Arrêt de la Cour de Cassation sur le secret professionnel et la protection des mineurs - art. 458 et 458bis du Code pénal.
En sa séance du 11 décembre 2021, le Conseil national de l’Ordre des médecins a examiné les conséquences sur le plan déontologique de l'arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 2021, n° D.18.0015.N.
Dans son arrêt du 26 mars 2021, la Cour de cassation ajoute des conditions supplémentaires aux exceptions au secret professionnel prévues à l'article 458bis du Code pénal et à la règle du patient-victime.
Cet avis commente les conditions supplémentaires telles que déterminées par la Cour, du point de vue déontologique du médecin.
- Article 458bis du Code pénal
L'article 458bis du Code pénal dispose que le médecin qui a connaissance d'une infraction spécifique[1], commise sur un mineur ou une personne vulnérable, peut en informer le procureur du Roi, soit lorsqu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité physique ou mentale du mineur ou de la personne vulnérable, et qu'elle n'est pas en mesure, seule ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité, soit lorsqu'il y a des indices d'un danger sérieux et réel que d'autres mineurs ou personnes vulnérables soient victimes des infractions visées et qu'elle n'est pas en mesure, seule ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité.
La Cour de cassation a considéré dans son arrêt du 26 mars 2021 que « l'article 458bis du Code pénal n'est pas applicable dans le cas où un professionnel des soins de santé n'a eu un contact qu’avec la victime d'une infraction au sens de cet article ». En d'autres termes, le médecin ne peut invoquer l'exception prévue par l'article 458bis du Code pénal que s'il a été en contact avec l'auteur et la victime de l'infraction.
La nouvelle condition imposée par la Cour de Cassation est problématique par rapport à la position déontologique adoptée par l’Ordre jusqu'à présent.
Le médecin a une fonction de soin et une fonction de protection. Conformément à l'article 29 du Code de déontologie médicale, le médecin, après avoir administré les soins nécessaires, doit protéger le patient mineur ou vulnérable qui a potentiellement été victime d'une infraction grave. Il s'agit de mettre le patient en sécurité, de discuter avec lui du problème et de l'encourager à prendre des initiatives. Le cas échéant, le médecin signale le problème aux autorités compétentes, pour autant que les conditions prévues à l'article 458bis du Code pénal soient remplies ou que le médecin puisse s’appuyer sur une autre exception légale ou jurisprudentielle au secret professionnel.
Il n'appartient pas au médecin d'assumer le rôle d’officier de police judiciaire. Le médecin a un devoir déontologique de neutralité et doit s'abstenir de porter un jugement sur un éventuel auteur.
Par conséquent, la condition supplémentaire posée par la Cour de cassation est difficilement applicable en pratique.
- La règle du patient-victime
Il s’agit d’une exception au secret professionnel, conformément à une jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. Selon cette jurisprudence, le secret professionnel du médecin ne saurait être étendu à des faits dont le patient a été la victime.[2]
La Cour de cassation a jugé le 26 mars 2021 que la règle du patient-victime n'est applicable que « dans un cas où le professionnel des soins de santé n'est entré en contact qu'avec cette victime ». En d'autres termes, le médecin ne peut pas invoquer la règle du patient-victime s'il a également été en contact avec l'auteur des faits.
Le Conseil national a déjà critiqué le caractère absolu la règle patient-victime[3]. Le secret professionnel a pour but de protéger la relation de confiance entre le médecin et le patient. Toute situation dans laquelle le secret professionnel est mis en cause doit être appréciée par le médecin sur la base des exceptions légales, notamment l'article 458bis du Code pénal et l'état de nécessité. Le simple fait que le patient ait été victime d'une infraction ne constitue pas une raison suffisante pour que le médecin rompe le secret professionnel et en informe les autorités compétentes. Le Conseil national se range à cet avis, sans préjudice de la condition supplémentaire posée par la Cour.
[1] Ces infractions concernent entre autres certaines formes de voyeurisme, les attentats à la pudeur ou les viols, certains fait liés à la prostitution, certains faits liés à la pédopornographie, les meurtres, les coups et blessures volontaires, les mutilations génitales, les délaissements de mineurs, les traites d’êtres humains, etc.
[2] Cass. 18 juin 2010 ; Cass. 22 mai 2012 ; Cass. 31 octobre 2012.
[3] Avis du Conseil national de l’Ordre des médecins du 4 juillet 2015 « Respect du secret médical lorsque le médecin apprend que son patient a été victime d’une infraction »