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Déontologie

Les Comités d'éthique - Historique et mise au point actuelle

LES COMITES D'ETHIQUE

Historique et mise au point actuelle

L’histoire des Comités d’éthique est intimement liée à celle de la naissance du mouvement bioéthique en général. Ce mouvement reconnaît des origines multiples : l’abus de l’expérimentation, les problèmes de vie, de survie et de mort, de maîtrise de la fécondation et de la reproduction, de manipulation génétique, d’une façon générale tous les problèmes créés par la techno-science médicale ainsi que par l’impact économique des soins de santé. Cette problématique aux facettes multiples échappe à la seule compétence médicale par ses profondes répercussions sur l’intégrité et la dignité de la personne humaine et sur la vie sociale en général. L’impact de ce qu’on appelle les profanes, et notamment les juristes, philosophes, théologiens, psychologues et sociologues et bien d’autres, dans les décisions médicales au sens large s’en trouvait, non seulement renforcé, mais était devenu une nécessité. La voix du malade, via le concept d’autonomie, était considérée comme déterminante dans le choix et la réalisation des actes médicaux bien que, pour certains, il s’agisse toujours d’une illusion dans la réalité de tous les jours.
Les années charnières, dans cette évolution touchant à la fois les mentalités et les réalisations sur le terrain, furent les années septante. Parmi les causes et facteurs déterminants que nous avons cités, certains avaient plus de poids que d’autres, mais ces causes et facteurs étaient inextricablement liés.

Le tableau reprend quelques-unes de ces étapes parmi bien d’autres, sans doute tout aussi importantes. Elles constituent cependant un guide historique très utile.

Etapes dans l’évolution de la bioéthique et de la création des Comités ad hoc :

Sur le plan international
1947 Code de Nüremberg (expérimentation).
1957 Pie XII : Problèmes religieux et moraux de la réanimation.
1960 Seattle : Comité du rein artificiel.
1966Henry BEECHER : Ethics in clinical medicine.
1969-71Création du Hastings et du Kennedy Center, dévolus à la recherche, l’étude et la formation en bioéthique.
1971 Comités d’éthique clinique dans les hôpitaux catholiques canadiens. Guide éthique et moral pour hôpitaux catholiques.
1972 USA National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavior research.
1973 Beauchamp et Childress : Principles of medical ethics.
1974 Rapport Belmont : Autonomie, Bienfaisance, Justice.
1975 Déclaration d’Helsinki.
1983 France : Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé.
En Belgique
1979 Comité d’éthique du FNRS.
1980 Avis du Conseil national de l’Ordre des médecins à propos de l’expérimentation humaine. Cet avis fait référence aux Comités d’éthique dont il précise la composition.
1992 Avis du Conseil national élargissant et précisant le rôle des Comités d’éthique.
1994 Arrêté royal instituant les Comités d’éthique hospitaliers dans le cadre de la loi sur les hôpitaux.
1996 Janvier : institution du Comité national consultatif de bioéthique.
1999 Insertion d'un art. 70ter concernant les Comités d'éthique dans la loi sur les hôpitaux.

Malgré toutes ces instances et une énorme littérature, la définition même de l’éthique et, par la même, de la bioéthique, est soumise à des interprétations très diverses.

Missions des Comités d’éthique :
  • élaborer des recommandations en matière d’éthique en ce qui concerne les soins de santé des patients en général et établir la politique en matière d’éthique qui s’y rapporte au niveau de l'institution.
  • rôle de formation et d’éducation du staff hospitalier, des patients et leurs familles et de la communauté sur les aspects éthiques de la politique des soins de l’institution.
  • consultation et délibération sur des questions spécifiques à certains patients.
  • donner un avis sur les protocoles de recherche expérimentale (aux USA, ce dernier point est dévolu à des comités spéciaux, les "institutional review boards”).

Ces missions, universellement reconnues sont par ailleurs reprises dans l’arrêté royal et dans les recommandations du Conseil national de l’Ordre.
Les Comités d’éthique sont au service des médecins, des patients et de leurs familles, du staff hospitalier et d’autres entités éventuelles qui, tous, peuvent saisir le Comité sur une question ou un projet touchant à l’éthique.
L’arrêté royal et les recommandations de l’Ordre s’attachent à la composition quantitative et les qualités professionnelles des membres d’un Comité.
Les rapports d’activité, qui peuvent être anonymes, sont adressés au Comité national de bioéthique, avec copie au Conseil national de l’Ordre. Ils ne reprennent que des éléments purement quantitatifs, en vue d’une étude "épidémiologique" des activités des Comités en Belgique. Ils ne traduisent pas comme telle la vie réelle des Comités, sans doute pour respecter la confidentialité et, par-là, la liberté des Comités.
Les membres d’un Comité agissent d’une façon globale comme des consultants en éthique. La fonction d'éthicien consultant tend par ailleurs à se généraliser dans les institutions hospitalières, surtout outre-atlantique. Le livre récent de BAYLIS leur est consacré.
Ainsi, les qualités des membres d’un Comité et d’un consultant, en dehors de leur compétence professionnelle, sont surtout dominés par l’intégrité intellectuelle et une formation au raisonnement logique. L’aptitude à un jugement sain et de bon sens semblent en outre indispensables.
L’intégrité morale et intellectuelle est difficile à définir. C’est un concept intuitif qui s’applique à une personne qui s’est, dans un sens Kantien, fixé sa propre loi morale, s’inspirant de préférence de principes universels, et qui s’efforce de s’y tenir.
Sur le plan moral, on peut citer la sensibilité à des valeurs démocratiques, le respect des autres, l’ouverture à des opinions divergentes et la tolérance.
Dans le fonctionnement d’une délibération, l’efficacité dans la communication doit être recherchée. Les opinions affirmées d’une forte personnalité ne peuvent pas prendre le pas sur une écoute attentive d’un chacun.
Les conclusions d’une délibération ne doivent pas nécessairement rechercher un consensus global, mais peuvent aussi aboutir à un exposé des opinions dans leur diversité.
En dehors des réunions générales, chaque Comité devrait prévoir un comité de crise restreint, capable de prendre des décisions urgentes dans des cas particuliers. Ses décisions devraient être consignées dans le dossier du patient. Quant aux avis sur les protocoles expérimentaux, ils devraient faire l’objet d’un écrit standardisé, rappelant au promoteur son entière responsabilité médicale et prenant acte qu’une assurance spécifique couvre tous les risques de l'expérimentation, y compris ceux liés à l'expérimentation de certains médicaments.
Ces considérations sur la mission des Comités et la qualité de ses membres impose, à notre avis des séances de formation suivies à titre individuel ou, encore mieux, organisés pour le Comité ou un ensemble de Comités. Par ailleurs, la plupart des universités organisent des cours conférences et licences en bioéthique. Il convient d’être très circonspect vis-à-vis des éthiciens “autoproclamés".

Bien des Comités d’éthique se posent enfin la question de leur responsabilité et celle de leurs membres.
La responsabilité individuelle est évidente sur le plan moral. Les Comités d'éthique médicale ne peuvent être civilement responsables que s'ils ont la personnalité juridique, ce qui n'est en principe pas le cas en Belgique pour le moment. Les Comités locaux d'éthique, dont la création a été rendue obligatoire dans les hôpitaux par l'arrêté royal du 12 août 1994, n'ont pas été dotés de cette personnalité juridique par cet arrêté. La responsabilité du Comité, comme entité juridique distincte de ses membres, ne peut donc être soulevée. Sa constitution éventuelle en Asbl ne peut être envisagée car contraire aux dispositions légales en la matière. Si cette obligation légale de créer des Comités d'éthique médicale n'a pas pour conséquence de doter les Comités de la personnalité juridique, elle en a une autre : le Comité local d'éthique est devenu un organe de l'hôpital ou du groupement d'hôpitaux, car tous les membres - aussi ceux qui ne sont pas attachés à l'hôpital - sont désignés par le gestionnaire de l'hôpital. Cette disposition, à son tour, se répercute dans la question de savoir si l'on peut encore considérer plus longtemps comme peu évident l'engagement de la responsabilité de l'hôpital dans lequel siège le Comité d'éthique. Déjà, lors d'une réunion du 23 novembre 1994, avec les présidents des Comités d'éthique médicale, il avait été souligné que cette circonstance n'enlèverait rien à la responsabilité morale des Comités, mais qu'elle pourrait entraîner des conséquences financières pour les hôpitaux parce qu'ils pourraient être tenus pour co-responsables.
Certains Comités sont attachés à des firmes pharmaceutiques. L'initiative de leur création émane de la firme et n'implique pas que des personnes se réunissent de leur propre initiative afin de remplir le rôle de Comité d'éthique pour la firme pharmaceutique.

Le fait que les Comités d'éthique médicale ne résultent pas de l'initiative privée de personnes ayant décidé de se réunir, pouvait aussi être déjà déduit de plusieurs avis antérieurs du Conseil national.
On peut enfin se demander dans quelle mesure un consultant éthique encourt une responsabilité pénale pour coups et blessures en cas de dommage au patient suite à son avis. Dans tous les cas de responsabilité, la preuve de cause à effet doit être fournie. En absence de toute législation la question reste ouverte. Une ambiguïté persiste. Elle est soulignée par plusieurs auteurs et notamment dans l’excellent ouvrage édité par Marie-Luce DELFOSSE, auteurs qui soulignent aussi la nécessité d’une législation adéquate pour y remédier.

Il existe en Belgique, à l’heure actuelle, près de deux-cent Comités d’éthique dont une vingtaine de non-hospitaliers (voir Bulletin n 83 (mars 1999), p. 25.) On peut estimer que ce nombre est excessif. Et c’est sans doute vrai si tous ces Comités devaient se consacrer à des avis concernant des protocoles d’expérimentation chez l’homme. Mais ce genre de protocoles concernent surtout les institutions universitaires où la nécessité d’une expertise adéquate est généralement assurée. En dehors de la recherche, il nous semble souhaitable que les institutions de soins disposent d’un Comité apte à se pencher sur les multiples problèmes qui affectent, sur le plan éthique et déontologique, la relation médecin- malade et, notamment dans la perspective des droits du patient, qui sont de plus en plus mis en exergue.

En Belgique, trois Comités nationaux ou fédéraux sont à la fois pluralistes et bilingues. Le Comité consultatif national, celui du FNRS et celui du Conseil national de l’Ordre. Ce dernier prépare, la plupart du temps, des avis et projets de réponse pour le bureau. Les questions importantes sont soumises au Conseil en séance plénière avant d’être traduites en avis officiels. Ainsi, l’ensemble du Conseil joue souvent le rôle d’un Comité éthique ou déontologique. La présence des magistrats et de la responsable du service d’études juridiques y remplit un rôle important. A notre avis, cette structure est assez exemplaire, dès lors qu’elle arrive régulièrement à un consensus même si, parfois mais rarement, plusieurs séances sont nécessaires.
Un tel consensus n’est pas toujours possible au niveau du Comité national de bioéthique lorsque les grands problèmes éthiques de l’actualité sont évoqués. La très grande diversité des clivages de toutes sortes en Belgique en est probablement responsable. Cette diversité n’entraîne cependant pas d’affrontement et on peut espérer que se réalise le voeux qui termine le très beau livre de Jean-Pierre CHANGEUX et de Paul RICOEUR sur “La nature et la règle“ :
"Accepter de prendre en compte l’enseignement de toutes les sagesses humaines afin de construire un projet commun - projet de paix, projet de civilisation universelle, libre, juste, et sur le mode de la joie."

Prof. G. SOKAL

Bibliographie

Les Comités de la recherche biomédicale
Marie-Luce DELFOSSE ed.
Presses Universitaires de Namur, 1997.

SIGRID-FRY-REVERE
Accountability of bioethics commitees and consultants
University publishing group, 1992.

BAYLIS F.E.
The health care ethics consultant
Humana Press, 1994.

Jean-Pierre CHANGEUX Paul RICOEUR
La nature et la règle
Odile Jacobs ed., 1998