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Déontologie

L'ordre public et le secret médical

L'ORDRE PUBLIC ET LE SECRET MEDICAL

Dr J. FARBER

La tradition médicale occidentale fait remonter le respect du secret médical au Serment d'Hippocrate. La lecture du texte original permet d'avoir au moins des doutes à cet égard.

Le médecin y fait en effet serment de ne pas révéler les "choses dont on ne peut parler" et ceci peut aussi bien viser les secrets de l'Art médical que ceux des patients si l'on veut bien se souvenir du caractère ésotérique de la secte hippocratique. Tout le long de son histoire, la médecine a d'ailleurs conçu le respect du secret plutôt comme un devoir de réserve et c'est un peu cette tendance que l'on perçoit encore de nos jours dans certaines occasions.

Lorsque le médecin de Churchill, Lord Moran, s'est vu reprocher d'avoir révélé dans ses mémoires la rapide dégradation physique et mentale de son illustre patient Winston Churchill, il s'agissait bien moins de violation de secret que de manque de discrétion. Devant le caractère pénible de la fin de certains de nos grands hommes, I'opinion publique semble trouver indécentes les révélations trop précises.

Le principe du caractère absolu du secret médical est une notion beaucoup plus moderne. Elle est inspirée d'une part par le respect du droit de l'homme à son intimité et à la protection du secret des faits dont il ne désire pas qu'ils soient connus et, d'autre part, et peut‑être surtout, aux progrès de la médecine qui ont introduit une notion nouvelle à laquelle il est important de réfléchir.

Il est traditionnel d'affirmer que le patient doit pouvoir se confier sans crainte et sans détour à son médecin sans lui cacher quoi que ce soit de sa vie la plus intime en faisant ainsi un confident privilégié et l'on compare à tort ou à raison ce caractère confidentiel au secret de la confession.

Mais il arrive aussi que les médecins au cours de leurs examens découvrent une situation qu'ils ne désirent pas, à tort ou à raison, porter à la connaissance de leurs patients. Ils sont dès lors dépositaires d'un secret dont il est impossible aux patients de les délier puisqu'ils ne le connaissent pas. C'est pourquoi, et en particulier en Belgique, pour éviter à la fois les tentations, les bavardages inconsidérés ou les révélations pour des raisons quelconques, on estime depuis près d'un siècle que le secret médical est absolu et l'on ajoute même qu'il est d'ordre public.

A propos de ce dernier terme, il existe une différence d'appréciation entre les médecins et les juristes. Ces derniers ont de l'ordre public une définition que les médecins ne partagent pas nécessairement. Pour nous, dire que le secret médical est d'ordre public, c'est dire qu'il est institué non pas en faveur du médecin ou du patient, mais en raison de l'utilité publique qu'il y a pour l'ensemble des citoyens à ce qu'il en soit ainsi. Dès lors, pour nous le secret n'appartient ni au patient ni au médecin, et personne n'a le pouvoir d'en délier le médecin.

Cette définition peut paraître exempte de nuances mais la pratique quotidienne nous enseigne que c'est la seule attitude qui réponde à toutes les nécessités.

La doctrine française selon laquelle le secret est institué dans l'intérêt du patient fait du médecin le juge de cet intérêt. La doctrine des pays nordiques ou germaniques, suivant laquelle le secret médical appartient au patient, ne répond pas à l'objection de l'ignorance du patient, parfois regrettable, de son état.

Enfin, il est utile de tenir présent à l'esprit que la médicalisation actuelle de la vie en société rejette vers le corps médical toutes sortes de responsabilités qui n'ont rien à voir avec la pratique de l'Art de Guérir. Il n'est pas de médecin dans nos pays occidentaux à qui il n'est pas demandé plusieurs fois par jour d'élaborer des certificats donnant droit soit à des avantages sociaux, soit à des exemptions, soit à des traitements préférentiels dans la vie communautaire. On ne saurait assez déplorer cette tendance. Elle met souvent les médecins face à des dilemmes insolubles. Comment par exemple apprécier l'incapacité de travail d'un patient dont les plaintes subjectives sont difficilement objectivables lorsque le médecin ignore la nature exacte du travail dont le patient veut se faire exempter ? Comment répondre à des demandes de renseignements concernant l'état de santé d'un patient sans, à chaque certificat, entreprendre une étude complète nécessitant une mise en observation hospitalière de plusieurs jours ?

Ces situations ne font qu'entraîner des conflits d'intérêt préjudiciables aux bons rapports entre médecin et malade. On ne saurait assez le répéter: le patient ne demande jamais un certificat véridique, il exige sans restriction aucune un "bon" certificat, c'est‑à‑dire un certificat qui facilite l'obtention des avantages recherchés.

Il est par exemple facile de voir que dans les pays où le patient peut délier le médecin de son secret, la grande majorité des certificats fournis aux patients sont le fruit onéreux de la complaisance, loin de la vérité la plus élémentaire.

Les relations difficiles que connaissent depuis longtemps les Ordres et les préposés des compagnies d'assurances montrent assez le caractère indispensable du maintien de cette notion plus utile de nos jours que jamais dans l'Histoire de la médecine, celle du caractère absolu du secret médical.

La compagnie d'assurances couvre un risque, c'est‑à‑dire un événement dont la fréquence peut être évaluée mais dont la probabilité, cas par cas, est évidemment très faible. Supprimer ce risque, c'est supprimer la nécessité de l'assurance. S'il existait un instrument permettant de prévoir avec exactitude le moment du décès, il n'y aurait plus d'assurance‑vie.

En fournissant des renseignements avec ou sans l'accord du patient, le médecin, tierce partie étrangère à un contrat pour lequel on ne lui a jamais demandé son accord, contribue à accroître les bénéfices de la compagnie d'assurances, ce qui n'est pas son rôle. Si la compagnie d'assurances éprouve des doutes, il lui incombe, et à ses frais, d'établir l'inexactitude de la déclaration des ayants droit en s'entourant au besoin de l'avis d'experts qui ne sauraient être les médecins traitants de l'assuré.