Soumission d'un extrait de casier judiciaire lors du recrutement d'un médecin hospitalier
Un établissement hospitalier s’interroge s’il a le droit de demander un extrait du casier judiciaire à un médecin comme condition de recrutement.
En sa séance du 15 octobre 2022, le Conseil national de l’Ordre des médecins a examiné si un médecin a pour obligation déontologique de fournir un extrait de son casier judiciaire à la demande de la direction médicale d’un établissement hospitalier comme condition de recrutement.
- Introduction – Cadre juridique
1/ La législation ne donne pas de réponse concluante à la question de savoir si à l’occasion d’une procédure de recrutement un établissement hospitalier a le droit de sonder le passé judiciaire d’un médecin ni si le médecin a l’obligation légale de transmettre un extrait de son casier judiciaire.
Le principe général est qu’il est interdit à un employeur de poser des questions sur le passé judiciaire d’un candidat.
Le Règlement général sur la protection des données[1] prévoit que le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions (…) ne peut être effectué que sous le contrôle de l'autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l'Union ou par le droit d'un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées. Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l'autorité publique.
La demande d’un extrait du casier judiciaire lors d’une procédure de recrutement est donc, sauf exception légale, interdit.
2/ Avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (ci-après : loi qualité), les commissions médicales provinciales avaient la charge d’informer les personnes intéressées des décisions prises par les tribunaux en rapport avec l’exercice de la profession médicale par le médecin.[2] Il s’agissait notamment d’informer de telles décisions le médecin-chef de l’institution dans laquelle l’intéressé exerce en tant que médecin spécialiste.[3] En ce sens, il existait une divergence entre la situation, d’une part, du médecin spécialiste qui n’avait pas encore été recruté dans une institution hospitalière et, d’autre part, du médecin spécialiste qui y travaillait déjà. En l’absence d’explication logique, il est permis de considérer que le médecin-chef de l’établissement hospitalier avait également le droit de vérifier les antécédents judiciaires du médecin spécialiste candidat, ou du moins d’interroger les commissions médicales provinciales sur les décisions prises par les tribunaux et dont elles avaient connaissance.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi qualité qui a supprimé les commissions médicales provinciales, cette communication des décisions judiciaires n’est plus garantie. La loi qualité dispose seulement que la Commission de contrôle informe l’AFMPS, l’INAMI et, le cas échéant, le patient, le professionnel des soins de santé ou l’instance qui a déposé plainte et les autres personnes et instances intéressées des mesures qu’elle a prises. Le Roi peut désigner d'autres instances devant être informées. A l’estime du Conseil national, il est indiqué que l’institution hospitalière dans laquelle le médecin exerce soit également informé des mesures prises par la Commission de contrôle[4].
3/ La circulaire n° 08/2014 du Collège des procureurs généraux près les cours d’appel du 9 janvier 2020 définit les conditions auxquelles le ministère public communique les condamnations pour, notamment, attentat à la pudeur, viol, détention d’images à caractère pédopornographique, et mauvais traitements sur une personnes vulnérable, à l’institution de soins où travaille le médecin condamné. Le Conseil national estime que l’établissement de soins de santé doit également être informé des éléments précités lors de la procédure de recrutement.
4/ La législation[5] relative à l’obligation pour certaines organisations de réclamer un extrait du casier judiciaire, modèle art. 596.2 (modèle mineurs), pour certains nouveaux employés, peut être interprétée dans le contexte de l’établissement hospitalier en ce sens que, lors du recrutement d’un nouveau médecin, il est nécessaire de vérifier que l’intéressé a eu un comportement irréprochable dans le traitement des mineurs tel que cela ressort d’un extrait du casier judiciaire, modèle art. 596.2[6]. Chaque établissement hospitalier est responsable, entre autres, de la surveillance médicale des mineurs.
En ce qui concerne la demande d'un extrait du casier judiciaire, modèle art. 595[7] (modèle général), il n'existe pas de législation particulière autorisant une institution hospitalière à exiger la production de ce document lors du recrutement d'un nouveau médecin.
5/ Lors de la demande d’inscription au Tableau de l’Ordre des médecins, le médecin a l’obligation de fournir un extrait de son casier judiciaire n’ayant pas plus de trois mois de date.[8] Cette disposition a pour but de permettre à l’Ordre de vérifier si le médecin qui sollicite son inscription a un casier judiciaire compatible ou non avec l’honneur et la dignité de la profession médicale. On peut admettre qu’un établissement hospitalier ait aussi la possibilité de vérifier la conduite d’un médecin lors de la procédure de recrutement afin de garantir la qualité et l’intégrité de ses services.
- Cadre déontologique
Nonobstant le débat juridique concernant le droit ou le devoir d'une institution hospitalière de vérifier un extrait du casier judiciaire lors du recrutement d'un nouveau médecin, tout médecin a le devoir déontologique de délivrer un extrait du casier judiciaire, modèle art. 595 et modèle art. 596.2, à la demande de la direction médicale de l'institution hospitalière.
Le Code de déontologie médicale[9] dispose que le médecin informe les confrères avec lesquels il collabore de toute décision disciplinaire, civile, pénale ou administrative susceptible de retombées quelconques sur leurs relations professionnelles. Ce principe s’applique également à des relations professionnelles futures.
Les médecins travaillant dans une institution hospitalière ont le devoir déontologique, en raison des responsabilités liées à l'exercice de leur fonction, d'avoir un comportement irréprochable et de répondre aux attentes légitimes et à la confiance que le patient place ou devrait pouvoir placer en eux.
La demande d'un extrait du casier judiciaire permet à l’institution hospitalière de garantir la qualité des soins, la sécurité du patient, l'intégrité et la bonne réputation de l’institution hospitalière et la protection des tiers.
Les médecins candidats ont le devoir déontologique de collaborer au principe de risque et de prudence que l’institution hospitalière doit respecter lors du recrutement des médecins.
Toutefois, il convient de noter qu'un médecin ayant encouru une condamnation pénale dans le passé, ne devrait pas être systématiquement refusé. L’opportunité d'un refus doit être évaluée au cas par cas, en tenant compte des principes de la déontologie médicale.
Enfin, l’institution hospitalière doit garantir le droit à la vie privée du médecin candidat. Le règlement général de l'hôpital doit au moins inclure les conditions de recrutement[10]. Ainsi, il doit être clairement indiqué :
- si un extrait du casier juridique sera demandé lors de la procédure de recrutement ;
- quels en sont les motifs ;
- quelles condamnations peuvent être à la base d’un refus ;
- le déroulement du processus d’appréciation qui ne peut pas être discriminatoire ;
- les personnes ayant accès à ces données personnelles ;
- la durée de la conservation de ces données personnelles, laquelle ne peut pas dépasser la durée de la procédure de recrutement.
- Conclusion
Lors de la procédure de recrutement, le médecin candidat a le devoir déontologique de fournir un extrait de son casier judiciaire (modèle art. 595 et modèle 596.2) à la demande de la direction médicale de l’institution hospitalière, conformément aux principes de la déontologie médicale. L’institution hospitalière doit traiter les données personnelles du médecin concerné dans le respect des principes de la vie privée et de la non-discrimination.
[1] Art. 10, Règlement UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
[2] Art. 119, §1, 2°, c), 2., e), Loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé, abrogé par l’art. 82 de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé
[3] Art. 30bis, 6°, Arrêté royal du 7 octobre 1976 relatif à l’organisation et au fonctionnement des commissions médicales
[4] Art. 61, Loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé
[5]Art. 596, 2me alinéa, Code d’instruction criminelle; Decreet (Vlaamse regering) van 3 juni 2022 houdende de verplichting voor bepaalde organisaties om een uittreksel uit het strafregister als vermeld in artikel 596, tweede lid, van het Wetboek van Strafvordering, te controleren voor bepaalde nieuwe medewerkers
[6]Extrait de casier judiciaire - Service public federal Justice (belgium.be)
[7] art. 21, §1, alinéa 2, 3., Arrêté royal du 6 février 1970 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’Ordre des médecins
[8] art. 21, §1, alinéa 2, 3., Arrêté royal du 6 février 1970 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’Ordre des médecins
[9] Art. 14, 2me alinéa, Code de déontologie médicale
[10] Art. 144, §3, 1°, Loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins