Rapport médical circonstancié en vue de la protection de la personne des malades mentaux
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Un psychiatre soumet au Conseil national les problèmes rencontrés dans sa région dans le cadre de l'admission forcée d'un patient dans un établissement psychiatrique. Le juge de paix concerné rejette le certificat médical du médecin traitant, qu'il soit médecin généraliste, psychiatre, et même celui d'un confrère psychiatre du service dans lequel le médecin traitant exerce, parce qu'il pourrait avoir entendu parler du patient à l'occasion de réunions de staff ou de remplacements. Suivant le juge de paix, ces médecins - qu'il compare à des "parents" du patient - délivrent une attestation de convenance dans la mesure où ils ne peuvent se prononcer en toute indépendance professionnelle et intellectuelle.
Ceci signifie que pour toute admission forcée, il y a lieu de trouver un autre médecin disposé à examiner le patient et à établir le rapport médical circonstancié le cas échéant. Le psychiatre demande si le médecin traitant peut ainsi tout simplement manquer au devoir d'assistance à personne en danger.
Avis du Conseil national :
En ses séances des 16 juin 2001 et 18 août 2001, le Conseil national a examiné la question de savoir si un médecin traitant, médecin généraliste ou psychiatre, peut délivrer des rapports médicaux à propos de ses patients en exécution de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux.
L'article 58 du Code de déontologie médicale précise sous g) que ces rapports et certificats sont des "exceptions légales" au secret professionnel dans les limites expressément prévues par la loi. Il en découle que les médecins traitants sont autorisés à les délivrer puisqu'il s'agit d'une exception. Parmi tous les médecins, ils sont d'ailleurs les mieux placés pour établir le rapport médical circonstancié requis sous peine d'irrecevabilité de la demande (article 5, §2, 2ème alinéa, de la loi).
Pour "éviter qu'une quelconque pression soit exercée en vue de l'hospitalisation d'une personne" (Rapport commission de la Justice, p. 36), le législateur a prévu que ce rapport ne sera pas établi "par un médecin parent ou allié du malade ou du requérant, ou attaché à un titre quelconque au service psychiatrique où le malade se trouve" (article 5, §2, 2ème alinéa de la loi). Le législateur n'a pas exclu les médecins traitants.
En outre, une règle déontologique générale dispose que le médecin doit toujours rester objectif dans la rédaction d'un certificat, c'est-à-dire professionnellement et intellectuellement indépendant, sans implication émotionnelle, a priori ou partialité. D'aucuns estiment qu'une telle disposition d'esprit n'est pas possible dans une relation liant patient psychiatrique et médecins traitants et qu'en principe aucun d'entre ceux-ci ne pourrait délivrer de certificat médical dans le cadre de la procédure de mise en observation forcée.
D'un point de vue éthique, il est permis d'affirmer que l'intérêt du patient doit être le souci primordial de tout médecin. Cette obligation vaut d'autant plus lorsque le patient est censé ne plus être à même d'évaluer raisonnablement ses intérêts sur le plan de sa santé.
Sur la base de critères objectifs, un médecin traitant devra prendre ses responsabilités s'il arrive à la conclusion que son patient souffre de maladie mentale, mettant gravement en péril sa santé et sa sécurité et (ou) constituant une menace pour la vie ou l'intégrité d'autrui. En concertation éventuelle avec un confrère qualifié et expérimenté en la matière, il examinera si des mesures de protection peuvent conduire à une solution au problème et dans l'affirmative, recherchera la procédure à mettre en œuvre pour obtenir le résultat escompté.
En l'occurrence, il sera particulièrement important de déterminer si le rapport médical circonstancié sera établi par le médecin traitant. Bien que celui-ci soit le mieux placé pour le rédiger, il peut avoir de bonnes raisons d'y renoncer. Ceci ne le dispense toutefois pas du devoir de veiller à ce que le rapport médical requis soit délivré lorsqu'il juge que des mesures de protection sont nécessaires afin d'éviter un plus grand désastre. En effet, pour des raisons personnelles, il ne peut négliger ni 'intérêt de son patient, ni les intérêts éventuels de la collectivité. Il pourra dès lors faire appel à des tiers afin de juger de la situation et le cas échéant, de rédiger le rapport médical circonstancié. En pratique ambulatoire, il n'est cependant pas toujours facile d'en trouver un susceptible de créer la possibilité matérielle d'examiner la personne à protéger parce que de tels patients ont facilement tendance à se soustraire à tout examen effectué par des tiers. Dans ces conditions, les médecins traitants sont parfois obligés de tout de même rédiger le rapport circonstancié même si en première instance, ils avaient de bonnes raisons de ne pas le faire.
Pour autant que cela soit possible et se justifie, il est important dans cette relation spécifique médecin-patient, que le médecin traitant discute de l'éventualité d'une admission forcée. Ainsi, peut-il faire part au patient de ce qu'il se sent moralement obligé de rédiger un rapport médical circonstancié qui sera annexé à la requête et transmis au juge de paix lequel, après avoir entendu le patient, prendra une décision à propos de la mise en observation forcée proposée. S'il estime réalisable, le médecin traitant peut proposer au patient de solliciter une deuxième opinion afin de laisser juger de l'extérieur par un autre médecin s'il y a lieu d'établir un rapport médical circonstancié.
Le rejet d'une requête introduite avec le concours du médecin traitant n'est pas favorable à la relation de confiance ultérieure entre le médecin et le patient. Dans la procédure d'urgence, la demande écrite de mise en observation d'une personne intéressée et devant être accompagnée d'un rapport médical circonstancié, est soumise à l'appréciation du procureur du Roi qui prête attention notamment à la motivation donnée de l'urgence. A cet égard, le procureur du Roi a aussi la faculté d'agir d'office sur avis écrit d'un médecin désigné par lui. Ceci se produit fréquemment en cas d'extrême urgence. Il arrive aussi que le médecin invoque un état de nécessité pour informer le procureur du Roi par téléphone, sans rédiger de rapport médical circonstancié. Dans la procédure ordinaire, la requête accompagnée du rapport médical circonstancié est soumise à l'appréciation du juge de paix, qui fait connaître sa décision par jugement motivé. Lorsque la requête est rejetée, le juge de paix fait parfois référence au contenu imprécis du rapport médical circonstancié et/ou aux qualifications de l'auteur du rapport.
La rédaction du rapport médical circonstancié requiert par conséquent des médecins traitants qu'ils soient circonspects, attentifs et prévoyants. Avant toute chose, l'indication d'une mise en observation forcée doit être établie de manière incontestable sur le plan médical et reposer sur des constatations irréfutables. Les exigences légales d'un rapport médical circonstancié doivent être strictement respectées. A cet égard, il convient de noter que l'auteur du rapport doit notamment démontrer qu'il s'agit de maladie mentale, et que dans ce domaine, un diagnostic de toxicomanie par exemple n'est pas suffisant. Enfin l'auteur du rapport doit tenir compte de la jurisprudence. Ainsi, existe-t-il des dispositions légales qui ne sont pas interprétées de la même manière par tous les juges de paix, comme la portée de "attaché à un titre quelconque au service psychiatrique où le malade se trouve" et certaines justices estiment inapproprié que les médecins traitants rédigent le rapport médical circonstancié. Ces interprétations divergentes d'un texte de loi peuvent être déplorées, mais cette matière n'en est pas l'unique exemple.
Pour éviter le rejet de requêtes, il est recommandé que les médecins traitants, avant de procéder à la rédaction d'un rapport médical circonstancié, s'informent des interprétations de la loi par une juridiction particulière. Il peut être attendu des psychiatres qu'ils acquièrent cette connaissance par leurs contacts réciproques et leurs réunions de GLEM. Il est conseillé aux médecins ne devant remplir cette mission qu'occasionnellement, de se concerter avec un confrère expérimenté dans ce domaine, à propos de cet aspect aussi du rapport médical circonstancié. S'il n'y a pas extrême urgence, le médecin dispose généralement du temps nécessaire à cette concertation.
De la part des médecins traitants, c'est faire preuve de peu de prévoyance et ne certainement pas servir l'intérêt du patient que de rédiger un rapport médical circonstancié s'il est établi à l'avance que la requête de mise en observation forcée sera rejetée sur la base des qualifications de l'auteur du rapport. En ce cas, le médecin traitant doit rechercher une solution pragmatique qui serve au maximum les intérêts du patient et de son entourage. Par exemple, il ne serait pas raisonnable d'attendre sciemment une escalade de la situation jusqu'à ce que les conditions d'une procédure d'urgence soient réunies, dans laquelle l'instance compétente n'est plus le juge de paix, mais le procureur du Roi. Tant qu'il n'y a pas extrême urgence, le médecin traitant dispose de quelque temps devant lui permettre de parvenir à une admission de plein gré ou de demander une deuxième opinion à un médecin avec lequel il n'a pas de liens, encore que le patient doive se déclarer d'accord avec ces propositions.
On peut se demander si un juge de paix rejettera comme inapproprié le rapport médical circonstancié du médecin traitant lorsque ce rapport répond à toutes les exigences précitées et qu'est démontrée l'impossibilité de prendre l'opinion d'un praticien extérieur en raison d'un manque de collaboration de la personne à protéger.
Sur la base de l'article 30 de la loi, le requérant a la possibilité en tant que partie à la cause d'interjeter appel du jugement du juge de paix. La loi fixe toutefois un délai allant jusqu'à trois mois pour que le tribunal statue par un jugement définitif.