Le médecin et les mineurs d'âge
LE MEDECIN ET LES MINEURS D'AGE
Le Conseil national a été consulté sur la question suivante: un médecin peut‑il prescrire un contraceptif à une jeune fille mineure et à partir de quel âge, sans le consentement des parents et sans que ceux‑ci soient mis au courant ?
Cette question pose un double problème.
D'une part, un médecin consulté par un mineur peut‑il ou doit‑il observer le secret professionnel à l'égard des parents ?
D'autre part, quels sont les actes médicaux qu'un médecin peut accomplir à l'égard d'un mineur d'âge sans le consentement des parents de celui‑ci ?
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En ce qui concerne le secret professionnel, le Code de déontologie dispose, en son article 55: «Le secret professionnel auquel le médecin est tenu est d'ordre public. Il s'impose dans quelque circonstance que ce soit aux praticiens consultés par un patient ou amenés à lui donner des soins ou des avis».
L'article 62 précise cependant que «la communication d'un diagnostic ou de renseignements médicaux peut se faire dans les limites strictes absolument indispensables: a) au représentant légal ou de fait du patient incapable ou inconscient... La confidence d'un patient ne sera jamais révélée».
L'article 61 prévoit, en outre: «Lorsque le médecin estime qu'un mineur est l'objet de sévices, de privation d'aliments ou de soins, il en informera les parents ou tuteurs ou les autorités judiciaires. Si le médecin acquiert la connaissance de séquestration arbitraire ou de tentative d'empoisonnement, il en informera les autorités judiciaires. Le mobile du médecin, dans ce cas, sera essentiellement la protection de la victime.»
En ce qui concerne les actes médicaux que le médecin peut accomplir à l'égard d'un mineur, sans le consentement de son représentant légal, I'article 30 du Code de déontologie dispose: «Quand le patient est un mineur d'âge ou un autre incapable et s'il est impossible ou inopportun de recueillir le consentement de son représentant légal, le médecin prodiguera les soins adéquats que lui dictera sa conscience.»
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Si le Code de déontologie ne formule pas des règles plus précises, c'est qu'il se pose en cette matière des problèmes délicats de droit civil qui ne relèvent pas de la compétence de l'Ordre des médecins.
Mais les médecins souhaitent légitimement être éclairés autant qu'il est possible.
Il convient dès lors, de rappeler certaines règles de droit civil.
L'article 488 du Code civil dispose: «La majorité est fixée à vingt et un ans accomplis; à cet âge on est capable de tous les actes de la vie civile, sauf la restriction portée au titre du Mariage».
Le mineur peut cependant être émancipé à l'âge de quinze ans (article 476 et s. du Code civil). Sa capacité est alors très large.
L'enfant reste sous l'autorité de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation (art. 372). Lorsque l'autorité ne peut être exercée par le père et la mère, la loi organise la tutelle (art. 389 et s.).
Les principes du droit civil rattachent aux attributs de la puissance paternelle et spécialement à l'exercice du droit de garde, les pouvoirs des parents sur la personne physique de l'enfant.
Mais la puissance paternelle n'est pas un droit absolu. Elle est instituée dans l'intérêt de l'enfant et non pas au profit du père et de la mère. L'intérêt de l'enfant est la seule mesure de son exercice.
La distinction faite par la loi entre le majeur et le mineur (ou le mineur émancipé) est cependant loin de déterminer avec précision la situation du mineur.
En premier lieu, de nombreuses dispositions légales déterminent l'âge auquel le mineur peut accomplir certains actes.
L'exemple le plus frappant est celui du mariage: I'homme peut contracter mariage à dix‑huit ans, la femme à quinze ans (art. 144). Les mineurs doivent certes obtenir le consentement de leurs parents, mais le mariage n'est réalisé que par leur propre consentement. La loi les estime donc aptes à prendre cette décision à cet âge, sous le contrôle de leurs parents.
D'autres lois particulières donnent une certaine capacité aux mineurs notamment en matière de droit du travail et de droit social.
Enfin, les mineurs sont pénalement responsables de leurs actes à partir de dix‑huit ans, et même, dans certaines conditions, à partir de seize ans.
En second lieu, la doctrine et la jurisprudence ont introduit une distinction capitale qui n'est pas dans la loi: celle des mineurs non capables de discernement et des mineurs capables de discernement.
L'incapacité des mineurs non capables de discernement est naturelle et absolue.
lls ne peuvent agir que par leurs représentants légaux. On les nomme parfois «enfants» (infans) par opposition aux «adolescents» ou aux jeunes gens et jeunes filles. La jurisprudence reconnaît à ces derniers une capacité restreinte, notamment pour les actes de la vie courante.
lls sont responsables des dommages causés par leurs délits et quasi‑délits (art. 1310).
L'âge du discernement n'est pas précisé par la loi, puisque celle‑ci ne fait pas la distinction. Le juge doit l'apprécier dans chaque cas, en tenant compte de l'ensemble des circonstances utiles.
En conclusion, on peut dire que la théorie des incapacités est extrêmement complexe, la loi ayant omis d'en régler certains éléments essentiels (De Page, Traité de droit civil, t. I, n° 78; Van Gerven, Beginselen van Belgisch Privaatrecht, Algemeen Deel, n° 53 et 106).
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En raison de la complexité du droit civil en cette matière, il est très difficile de préciser les règles de déontologie que les médecins doivent observer dans les cas où ils sont consultés par des mineurs.
Cette difficulté est encore accrue par l'évolution rapide des moeurs spécialement quant au comportement des mineurs et quant aux relations familiales.
En cette matière, comme pour beaucoup d'autres problèmes actuels de déontologie médicale, on est contraint de faire largement appel à la conscience et à la prudence des médecins.
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A l'égard des mineurs qui ne sont pas capables de discernement, le médecin ne peut en principe agir qu'avec le consentement des parents ou des autres représentants légaux. Il ne peut y avoir d'exception à ce principe qu'en cas d'urgence ou de force majeure (par exemple, si le médecin a des raisons de croire que l'enfant est victime de sévices de la part de ses parents; v. I'article 61 précité du Code de déontologie).
Pour ces enfants, le médecin n'est pas tenu au secret professionnel à l'égard des parents ou des représentants légaux (Leenen, Moderne ontwikkelingen rond het geheim in de gezondheidszorg, Tijdschrift voor privaatrecht, 1974, p. 317 et s., à la p. 321).
L'âge du discernement n'étant pas fixé par la loi, le médecin devra comme le juge, I'apprécier en tenant compte de toutes les circonstances utiles, notamment la personnalité de l'enfant, la nature de l'acte médical, la situation familiale et sociale.
L'âge du discernement, en matière de santé, ne peut être confondu avec l'«âge de raison» dont on tient compte en d'autres matières et que l'on fixe parfois à sept ans. L'âge du discernement pour la santé est certainement plus élevé et variera spécialement avec la nature de l'acte médical.
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A l'égard des mineurs capables de discernement, deux problèmes se posent au médecin: d'abord celui du secret professionnel, ensuite celui des actes médicaux qu'il peut accomplir à leur égard.
Au sujet du secret professionnel, Ryckmans et Meert écrivent (Les droits et les obligations des médecins, t. I, 2me éd., n° 176): «En ce qui concerne les enfants, le médecin est en droit de révéler le résultat de son examen aux parents lorsque ce sont les parents qui ont fait appel à lui pour soigner un mineur qui se trouve sous leur autorité.
Mais il en va autrement s'il s'agit d'adolescents et de jeunes gens et jeunes filles, même mineurs qui se rendent seuls à la consultation d'un médecin; ils ont indiscutablement droit au secret. On objectera peut‑être, que l'intérêt des enfants commande d'alerter leurs parents, qui pourront ainsi prendre toutes mesures utiles pour les soigner et les guérir; à notre avis, c'est aux enfants qu'il appartient de prendre, éventuellement, la décision de parler et le médecin doit se borner à leur conseiller d'informer leurs parents sans qu'il ait le droit d'aller plus avant. Ceci ne vaut que pour les adolescents. Lorsqu'il s'agit d'enfants en bas âge, qui sont dans un état de totale et naturelle dépendance à l'égard de leurs parents, ceux‑ci sont en droit, en leur qualité de représentants légaux d'incapables, d'être informés par le médecin conformément aux nécessités du traitement».
De même Mahillon (La capacité du mineur non émancipé, Journal des Tribunaux, 1973, p. 529 et s.) cite parmi les actes permis au mineur capable de discernement et considérés comme appartenant aux droits de la personnalité: «Droits, à partir de l'adolescence, concuremment avec les titulaires de l'autorité parentale, de consulter un médecin et droit au secret médical corrélatif, même à l'égard des père et mère».
Enfin Savatier écrit (Traité de droit médical, de René et Jean Savatier, Auby et Pequignot, n° 304, à la p. 277): «Bien que contractuellement incapable, le mineur peut avoir des secrets que son âge et leur nature n'autorisent pas le médecin à révéler à ses parents.»
A la lumière de cette doctrine autorisée et en tenant compte des raisons d'intérêt général sur lesquelles est fondé le secret médical, il faut considérer que le médecin consulté par un mineur capable de discernement est, en principe, tenu au secret professionnel même vis‑à‑vis des parents ou des représentants légaux.
Certes, il n'en est ainsi que si le mineur s'oppose à la révélation du secret à ceux‑ci. S'il y consent, le médecin peut communiquer le secret aux parents ou aux représentants légaux. L'article 64 du Code de déontologie énonce, il est vrai, que «la déclaration du malade relevant son médecin du secret professionnel ne suffit pas à libérer le médecin de son obligation.» Mais lorsqu'il s'agit d'un mineur, le médecin ne se fonde pas seulement sur le consentement du patient, mais aussi sur l'autorité que la loi confère aux parents et aux représentants légaux. Cependant, même dans ce cas, le médecin n'est pas tenu d'aviser ceux‑ci, lorsqu'il s'agit d'un mineur capable de discernement. Il pourra conserver le secret s'il croit que c'est l'intérêt du mineur.
Si le mineur s'oppose à la communication du secret et si le médecin considère que celle‑ci est souhaitable, il peut tenter de convaincre le mineur. Il puise certes le droit de le faire dans l'autorité que la loi confère aux parents et aux représentants légaux, dans l'importance des relations familiales et affectives, dans l'intérêt du mineur lui‑même. Si le mineur maintient son opposition, le médecin ne peut passer outre, mais il pourra refuser ses soins, hors le cas d'urgence ou celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité (article 28 du Code de déontologie).
Le secret professionnel du médecin peut‑il dans ce cas, connaître des exceptions ? On doit l'admettre. Le mineur, bien qu'il ait atteint l'âge normal du discernement peut se trouver dans un état où il n'a pas en réalité le discernement nécessaire pour veiller à sa santé et où son intérêt exige que ses parents soient prévenus (par ex. troubles mentaux, tendances au suicide, usage de stupéfiants, etc.).
L'article 62 du Code de déontologie prévoit ce cas: «La communication d'un diagnostic ou de renseignements médicaux peut se faire dans les limites strictes absolument nécessaires:
a) au représentant légal ou de fait du patient incapable ou inconscient.
... La confidence d'un patient ne sera jamais révélée». Le médecin doit faire preuve, dans ce cas, de la plus grande prudence.
Il n'est pas possible de formuler d'autre règle: c'est sa conscience qui lui dictera la décision.
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Si le mineur capable de discernement a le droit de consulter un médecin et a le droit de réclamer le secret, il s'ensuit que le médecin a le droit de lui prodiguer des soins et d'accomplir les actes médicaux que requiert sa situation.
Mais le médecin peut aussi refuser ses soins dans les conditions prévues par l'article 28 du code, c'est‑à‑dire hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité.
Ainsi qu'il a été dit, le discernement requis doit être apprécié en tenant compte de l'ensemble des circonstances et notamment de l'âge du mineur, de sa personnalité, de la situation familiale et sociale, de la nature du traitement ou de l'acte médical.
Si le médecin consulté n'est pas le médecin traitant du mineur et de sa famille, il devra faire preuve d'une prudence particulière et essayer de s'entourer du maximum de renseignements, en ayant avec le mineur un entretien confiant, qui évitera de prendre la forme d'un interrogatoire.
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En vertu des principes énoncés ci‑dessus, la prescription d'un contraceptif est un acte médical qu'un médecin peut accomplir à l'égard d'un mineur capable de discernement.
Néanmoins, en raison de l'incidence que cet acte peut avoir sur le comportement sexuel et affectif du mineur et en raison de l'autorité attachée à la puissance paternelle, le médecin recherchera spécialement si le mineur ne peut communiquer en ce domaine avec ses parents ou ses représentants légaux.
La détermination de l'âge auquel le mineur est capable de discernement nécessaire pour demander un tel acte au médecin est particulièrement difficile. Trop d'éléments doivent être pris en considération, et notamment des éléments subjectifs, pour que l'on puisse formuler des règles précises. Certains éléments objectifs peuvent être signalés, bien qu'ils ne soient pas déterminants: légalement, à l'âge de quinze ans, une femme peut contracter mariage et, au même âge, un mineur peut être émancipé, ce qui lui donne une capacité à peu près complète et ce qui met fin, en règle, au régime de la puissance paternelle, c'est‑à‑dire à l'autorité des parents ou des représentants légaux sur la personne du mineur. Par contre, en vertu de l'article 372 du Code pénal, les relations sexuelles avec un mineur âgé de moins de seize ans, même consentant, constituent un attentat à la pudeur.
Pour les médecins, ces éléments peuvent être des repères utiles, mais à condition de tenir compte de l'ensemble des éléments personnels, familiaux et sociaux du cas d'espèce.
Le médecin peut refuser de prescrire un contraceptif s'il estime en conscience que l'âge du mineur et les circonstances ne justifient pas cet acte.
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Les principes exposés en cette matière ont une incidence sur la question accessoire des honoraires.
Le médecin consulté par un mineur capable de discernement, à l'insu de ses parents ou de ses représentants légaux, ne peut réclamer d'honoraires à ceux‑ci, puisqu'il en résulterait une violation du secret professionnel, celui‑ci s'étendant dans ce cas, au simple fait de la consultation du médecin par le mineur.
Des mineurs, assez nombreux, disposent actuellement de sommes suffisantes pour faire face aux honoraires des actes médicaux courants, mais ce n'est pas toujours le cas. Le médecin peut donc réclamer des honoraires à un mineur, mais il ne peut le faire qu'avec une modération et une prudence particulières.
Le médecin doit notamment tenir compte du fait que le mineur n'est généralement pas titulaire, mais seulement bénéficiaire de l'assurance maladie‑invalidité; agissant à l'insu du titulaire, le mineur ne pourra obtenir l'intervention de l'assurance ni pour les honoraires ni pour les médicaments. De plus, si le mineur devait faire face, à l'insu de ses parents à des frais trop élevés pour lui, il y aurait un risque qu'il recoure à des actes illicites pour se procurer l'argent nécessaire.
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Le Conseil national ne croit pas possible de formuler des règles plus précises et il est conscient des problèmes délicats qui subsisteront pour les médecins. Il est néanmoins convaincu qu'il peut faire confiance à leur prudence et à leur conscience en ce domaine.