Le secret médical et l'assurance maladie-invalidité
Le secret médical et l'assurance maladie invalidité
L'assurance maladie invalidité étant obligatoire, les assurés et leurs médecins se trouvent tenus, en fait, de communiquer certains renseignements médicaux aux médecins conseils des organismes assureurs. Certaines de ces communications sont même prévues par la loi (notamment l'art. 36 de la loi du 9 août 1963, cité par l'arrêt, p. 7). Par contre, d'autres dispositions de la loi ont pour but d'assurer expressément le respect du secret médical (notamment les articles 84 et 104 de la même loi, cités par l'arrêt).
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions et spécialement de l'article 84 que les renseignements médicaux communiqués par le médecin traitant doivent rester, en principe, entre les mains des médecins des organismes assureurs et des médecins de l'INAMI et que ces médecins sont tenus au secret professionnel.
L'arrêté royal du 20 juillet 1967 portant le statut des médecins conseils des organismes assureurs en matière d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité fait une exacte application de ces principes, notamment lorsqu'il dispose en son article 21 que «il est interdit au médecin conseil d'exposer aux autorités administratives de son organisme assureur les considérations d'ordre médical qui motivent les décisions qu'il prend» (voir dans le même sens, I'article 128, § 1er, du Code de déontologie).
D'autre part, il résulte des articles 25 à 29 du même arrêté, relatifs à la déontologie du médecin conseil, que les rapports entre le médecin conseil et le médecin traitant vont très au-delà d'une simple mission de contrôle. On peut parler, sans trahir ces textes, de «consultation médico sociale» ainsi que le fait le Code de déontologie en son article 58, b.
En effet, I'article 26 de l'arrêté royal du 20 juillet 1967 dispose que «le médecin conseil exerce sa mission en liaison avec le médecin traitant. Il examine avec celui ci les possibilités de préciser le diagnostic et d'améliorer la thérapeutique et, le cas échéant, le moyen de diminuer les frais de traitement sans réduire en rien l'efficacité de la thérapeutique».
Dans le cadre de cette consultation médico sociale, le médecin traitant peut évidemment communiquer au médecin conseil des renseignements couverts par le secret professionnel; il peut d'autant plus le faire qu'il sait que le médecin conseil est lui-même tenu au secret professionnel en vertu des dispositions légales et réglementaires précitées sur l'assurance maladie invalidité et notamment en vertu de l'article 21, déjà cité, de l'arrêté royal du 20 juillet 1967.
L'article 58 du Code de déontologie, relatif aux exceptions légales au secret professionnel, exprime parfaitement cette situation en prévoyant sous la lettre b) I'exception suivante: «La communication aux médecins conseils des organismes assureurs en matière d'assurance maladie invalidité et dans les limites de la consultation médico sociale, de données ou de renseignements médicaux relatifs à l'assuré. Le médecin conseil d'un organisme assureur est, comme tout médecin, tenu de respecter le secret professionnel; il ne doit donner à cet organisme queses seules conclusions sur le plan administratif».
A la lumière de ce qui précède, les considérations de l'arrêt sur le secret médical et l'assurance maladie invalidité ne peuvent en aucune façon être admises.
L'arrêt va jusqu'à affirmer: «Attendu, dès lors, qu'invité par le juge à produire le dossier d'un malade qui a cité son organisme assureur en paiement de sommes qu'il estime lui être dues, le médecin traitant, généraliste ou spécialiste, ne peut en aucun cas, sauf sur demande du patient lui même, invoquer le secret professionnel pour rejeter l'invitation qui lui est faite, si les documents sollicités sont bien en rapport avec le litige».
Cette affirmation n'est pas admissible.
Elle n'est conforme ni à l'article 458 du Code pénal, ni aux dispositions en matière d'assurance maladie invalidité, ni à la jurisprudence de la Cour de Cassation, ni aux dispositions du Code de déontologie.
Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, il faut préciser que le médecin traitant communiquera dans la grande majorité des cas les documents médicaux dont la communication paraît nécessaire pour obtenir les prestations de l'assurance maladie invalidité.
Le Code de déontologie l'y autorise expressément en ses articles 58, b, et 67, alinéas 1 et 2.
La seule question qui est ici en discussion est de savoir si le médecin peut, dans certains cas ou pour certaines pièces, lorsqu'il estime que le secret professionnel s'y oppose, refuser la communication à la justice. L'article 458 du Code pénal l'y autorise expressément. En décidant le contraire, I'arrêt viole cette disposition.
En ce qui concerne le médecin conseil, I'exposé fait ci dessus montre que, dans le cadre de la consultation médico sociale avec le médecin traitant, le médecin conseil peut être dépositaire de secrets qui lui ont été confiés par le médecin traitant et à l'égard desquels il doit pouvoir invoquer le secret professionnel, même en justice par application de l'article 458 du Code pénal.
Il est évident que, quant à l'existence du secret professionnel, la distinction que l'arrêt fait (p. 11, in fine) entre la matière civile et la matière pénale est sans valeur.
Encore une fois, pour éviter tout malentendu, le médecin conseil dont la décision est contestée en justice communiquera généralement les éléments médicaux qu'il détient, à la juridiction saisie.
L'article 129, alinéa 2, du Code de déontologie prévoit que le médecin conseil dont la décision est contestée peut adresser à la juridiction saisie ou à l'expert désigné, les documents ou photocopies de tous les examens qu'il a pratiqués lui même ou fait pratiquer, pour autant qu'il les ait communiqués au médecin conseiller du patient.
La seule question qui se pose est de savoir si, pour certaines pièces, le médecin conseil peut invoquer le secret professionnel. Cette faculté doit lui être reconnue en vertu de l'article 458 du Code pénal et dès lors le juge ne peut ordonner au médecin-conseil qui invoque le secret professionnel à l'égard de certaines pièces, le dépôt de son dossier médical complet.
Bien entendu, en vertu de la jurisprudence de la Cour de Cassation, le juge peut exercer un certain contrôle sur l'existence du secret médical. S'il était établi que la pièce que le médecin-conseil refuse de communiquer a trait à un fait qui n'a pas de caractère secret et qu'en refusant de communiquer cette pièce, le médecin détourne le secret médical de son but par exemple pour couvrir des agissements culpeux (v. C. 23 juin 1958, Bull. 1958, p. 1180), le juge pourrait décider qu'il n'y a pas de secret médical et que la pièce doit être communiquée.
Mais l'arrêt ne se fonde nullement sur des motifs de ce genre.
Il ne peut donc être approuvé, ni suivi.
Comme un des membres de la commission l'a fait remarquer, si la jurisprudence de l'arrêt était suivie, I'Ordre des Médecins devrait interdire aux médecins traitants de communiquer aux médecins conseils des éléments couverts par le secret médical, puisque le médecin conseil n'aurait plus la faculté de s'opposer à leur communication à des tiers.