manière arbitraire.
Chapitre 3, section 4 - Encadrement (art. 14)
Le Conseil national se réjouit que ce principe déontologique, que l’on retrouve à l'article 8 du Code de déontologie médicale, soit désormais également inscrit dans la loi. Toutefois, des ambiguïtés et des incertitudes juridiques subsistent. Ainsi, l’encadrement auquel est soumis le professionnel des soins de santé, par exemple un médecin hospitalier, et dont il est responsable, interfère avec celui organisé par les institutions. Dans quelle mesure cette obligation très large s'applique-t-elle à un médecin hospitalier ? Le Conseil national préconise une interprétation conforme à la norme générale de prudence. Cela signifie que le médecin ne doit pas vérifier toutes les règles prévues par les normes d’agrément, mais qu'il doit seulement agir comme un médecin diligent qui vérifie si les soins peuvent être dispensés de manière sûre et qualitative. Le médecin exerçant en cabinet privé assume lui toutes les responsabilités d’encadrement, comme expliqué dans l'exposé des motifs.
En outre, le Conseil national note qu'un concept très large et très vague est utilisé à nouveau. On pourrait déduire de l'exposé des motifs que le personnel administratif n'entre pas dans le champ d'application de la notion d’« encadrement ». Toutefois, le commentaire de l'article 8 du Code de déontologie médicale dispose que « Le médecin s'entoure de collaborateurs qualifiés, attentifs à leur formation continue et informés de leurs obligations professionnelles, notamment sur le plan du respect du secret professionnel ». En ce sens, le Code de déontologie médicale est plus large, car il couvre à la fois le personnel administratif et le personnel médical.
Chapitre 3, section 5 - Anxiolyse et anesthésie (artt. 15-16)
Le Conseil national réfère à ses observations concernant les articles 2 et 3 de la Loi qualité. En plus de la stigmatisation qui peut résulter des exigences de qualité détaillées spécifiquement pour les professionnels des soins de santé qui réalisent des prestations sous anesthésie, ce chapitre est source de confusion au sein du corps médical.
La Commission Loi qualité du Conseil national a consulté des spécialistes du domaine et a constaté que même dans cette section de la Loi qualité, des termes manquent encore ou doivent être définis, comme la « sédation profonde ».
D'une manière générale, le Conseil national est d'avis que l'entrée en vigueur de ces dispositions relatives à l'anxiolyse et à l'anesthésie doit être précédée d'une concertation approfondie avec les organisations concernées, entre autres l’Association professionnelle belge des médecins spécialistes en anesthésie et réanimation, la Society for anesthesia and resuscitation of Belgium et la Belgian Society of Intensive Care Medicine. Ces associations ont déjà élaboré un nombre considérable de directives, notamment les Belgian standards for patient safety in anesthesia, afin d'optimiser et de garantir la sécurité et la qualité dans la pratique de l'anesthésie.
Chapitre 3, section 6 - Continuité (artt. 17-20)
Le Conseil national souligne que le concept vague de « compétence » joue également un rôle essentiel dans l'obligation de garantir la continuité des soins.
La Loi qualité, contrairement à la loi coordonnée du 10 mai 2015, ne mentionne pas que la continuité des soins doit être assurée par « un médecin spécialiste porteur du titre professionnel », mais par « un professionnel des soins de santé appartenant à la même profession des soins de santé et disposant de la même compétence ». L'exposé des motifs confirme que « ce professionnel des soins de santé ne doit pas nécessairement disposer du même titre professionnel, mais de la même compétence ». D'une part, cet élargissement ou cet assouplissement permet au médecin d'assurer plus facilement la continuité des soins, notamment au sein des quelques spécialités avec un faible nombre des spécialités existantes. D'autre part, elle implique une plus grande responsabilité pour le médecin. Le médecin doit s'assurer que le médecin qu'il désigne pour assurer la continuité des soins est « compétent ».
Bien que l'article 20 de la Loi qualité ne fasse pas partie des articles susceptibles d'entrer en vigueur de manière anticipée le 1er janvier 2022, le Conseil national vous confirme qu'il prépare la nouvelle compétence qui lui est attribuée concernant la conservation des dossiers patients des médecins qui ne sont plus en mesure d’assurer la continuité des soins.
Le Conseil national envisage un système en cascade pour le transfert des dossiers patients, axé sur un dispositif permettant le transfert des dossiers d’un médecin vers un autre disposant du même titre professionnel. A défaut le Conseil national assurera la conservation.
Récemment, à la demande de nombreux médecins, l'Ordre des médecins a mis au point un coffre-fort des mots de passe sécurisé et conforme au RGPD, qui garantit l'accès aux dossiers patients même lorsqu'un médecin n'est plus en mesure d’y accéder.
Chapitre 3, section 8 - Prescription (artt. 27-30)
Le Conseil national soutient le nouveau concept de prescription collective, qui peut améliorer la qualité des soins.
Toutefois, l'application pratique de ce concept doit encore être concrétisée dans le contexte des accords de coopération. Les responsabilités des professionnels des soins de santé impliqués doivent également être clarifiées.
Enfin, les prescriptions collectives ne doivent pas restreindre la liberté de choix des patients.
Chapitre 3, section 11 - Dossier du patient (artt. 33-35)
Le Conseil national regrette que la Loi qualité n'ait pas saisi l’occasion d'unifier les réglementations fragmentées concernant le dossier du patient. Il convient également d'examiner si d'éventuelles lacunes, telles que, par exemple, le statut vaccinal du patient, dans l'énumération de l'article 33 peuvent encore être comblées.
En outre, le Conseil national est d'avis que l'article 33, alinéa 15, de la Loi qualité qui ne mentionne que les médicaments liés à la chirurgie, est incomplet. Qu'en est-il des autres médicaments, en particulier des médicaments susceptibles d'entraîner une dépendance ? Le Conseil national souligne l'importance et l'attention portées à la question de la toxicomanie.
En outre, le Conseil national estime qu'il est souhaitable d'inclure toutes les « complications » (article 33, alinéa 16, Loi qualité) dans le dossier du patient, même celles qui n'ont pas entraîné de traitement supplémentaire. Le Conseil national préconise une communication transparente concernant tous les incidents pertinents survenus au patient et se réfère à cet égard à son récent avis Soutien du Raamwerk Open Disclosure de la Vlaams Patiëntenplatform (a168023) du 20 novembre 2021.
Le Conseil national souligne l'importance de la conservation sécurisée des données traitées de manière électronique et couvertes par le secret professionnel. Le risque de fuites ou d'accès non autorisé aux données doit être évité. Lorsque le dossier est détruit, la confidentialité du contenu du dossier doit être garantie.
Enfin, le Conseil national encourage toutes les parties prenantes à envisager une vision idéale d'un dossier électronique unique dans le cloud, correctement sécurisé et établi dans un logiciel uniforme pour toutes les lignes.
[1] Le Conseil national approuve dans une large mesure l'étude publiée dans Vansweevelt, T., et al., De Kwaliteitswet, Reeks Gezondheidsrecht 23, Brussel, Intersentia, 2020.
Patient insolvable – Obligation déontologique du médecin
En sa séance du 19 octobre 2019, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné si un médecin est déontologiquement contraint de soigner un patient insolvable.
La Constitution belge dispose que chacun a le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique (article 23, troisième alinéa, 2°, Constitution belge). Il se fait néanmoins que certaines personnes ne bénéficient pas à un moment donné de la sécurité sociale. Il s'agit en particulier des patients sans domicile, des personnes non assurées et des personnes en séjour illégal.
Malgré les systèmes de protection que sont les CPAS et la CAAMI, les médecins peuvent se retrouver face à des patients complètement démunis de moyens de paiement.
L'Ordre des médecins est interrogé sur l'attitude à adopter si, après la mise en route d'un traitement, il apparaît qu'aucune instance ne prend en charge les honoraires et frais engagés et que le patient n'a pas de fonds propres.
Il lui revient que, dans certains hôpitaux, les frais seraient réclamés au médecin hospitalier lui-même. Pourtant, le BMF (budget des moyens financiers des hôpitaux) prévoit un poste de financement destiné à l'accompagnement des patients avec problèmes sociaux ou financiers (le B8). Le montant de ce poste est calculé sur la base des caractéristiques socio-économiques des patients admis.
Des patients bénéficiant de la sécurité sociale peuvent avoir des difficultés à assumer les frais engendrés par leur état de santé et leur traitement.
Les autorités ont pris des mesures pour prévenir ces situations, dont le maximum à facturer (MAF), le tiers payant automatique et les avantages financiers liés au dossier médical global et au renvoi vers un spécialiste par un généraliste. Il y a également le Fonds spécial de solidarité(1).
La loi relative aux droits du patient stipule que le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à des prestations de qualité répondant à ses besoins (art. 5, Loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient).
Le Code de déontologie médicale précise que le médecin soigne avec la même conscience et sans discrimination tous les patients (art. 30, Code de déontologie médicale 2018).
Ce principe déontologique de non-discrimination signifie que le médecin ne peut jamais faire dépendre sa décision de prendre en charge un patient de la situation financière de celui-ci. Le médecin ne peut pas faire de discrimination basée sur le patrimoine et a, en outre, le devoir de traiter avec la même qualité tous ses patients.
Chaque patient doit avoir accès au système de soins et a droit à tous les soins nécessaires à une vie conforme à la dignité humaine. Le médecin peut devoir orienter le patient, après lui avoir administré les soins urgents nécessaires, vers les instances spécialement mises en place pour assurer l'aide aux personnes insolvables. Cette situation existe dans une ville comme Bruxelles où les CPAS ont des accords avec certains hôpitaux. Un patient admis dans l'institution « la plus proche » peut devoir être transféré vers une institution agréée par le CPAS dont il dépend.
En pratique, le Conseil national ne peut définir d'attitude uniforme à adopter face aux situations de précarité et d'insolvabilité en ce qui concerne tant l'accès aux soins que la procédure de recouvrement des factures de soins.
Pour trouver la meilleure solution face aux cas particuliers, que ce soit dans le cadre des soins hospitaliers ou des cercles de médecins généralistes, on pourrait mettre en place des « groupes de réflexion » qui pourraient élaborer des directives concernant l'accès aux soins de qualité pour tous les patients et réfléchir au budget à y consacrer et aux modalités de recouvrement des factures de soins impayées.
Lors de l'élaboration des directives, le respect de la dignité humaine doit rester la règle de base. En effet, il est ici question du droit aux soins d'un groupe particulièrement vulnérable de la population.
Pour les soins hospitaliers, le groupe de réflexion pourrait se composer d'un médecin traitant, d'un membre du comité d'éthique, d'un délégué du conseil médical, du médecin-chef et du directeur financier ou administratif ou de l'un de ses représentants. Les services sociaux compétents pourraient aussi être consultés dans ce cadre. Au vu de la complexité des statuts légaux(2), il est préférable d'impliquer également le juriste hospitalier dans cette matière.
Pour la première ligne, ce groupe de réflexion pourrait se composer du président du cercle de médecins généralistes, d'un éthicien, d'un ou de plusieurs médecins généralistes, ainsi que d'un travailleur social et/ou d'un juriste.
Le groupe de réflexion se réunirait de façon ad hoc. Il respecterait le secret professionnel et le Règlement général sur la protection des données(3).
(2) https://www.riziv.fgov.be/fr/themes/cout-remboursement/facilite-financiere/Pages/default.aspx#.XYCQD2bLi70 ; http://www.agii.be/thema/vreemdelingenrecht-internationaal-privaatrecht/sociaal-medisch/wie-betaalt-welke-medische-kosten/medische-kosten-per-betalingsregeling; http://www.agii.be/thema/vreemdelingenrecht-internationaal-privaatrecht/sociaal-medisch/wie-betaalt-welke-medische-kosten/medische-kosten-per-verblijfssituatie
(3) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
Téléconsultation en vue de poser un diagnostic et de proposer un traitement
TELECONSULTATION
Le développement de l'e-santé amène à considérer le bénéfice de l'intégration des actes de télémédecine, dont la téléconsultation, dans le système belge des soins de santé. Cela suscite des questions portant notamment sur la qualité des soins, le bien-être des patients, les critères technologiques et fonctionnels, le cadre juridique, la rémunération des prestataires, le remboursement des soins et les règles de bonne conduite(1).
L'Ordre des médecins est régulièrement interrogé concernant les recommandations déontologiques qui doivent guider la téléconsultation.
La téléconsultation médicale est communément définie comme la consultation réalisée de manière simultanée, au moyen de technologies de l'information et de la communication (T.I.C.), entre un patient et un médecin qui sont à des endroits différents. Elle fait partie de la télémédecine qui intègre diverses pratiques en cours de développement dont la télésurveillance, la téléassistance, la téléexpertise et le télémonitoring(2).
Le présent avis porte sur la téléconsultation en vue de poser un diagnostic et de proposer un traitement.
1. La téléconsultation est une forme d'exercice de la médecine. Elle est de ce fait soumise aux règles éthiques, légales et déontologiques propres à l'exercice de l'art médical.
Le recours à la consultation médicale à distance est légitime à condition d'être motivé par l'amélioration du bien-être et de la prise en charge du patient. Son organisation dans un contexte défini doit être précédée d'une analyse des risques et des bénéfices pour les patients.
2. La téléconsultation ne peut résulter d'une démarche commerciale davantage axée sur le profit que sur la qualité des soins, l'intérêt du patient et la santé publique(3). Le confort du patient et son bien-être auquel peut contribuer le recours à la télémédecine s'apprécient au regard du bénéfice pour sa santé, et non sur la base de critères de nature purement consumériste.
3. La technologie ne peut faire oublier les valeurs humanistes de la profession médicale. La relation de soin est par essence une relation interpersonnelle fondée sur le respect de la dignité et de l'autonomie du patient. Le secret médical, la protection de la vie privée et les droits du patient, dont le libre choix du médecin et le consentement à la téléconsultation, doivent être garantis.
4. La pratique de la téléconsultation doit reposer sur un raisonnement médical adapté à la consultation à distance et fondé sur des protocoles validés scientifiquement.
Dans ses avis antérieurs(4), le Conseil national a insisté sur la nécessité d'un contact physique avec le patient pour établir un diagnostic. Poser un diagnostic est l'aboutissement d'une démarche hypothético-déductive(5-6). Le médecin cherche l'explication de la plainte du patient en recueillant des symptômes lors de l'anamnèse et des signes cliniques lors de l'examen physique. L'hypothèse de diagnostic du médecin pourra être confirmée par des examens complémentaires. Ce mode de raisonnement doit être privilégié, en particulier en cas de situation médicale complexe.
Il est néanmoins des situations où la plainte permet d'emblée d'évoquer un diagnostic de probabilité (« spot diagnosis/raisonnement expert ») et de proposer une solution thérapeutique. Ces démarches rapides sont adaptées en présence d'un tableau clinique paradigmatique d'une pathologie fréquente. Cette approche comporte toutefois des risques.
La médecine de catastrophe et la médecine d'urgence, où la rapidité de la démarche s'impose, ont conduit à développer un autre mode de raisonnement : le médecin apprend à reconnaître d'emblée les signes de gravité (« red flags », « signes d'alerte »(7)). Le médecin normalement prudent et diligent ne peut méconnaître ces signes de gravité(8). Ce type de raisonnement médical est appliqué dans le « triage », notamment des appels téléphoniques urgents.
La téléconsultation doit reposer sur un raisonnement médical adapté à la consultation à distance et validé scientifiquement, auquel le professionnel doit avoir été formé, pour prévenir les risques inhérents à ce type de pratique.
Le médecin doit également être correctement préparé à la gestion de la téléconsultation(9).
5. Les T.I.C. utilisées et le support logistique doivent être appropriés à la finalité poursuivie, aux spécificités du contexte et aux utilisateurs (pathologie, image, appareils de mesure connectés, présence d'un professionnel de la santé auprès du patient, etc.).
Les aptitudes du médecin et du patient à utiliser l'outil technologique et les aptitudes du patient sur le plan de la communication (audition, maîtrise de la langue, compréhension du vocabulaire médical et anatomique, auto-examen physique, stress, etc.) sont à prendre en considération.
L'efficience et la pertinence de l'outil requièrent une concertation préalable entre les concepteurs et les utilisateurs. Une évaluation régulière est indispensable.
Le médecin garde son indépendance professionnelle. Il renonce à une téléconsultation s'il la juge inopportune, quelle qu'en soit la raison. Il a conscience des limites de ce type d'acte et maîtrise les signes qui justifient le renvoi immédiat du patient vers une consultation en présence d'un médecin.
6. Le médecin vérifie que l'usage qu'il fait de la téléconsultation dans le cadre de sa pratique est couvert par son assurance en responsabilité professionnelle.
Le médecin utilise un matériel adapté, qui offre des garanties de qualité et de sécurité sur les plans technique et fonctionnel. L'utilisation d'applications mobiles dotées du marquage CE et d'une police de confidentialité qui garantit le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) est fortement recommandé.
Des normes obligatoires de qualité, de sécurité et de fiabilité associées à des marquages, des certifications et des labellisations sont indispensables. L'information des professionnels de la santé par les autorités publiques quant aux marquages et labels de référence doit être optimalisée.
7. Le potentiel de la télémédecine offre de nombreuses perspectives positives en tant qu'outil complémentaire dans le cadre d'un parcours de soins pour en améliorer la qualité.
8. La consultation en présence du médecin et du patient demeure la meilleure pratique.
Une consultation à distance, si elle apparaît facile d'utilisation, n'a pas la précision d'une consultation en présence du patient et du médecin et n'offre dès lors pas la même sécurité sur le plan du diagnostic et de la prescription médicamenteuse.
La téléconsultation doit être justifiée par une situation particulière qui entraîne dans le chef du patient un avantage à substituer la téléconsultation à la consultation en face à face.
L'accès à un médecin étant généralement aisé en Belgique, les situations où la téléconsultation médicale est justifiée par une difficulté d'accès aux soins sont limitées.
Il convient de s'enquérir de la motivation du patient à recourir à la téléconsultation, afin de s'assurer que la téléconsultation est effectivement une réponse adéquate à ses attentes. Le médecin a le devoir d'informer le patient des limites de la télémédecine.
Du point de vue de la qualité et de la sécurité des soins, la téléconsultation qui a pour objet de poser un diagnostic, un pronostic et de proposer une thérapeutique nécessite que le médecin a) connaisse le patient, b) ait accès aux informations médicales le concernant (dossier médical) et c) soit en mesure d'assurer la continuité des soins.
Il faut évidemment que la prise en charge de la pathologie soit compatible avec une téléconsultation (maladie chronique, etc.).
En conclusion, le Conseil national n'a pas d'objection à l'intégration de la téléconsultation dans le système des soins de santé moyennant un cadre scientifique et juridique et des protocoles validés, qui tiennent compte des aspects précités.
(1) Workshop interactif du 21 juin 2019 organisé par l'INAMI
Sénat de Belgique, Rapport d'information concernant la nécessaire collaboration entre l'autorité fédérale et les Communautés en ce qui concerne les nouvelles applications en matière de soins de santé et notamment de santé mobile, Session 2017-2018, 12 mai 2017, dossier n° 6-261
(2) CLARK R., INGLIS S., Mc ALISTER F., CLELAND J., STEWART S., Telemonitoring or structured telephone support programmes for patients with chronic heart failure: systematic review and meta-analysis, BMJ, doi:10.1136 (published 10 April 2007)
(3) WATSON J., Proliferation of private online healthcare companies, BMJ 2016; 352: i1076 (Published 23 February 2016)
EATON L., The long road to patient co-production in telehealth services, BMJ 2019;366: l4770 (Published 25 July 2019)
(4) A087005, a111003, a148006, a153005, a157008
(5) GUILBERT J.J., Comment raisonnent les médecins, Editions Médecine et Hygiène, Genève, 1992
(6) MASQUELET A.C., Le raisonnement médical, Coll. Que sais-je ?, PUF, Paris, 2006
(7) Williams C.M., Henschke N., Maher C.G., van Tulder M.W., Koes B.W., Macaskill P., Irwig L., Red flags to screen for vertebral fracture in patients presenting with low-back pain, Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 1. Art. No.: CD008643. DOI: 10.1002/14651858.CD008643.pub2
(8) GP who failed to act on red flags for cauda equina syndrome breached duty
Clare Dyer - BMJ 2019; 364: l1231 (Published 18 Mar 2019)
(9) Notamment en ce qu'elle nécessite de mener un examen physique indirect, de disposer d'une plage horaire suffisante et du matériel nécessaire (T.I.C., kit mains libres, etc.), de compenser la communication non verbale par l'expression accrue de son empathie et de son support, d'être attentif à l'environnement dans lequel le patient se trouve (intimité, entend-il correctement les instructions, etc.), au contact direct avec le patient en cas d'intervention d'une tierce personne (patient mineur, personne désorientée), au statut de l'appelant (patient, personne de confiance, tiers) et à ses propres attentes et émotions, au recueil du consentement du patient à cette téléconsultation, à l'information du patient sur la manière d'agir face à une détérioration de son état et aux signes de celle-ci, etc.