Tests de paternité – Modification de l’avis du 19 octobre 1996
En sa séance du 5 mars 2011, le Conseil national de l´Ordre des médecins a examiné votre lettre du 26 novembre 2010 concernant le transmis de la copie du courriel du professeur X à propos d'un message publié par la firme Gendia au sujet des tests de paternité.
Le Conseil national se réfère à son avis du 16 juin 2001 et à la note de madame Hustin-Denies qui était reprise dans cet avis. A la suite de la modification du Code civil, intervenue entre-temps, cette note a été adaptée.
Vous trouverez en annexe la version actualisée de cette note.
Annexe :
Consécutivement à la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci (M.B., 29 décembre 2006), l'avis du Conseil national du 19 octobre 1996 « Génétique - Recherche de paternité - Communication de résultats d'examens génétiques à des tiers », BCN n°75, p.25, auquel il est fait référence dans son avis du 16 juin 2001 « Augmentation incontrôlée des tests de paternité », BCN n°93, p.11, doit être modifié.
En sa séance du 5 mars 2011, le Conseil national de l'Ordre des médecins a modifié son avis du 19 octobre 1996 « Génétique - Recherche de paternité - Communication de résultats d'examens génétiques à des tiers », BCN n°75, p.25, auquel il est fait référence dans son avis du 16 juin 2001 « Augmentation incontrôlée des tests de paternité », BCN n°93, p.11.
Ces modifications apparaissent en caractères italiques dans le texte.
L'avis du Conseil national du 19 octobre 1996 est adapté comme suit :
(...)
Note de Madame Hustin-Denies, assistante à la faculté de droit de l'UCL, :
Note concernant la recherche de la paternité biologique d'un mineur par le recours à la comparaison des empreintes génétiques en dehors du cadre d'une procédure judiciaire
L'absence de réglementation nationale et déontologique régissant l'utilisation des empreintes génétiques à des fins probatoires en matière de filiation a entraîné ces dernières années une recrudescence de leur usage à des fins privées, en dehors de toute procédure judiciaire. En France comme en Belgique, des laboratoires privés ou des cliniques universitaires sont nombreux à proposer leurs services à des particuliers, des avocats ou des médecins, aux fins de confirmer ou d'infirmer des parentés douteuses.
Conscient des dérives préjudiciables à la paix des familles (par la mise en cause d'une filiation en dehors des procédures et souvent des délais prévus par la loi) et à l'intérêt social (atteinte à l'autorité de l'état civil, à l'intégrité physique et à l'intimité de la vie privée du sujet) engendrées par le recours à ce procédé en dehors de toute garantie procédurale, le législateur français réglementa l'utilisation des empreintes génétiques dans la récente loi du 29 juillet 1994, relative au statut civil du corps humain. Cette loi limite en effet la possibilité d'identifier une personne par la technique des empreintes génétiques en matière civile, aux cas où ce procédé est mis en oeuvre avec l'accord exprès des intéressés et en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant notamment à l'établissement ou à la contestation d'un lien de filiation.
Ignorées en revanche totalement du législateur belge, les implications de l'utilisation des empreintes génétiques en dehors de tout contexte judiciaire tombent actuellement dans un vide législatif propre à favoriser les atteintes aux droits et aux libertés des individus.
Mais l'absence de texte légal ne doit pas tromper. L'utilisation des empreintes génétiques en dehors de tout contexte procédural s'inscrit selon nous en marge de la licéité. Nous rappellerons à cet égard l'adage qui veut que "tout ce qui n'est pas interdit n'est pas pour autant permis". Celle-ci pose en effet des difficultés à plusieurs niveaux.
I. D'une part, concernant la responsabilité du médecin qui pratique le test ou même qui conseille à son patient d'y recourir, plusieurs remarques doivent être formulées.
Si le prélèvement nécessaire à la réalisation d'une empreinte génétique ou si le processus d'expertise lui-même peuvent nécessiter l'intervention d'un médecin, tantôt praticien, tantôt généticien, il semble pourtant difficile d'inclure cette intervention dans la catégorie des actes médicaux que la loi légalise.
Nous rappellerons brièvement à ce propos les limites dans lesquelles la réalisation d'une activité médicale invasive est autorisée par la loi et plus spécifiquement par l'article 11 de l'arrêté royal n° 78 relatif à l'art de guérir.
Ces limites s'entendent d'une part des conditions cumulatives de légalité formelle précisées par la loi ou la jurisprudence et, d'autre part, des conditions dites de légalité élémentaire de tout acte.
Les conditions de la légalité formelle de l'activité médicale exigent les actes posés par un agent compétent dans le but thérapeutique de veiller à la santé du patient en lui prodiguant les meilleurs soins, ayant obtenu son consentement libre et éclairé.
Les conditions générales de la légalité élémentaire de tout acte s'inscrivent dans l'optique d'une médecine respectueuse de la personne humaine et présupposent que le praticien n'adoptera pas une mesure qui ne serait pas utile ou qui ne serait pas strictement nécessaire à la santé de son patient, ou plus exceptionnellement, à la satisfaction d'un objectif autre que thérapeutique. Il s'abstiendra en outre de toute mesure qui, tout en répondant aux objectifs de "moindre frais", lèserait de manière démesurée, disproportionnée un autre intérêt, voire une autre valeur.
Dans l'hypothèse où le prélèvement réalisé sur la personne des parents et de l'enfant mineur en vue de réaliser une empreinte génétique n'a pas pour but de veiller à la santé et à la sécurité des patients en leur prodiguant les meilleurs soins par des actes de diagnostic, de traitements ou de prévention, nous devons constater qu'il ne rentre pas dans le cadre légal classique de toute activité médicale. Certes, en application du principe général contenu à l'article 70 du code pénal, certaines lois particulières justifient des interventions médicales diverses en dehors de tout contexte thérapeutique, notamment en matière de transplantation d'organes ou d'interruption volontaire de grossesse. Dans cette optique s'inscrit sans doute le texte de l'article 331octiès du code civil qui, en conférant au magistrat le pouvoir d'ordonner dans le cadre d'une action relative à la filiation toute méthode scientifiquement éprouvée, justifie indirectement l'activité non thérapeutique du médecin. Une telle justification n'est cependant pas d'application dans le cas qui nous occupe puisque le prélèvement est pratiqué en marge de tout contexte judiciaire et, par conséquent, indépendamment de l'injonction d'un magistrat.
En outre, l'exigence du consentement du patient à l'intervention médicale semble également violée, au moins partiellement. En effet, les parents désireux à titre purement informatif d'infirmer ou de confirmer une parenté dont ils doutent peuvent certainement disposer de leur propre corps. Ils ne sont pas pour autant libres de disposer du corps de leur enfant. Certes les parents disposent du pouvoir de représenter leur enfant dans tous les actes qui le concernent et notamment de consentir en lieu et place de cet enfant aux actes médicaux. Ce pouvoir de représentation découle directement des règles de l'autorité parentale, exercée par les parents en raison du lien de filiation, exclusivement dans le respect de l'intérêt primordial de l'enfant. A nouveau, nous devons constater que les parents s'ils peuvent représenter l'enfant dans le contexte de l'acte médical ne peuvent valablement consentir en son nom à un acte qui, violant les règles de légalité formelle de l'acte médical, ne constitue plus un acte médical mais bien une violation injustifiée de l'intégrité physique de l'enfant. Ce consentement donné au nom de l'enfant constitue selon nous un abus d'autorité parentale dès lors qu'il est donné au détriment de l'intérêt et des droits fondamentaux de l'enfant mais au profit des seuls parents. Nous reviendrons plus amplement sur cette question un peu plus tard.
De ces deux remarques, une constatation s'impose : la recherche officieuse des preuves de la filiation d'un enfant mineur par le recours aux empreintes génétiques viole les conditions de légalité formelle de tout acte médical en ce qu'elle présuppose une atteinte à l'intégrité physique de l'enfant pratiquée dans un but non thérapeutique et sans le consentement valable de l'intéressé. Elle engage donc la responsabilité du médecin susceptible d'être poursuivi sur le plan pénal pour coups et blessures, le caractère bénin de cette atteinte ne pouvant être pris en cause au niveau de l'engagement de cette responsabilité.
Il nous semble en outre impossible de conférer à cette atteinte un caractère thérapeutique même indirect qui résiderait par exemple dans la nécessité d'un point de vue psychologique, de permettre à un couple de connaître la vérité sur la filiation de leur enfant. L'utilisation de la personne de l'enfant ainsi que la remise en cause de son droit fondamental à une vie familiale normale (sur lequel nous reviendrons) constituent selon nous des atteintes disproportionnées au regard de l'objectif que la méthode prétend servir. L'exigence de nécessité semble en outre mise à mal si l'on envisage la possibilité pour le couple en danger de recourir à des thérapies familiales ou à un secours psychologique dans lequel aucune intervention de la personne de l'enfant sera requise. La mise à mal des critères de nécessité et de proportionnalité empêche donc ce type d'intervention de remplir les conditions de légalité élémentaire de tout acte.
II. D'autre part, concernant les droits fondamentaux de l'enfant mis en cause par le recours à ce processus, plusieurs observations s'imposent.
Au préalable, nous rappellerons brièvement que le législateur entoure d'une protection toute particulière la filiation d'un enfant lorsqu'elle est légalement établie. Ainsi, sans entrer dans des considérations de technique juridique, nous préciserons la protection attribuée à la filiation de l'enfant né dans le mariage ainsi que celle qui vise la filiation de l'enfant né hors mariage.
Tant pour l'enfant né hors mariage que pour l'enfant né dans le mariage, la maternité est établie par l'acte de naissance dans la plupart des cas. C'est ce qu'il ressort du prescrit de l'article 312 du code civil.
Par contre, concernant la paternité, le législateur distingue selon que l'enfant est né dans ou hors mariage.
Pour l'enfant né dans le mariage, l'article 315 du Code civil prévoit que la filiation paternelle est établie par le biais d'une présomption de paternité dont le poids ne doit pas être sous-estimé. Celle-ci ne pourra en effet être contestée que par quelques intéressés, à savoir : le mari de la mère, la mère elle-même et seulement pour elle-même, l'enfant lorsqu'il a atteint l'âge de la majorité et la personne qui revendique la paternité de l'enfant (article 318, § 1, C.C.).
En outre, les délais pour contester cette présomption et par conséquent pour permettre légalement à l'enfant de voir une autre filiation, notamment une filiation biologique, remplacer la filiation présumée sont très brefs. L'action de la mère doit être intentée dans l'année de la naissance. L'action du mari doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant, celle de celui qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant et celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que le mari n'est pas son père (article 318, § 2, C.C.).
Pour l'enfant né hors mariage, l'article 319 du code civil prévoit que la filiation paternelle peut être établie par le biais d'une reconnaissance. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et l'homme qui revendique la paternité (article 330 C.C.).
L'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère; celle de la personne qui revendique la filiation doit être intentée dans l'année de la découverte qu'elle est le père ou la mère de l'enfant; celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère (article 330, § 1, C.C.).
Cependant, le législateur entend protéger la filiation établie de cette manière par deux moyens : d'une part, l'auteur de la reconnaissance ou ceux qui y ont consenti ne seront recevables à contester cette filiation que pour autant qu'ils prouvent que leur consentement à la reconnaissance a été vicié (par exemple par erreur, dol ou violence), d'autre part, lorsque l'enfant a la possession d'état (entendons par là un faisceau de présomptions qui, prises ensemble ou isolément attestent de l'existence du lien de filiation. Parmi ces indices nous citerons à titre exemplatif : le fait que l'enfant ait toujours porté le nom de son père, le fait que le père ait toujours ressenti l'enfant comme le sien ou encore, le fait que l'entourage ait toujours considéré l'enfant et son père comme tels) à l'égard de celui qui l'a reconnu, toute contestation est irrecevable.
Ce très bref survol des règles légales en matière de filiation paternelle nous permettent d'observer que le législateur a entendu dans de nombreux cas protéger de manière définitive la filiation établie.
La recherche clandestine de la paternité dans des cas où plus aucune contestation légale de la filiation n'est possible nous semble extrêmement dangereuse. Il s'agira en effet de dévoiler à l'enfant et à ses parents légaux une vérité biologique susceptible dans de nombreux cas de troubler la sérénité familiale à laquelle il peut aujourd'hui prétendre. En effet, l'article 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant que la Cour de cassation a déclaré directement applicable, proclame le droit pour l'enfant de préserver ses relations familiales telles qu'elles sont reconnues par la loi nationale du pays dont il est sujet (Cass. 11 mars 1994, Pas., I, p. 247).
Le dévoilement de cette vérité, en contradiction avec une filiation légale incontestable et définitive nous apparaît non seulement contraire à l'intérêt de l'enfant mais aussi dans certains cas dangereuse pour lui. L'enfant pourrait en effet être victime de violences morales ou physiques de la part d'un père trompé. Notons que dans cette hypothèse, la responsabilité civile du médecin ou de l'établissement ayant pratiqué le test pourrait être engagée.
Enfin, si le droit de l'enfant au respect de sa vie privée et familiale consacré par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme doit être entendu comme son droit à préserver le secret de sa filiation, le dévoilement non consenti par lui, totalement inutile et nuisible à son intérêt, d'une vérité biologique en contradiction avec la vérité légale porte assurément atteinte à ce droit. Pour toutes ces raisons, elle nous paraît devoir être condamnée.
III. Concernant le pouvoir de représenter l'enfant, nous rappellerons que les parents investis de l'autorité parentale sur la personne et sur les biens de l'enfant disposent de ce fait du pouvoir de le représenter dans tous les actes de la vie courante. Ils sont néanmoins tenus d'exercer cette autorité parentale dans l'intérêt de l'enfant.
Il nous apparaît donc que le consentement donné par des parents à un acte attentatoire à son intégrité physique de manière injustifiée (comme nous l'avons précisé précédemment) ne peut valoir représentation.
En outre, le fait pour des parents de consentir au nom de l'enfant au dévoilement d'une vérité manifestement contraire à son intérêt (violation de son droit à une vie familiale paisible, de son droit au respect de la vie privée) ne peut rentrer dans les prérogatives de l'autorité parentale exercée, rappelons-le, exclusivement dans le respect de cet intérêt. Le consentement donné pour l'enfant à de tels actes est alors mû par la curiosité des parents et constitue selon nous un abus de l'autorité parentale, susceptible d'engager également la responsabilité civile des parents. Il ne saurait être considéré comme une représentation valable de l'enfant.
Nous ajouterons simplement que l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant prévoit pour l'enfant, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
Il nous semble à propos de ce texte pouvoir noter plusieurs choses.
D'une part, ce droit de connaître ses parents ne peut être dissocié selon nous du droit de faire établir sa filiation à leur égard, chose impossible dans de nombreux cas de recherche clandestine de la filiation.
D'autre part, les termes "dans la mesure du possible" peuvent être compris au sens de : "lorsque la loi n'y fait pas obstacle". Ces obstacles légaux peuvent selon nous être des filiations légales déjà établies et impossibles à contester.
Enfin, ce droit de l'enfant à connaître ses origines ne peut être envisagé que comme un droit purement personnel, non susceptible de représentation. On ne peut, dans ces circonstances, envisager une recherche clandestine des origines de l'enfant exercée en son nom par ses parents.