Editorial : L'éthique médicale dans les pays anglo-saxons
L'ETHIQUE MEDICALE DANS LES PAYS ANGLO SAXONS
On ne peut qu'être frappé du développement considérable de l'intérêt que portent, depuis une dizaine d'années, les médecins et le public éclairé au problème de l'éthique médicale dans les pays anglo saxons. Ce phénomène est surtout remarquable aux Etats Unis dans lesquels un effort considérable a été développé dans plusieurs directions et qui a donné lieu à un nombre très important de publications fondamentales.
Il faut noter que la systématisation de l'éthique médicale sous forme de code date dans ces pays de 1803, année au cours de laquelle un chirurgien de Manchester du nom de Thomas Percival a publié un travail qui constitue la première tentative de l'époque moderne de codifier les préceptes gouvernant le comportement professionnel des médecins et des chirurgiens.
L'Association Médicale Britannique a été créée en 1856 et en 1858 une loi organisait le General Medical Council qui représente dans les pays occidentaux, le premier Ordre des Médecins imposé par l'autorité publique.
Il avait pour mission de vérifier les qualités professionnelles des praticiens, d'en tenir les registres et de sanctionner par la radiation de ce registre, ceux des praticiens coupables d'infraction à l'éthique médicale.
Conformément au droit anglais, le General Medical Council n'a jamais élaboré de code écrit.
Il se borne à donner des conseils généraux et à indiquer les infractions principales susceptibles d'être sanctionnées conformément à sa jurisprudence.
Chose remarquable, ce General Medical Council a continué à fonctionner jusqu'à nos jours suivant le même principe.
Plusieurs modifications légales sont intervenues dont la dernière en 1977 mais ce Conseil reste toujours composé de médecins élus par leurs pairs.
Il est présidé par un médecin et comprend actuellement 6 personnes non médicales sur un ensemble de 93 membres.
Le Président s'adjoint un juriste consultant choisi parmi les praticiens éminents du Barreau.
Ainsi dans un pays qui connaît un service national de santé entièrement contrôlé par les pouvoirs publics, le pouvoir disciplinaire est exercé exclusivement par des professionnels élus au sein du corps médical.
La doctrine en matière de déontologie est par contre élaborée par l'Association Médicale Britannique.
La dernière édition (1980) de son manuel d'éthique médicale comprend toutes les matières que l'on rencontre dans les codes de déontologie continentaux et une série de considérations sur des problèmes d'ordre général tels que l'acharnement thérapeutique, I'euthanasie, I'expérimentation humaine et l'interruption volontaire de grossesse. Les principes défendus par l'Association Médicale Mondiale.
Le guide de la British Medical Association reprend soigneusement toutes les publications de cette association depuis 1947 tels que le Serment de Genève, la déclaration d'Helsinki, la déclaration d'Oslo, la déclaration de Tokyo, celle de Sydney et celle de Munich (ordinateurs en médecine).
Il est utile de savoir que, oeuvre d'une Commission ad hoc, ce manuel d'éthique britannique a été adopté à l'Assemblée Générale de la British Medical Association en 1977.
existe en Grande Bretagne, une publication mensuelle émanant de la Société d'Ethique Médicale et de nombreuses publications fort intéressantes dont le dictionnaire d'éthique médicale.
Aux U.S.A., I'Association Médicale Américaine a été fort préoccupée dès sa création, par les problèmes d'éthique.
Dès 1868, elle a formé un Judicial Council qui prenant pour base le code de Percival, a élaboré un document qui s'est étoffé au cours des années et a débouché sur un manuel volumineux qui comprend à la fois des préceptes généraux et des conseils particuliers tirés de la jurisprudence.
Il existe au niveau de chaque comté (arrondissement) une association médicale qui élit en son sein un jury disciplinaire chargé de sanctionner les manquements à la déontologie et d'en communiquer au besoin la substance au Licensing Board de l'Etat.
Celui ci à son tour peut suspendre à terme ou définitivement, la licence de tout médecin coupable de violation des règles d'éthique.
Cependant l'évolution la plus importante de la pensée médicale dans le domaine de l'éthique s'est opérée en dehors des organes que nous venons de mentionner.
Elle est due à une série de facteurs particuliers dont les plus importants sont certainement l'apparition de problèmes nouveaux dus au progrès incessant des techniques médicales.
On peut mentionner parmi les plus importantes, les transplantations cardiaques d'abord, rénales ensuite, I'expérimentation humaine sur sujet sain et la controverse sur l'interruption volontaire de la grossesse.
Non seulement ces sujets ont donné lieu à d'importants débats publics auxquels ont participé médecins et non médecins mais encore les autorités tant universitaires que publiques ont mis sur pied des commissions, des groupes d'étude, des fondations et des associations dans le but d'approfondir les problèmes qui se sont posés avec une grande acuité et qui ont provoqué souvent des conflits entre le droit, la morale, la religion et la pratique médicale.
Ces groupes ont abordé une série de situations nouvelles à cheval sur la médecine, la philosophie ou la politique.
Un autre facteur doit être trouvé dans une modification des relations entre médecins et malades.
Si l'on compare la version la plus récente des principes d'éthique de l'Association Médicale Américaine aux préceptes d'Hippocrate, on constate qu'en plus de considérations concernant le comportement des médecins entre eux, de la protection du secret du patient, du tort ou du bien que le médecin peut lui faire, les textes modernes introduisent pour la première fois depuis l'Antiquité, le principe du droit des malades.
On peut y voir une révolution considérable dans la mesure où le dialogue entre médecins et patients s'établit dorénavant sur un pied d'égalité et que la décision médicale ne dépend plus uniquement de l'opinion personnelle du médecin, elle doit également tenir compte de la décision du patient.
Il est enfin incontestable que l'intrusion de l'assurance maladie sous diverses formes pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Aux considérations strictement individualistes nées du dialogue ou de ce que les Français appellent du colloque singulier entre médecins et malades, sont venues s'ajouter des considérations sociales; à côté de la bioéthique se développe rapidement une éthique sociale.
Certains ajouteront enfin que les aléas de la profession médicale américaine confrontés avec un nombre considérable de procès en responsabilité ont poussé les médecins à s'interroger sur les motivations morales de leur activité.
Parmi les publications américaines les plus importantes, il faut citer avant tout l'Encyclopédie de bioéthique en quatre volumes et l'activité de deux centres importants, celui de l'lnstitut Kennedy pour l'étude de l'éthique médicale de l'Université de Georgetown et celui du centre de Hastings.
De son côté, le Gouvernement fédéral finance régulièrement les travaux de Commissions Nationales dont on peut citer quelques exemples: le rapport Belmont, Commission pour la protection des sujets humains dans la recherche médicale (1978), le rapport du N.l.H. (1979) sur les manipulations génétiques et un grand nombre d'ouvrages fondamentaux dont nous nous bornerons à donner une liste très réduite.
L'ouvrage: «Ethics in Medicine» paru en 1977 sous les auspices du M.l.T. (Boston) est un ouvrage extrêmement utile.
Il comprend les principaux textes de base indispensables à tous ceux qui s'intéressent aux problèmes d'éthique.
On y trouve par exemple de nombreux extraits des ouvrages hippocratiques, le texte intégral de la loi de Frédéric II (1240) réglant la pratique de la médecine, le traité de HENRI de MONDEVILLE sur la morale et l'étiquette des chirurgiens; on y trouve aussi de nombreux textes légaux et des considérations économiques, sociales et philosophiques.
Un ouvrage intéressant élaboré par l'équipe du Centre de Bioéthique de la Fondation Kennedy pour l'Ethique (Georgetown University) et intitulé «Principles of Biomedical Ethics» (Oxford University Press 1979) contient des considérations à la fois philosophiques et pratiques ainsi qu'une étude de la casuistique. Cet ouvrage peut certainement inspirer des réflexions utiles à ceux qui sont chargés de l'enseignement de la déontologie médicale.
A titre d'exemple, nous nous bornerons à décrire rapidement quelques uns des principaux sujets de discussion.
Un premier consiste à déterminer au sein de la société moderne, les limites éventuelles des obligations du médecin, des obligations de la société et des droits du malade.
Il s'agit évidemment de l'acharnement thérapeutique.
Ce problème se pose avec une acuité croissante aux Etats-Unis, pays le plus avancé de l'Occident sur le plan technologique mais aussi l'un des derniers à concevoir une couverture collective du financement des soins de santé.
Sur le plan moral, le dilemme est clairement défini, la demande est illimitée, I'offre par essence l'est également, mais les moyens de financement connaissent des limites déterminées en dernière analyse par un consensus démocratique.
Doit on dans ces conditions, encourager et subsidier, ce qui revient au même, une recherche médicale illimitée dans sa poursuite de la perfection technique en matière de diagnostic ou de thérapeutique.
Ne vaut il pas mieux établir dès à présent un moratoire car dans une société libre dans laquelle l'information circule sans contrainte, il est impossible d'empêcher l'application du progrès à ceux qui sont prêts ou capables d'en payer le prix alors que ce progrès est jugé trop coûteux pour le financement collectif.
Ce principe de l'égalité des citoyens devant la maladie fait craindre aux meilleurs esprits, un arrêt brusque dans le financement de certaines recherches et un freinage en tout cas de la plupart.
Cet aspect heurte particulièrement le citoyen américain formé depuis plusieurs décades à croire au progrès, à la liberté d'entreprendre, de concevoir et d'appliquer.
A juste titre, semble t il, ce citoyen attribue à ces conditions la cause du progrès scientifique médical qui donne aux Etats-Unis, la première place dans le monde.
Par contre, certains moralistes médicaux estiment que la justice distributive est préférable à la vaine poursuite d'un progrès limité par définition à la durée de vie de l'espèce humaine et au caractère inéluctable du phénomène de la mort.
L'application de cette doctrine satisfait sans nul doute aux objectifs financiers des gestionnaires d'assurance de santé ou des pouvoirs publics.
A l'occasion d'une évolution particulièrement rapide dans le domaine des manipulations génétiques, on a d'ailleurs pu voir un groupe éminent de médecins s'opposer eux mêmes au développement non contrôlé de la recherche dans ce domaine.
Ces craintes devant l'explosion incontrôlée de la recherche scientifique sont certainement dictées par des réflexions morales, philosophiques ou religieuses.
Mais il ne faut pas se dissimuler qu'elles ont une base politique. Nombreux sont en effet les hommes politiques responsables dont le sénateur Kennedy aux Etats Unis qui s'interrogent au nom de la justice distributive devant le coût élevé de la recherche et de la pratique médicale modernes.
lls estiment que le droit à la santé proclamé en 1946 par l'O.N.U. repose sur l'accès sans obstacle économique quelconque, aux soins, de tous les citoyens.
Cette égalité devant la maladie doit entraîner l'égalité de chances en ce qui concerne le diagnostic et le traitement.
En d'autres termes, personne ne devrait disposer de techniques médico chirurgicales qui ne sont pas disponibles pour tout le monde.
Ces mêmes personnalités déclarent immorale la situation qui privilégerait dans le choix d'une médecine moderne les citoyens les mieux nantis.
D'où l'accent mis sur la recherche médicale opérationnelle et le transfert des sommes limitées disponibles vers une amélioration des soins de base aux dépens de la médecine de pointe.
Ce sentiment est également celui des responsables politiques dans les pays en développement et par la force de leur nombre au sein de l'O.N.U., il représente également l'opinion de cette organisation internationale.
Ce problème d'éthique sociale préoccupe au premier chef les spécialistes de la bioéthique dans les pays anglo saxons.
Comme on le voit, un champ fertile aux réflexions de tout genre s'offre à tous ceux que préoccupent les problèmes fondamentaux que pose la médecine moderne.
Peut être le moment est il propice pour regretter que, prises au piège de nos querelles prosaïques et quotidiennes, nos institutions ordinales ne trouvent pas le temps de se livrer sur notre vieux continent à des recherches de la même envergure.
Docteur J. FARBER