Euthanasie
En sa séance du 17 novembre 2001, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné le projet de loi adopté par le Sénat au sujet de l'euthanasie et a confronté le texte avec la déontologie médicale actuelle.
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Le Conseil national a toujours été très attentif aux problèmes de fin de vie. En 1992, le chapitre du Code de déontologie médicale concernant l'euthanasie a été remplacé par un ensemble de règles de conduite autour de la vie finissante. Le Conseil national estimait que telle était la seule façon de pouvoir apporter une réponse globale à l'être humain demandant à être épargné dans ses derniers moments de souffrances intolérables et incurables, et à pouvoir mourir dans la dignité. Au regard des attentes des malades, l'actuel projet de loi n'apporte pas de solution pour leur grande majorité qui n'entre pas dans le champ d'application du projet.
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Dans son avis du 15 janvier 2000, le Conseil national confirme sa position de 1992 et souligne notamment que le médecin placé devant un conflit de valeurs, est à même de décider en honneur et conscience de la mise en œuvre des moyens adéquats pour permettre à un patient en fin de vie de mourir dans la dignité. Le projet de loi ne limite pas la possibilité de l'euthanasie à la vie finissante et la prévoit aussi pour des malades dont la mort n'est manifestement pas proche. Le Conseil national estime qu'un examen pluridisciplinaire approfondi de patients formulant une telle demande, fera apparaître qu'ils ne sont pas traités de manière compétente ou qu'ils sont insuffisamment informés ou encore que la demande procède uniquement de motifs relationnels, sociaux ou économiques.
Une récente étude de décès en Flandre n'a montré aucun cas de réduction d'espérance de vie en termes de mois suite à des décisions de médecins. Le Conseil national n'ignore pas qu'exceptionnellement, des situations mentionnées dans la littérature, peuvent se présenter. La question se pose cependant s'il est de l'intérêt des malades chroniques, parmi lesquels les patients psychiatriques, et de leur entourage, de suggérer une solution créant des attentes qui ne seront rencontrées en pratique que dans de rares cas.
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Au-delà d'une série de dispositions en accord avec la déontologie, le Conseil national observe quelques lacunes frappantes en ce qui concerne les conditions et procédures prévues par le projet de loi.
Ainsi, l'euthanasie ne pourrait être demandée que par des personnes majeures. La déontologie a toujours préconisé un examen sérieux de demandes formulées par des mineurs tout en jugeant évidemment, en fonction de la demande, du degré de maturité mentale. Cette approche déontologique va d'ailleurs dans le même sens que la Convention internationale des droits de l'enfant en vigueur en Belgique.
Le silence du projet de loi sur le rôle du médecin généraliste est à tout le moins surprenant. Il est positif d'imposer un entretien avec l'équipe soignante, mais le médecin généraliste, qui connaît généralement depuis des années le patient et ceux qui le soutiennent dans son entourage, ne doit pas, suivant le projet de loi, être associé à la concertation. La déontologie médicale prône pourtant une concertation du médecin traitant hospitalier avec le médecin généraliste avant chaque décision importante concernant un patient. En outre, afin d'éviter qu'un patient ne puisse recevoir des soins conformes aux données actuelles et acquises de la science, il convient de prévoir l'obligation pour le médecin sollicité de prendre l'avis d'un spécialiste de la lutte contre la douleur et d'appeler en temps utile en consultation une personne qualifiée en matière de soins palliatifs, à moins que le patient ne le refuse expressément.
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Le Conseil national croit utile, pour éviter des malentendus, de souligner que, suivant l'article 4 du projet de loi, la déclaration anticipée n'est d'application que lorsque le patient est inconscient et que cette situation est irréversible selon l'état actuel de la science, et que par contre cette déclaration ne vaut pas dans le cas où le patient est seulement devenu irrémédiablement incapable d'exprimer sa volonté. En cas de démence, il ne peut être accédé, suivant le projet de loi, à une demande d'euthanasie consignée dans une déclaration anticipée.
Le Conseil national relève avec satisfaction que le projet de loi n'attache pas de valeur contraignante à la déclaration anticipée. Ceci coïncide avec la position du Conseil national dans ses avis relatifs aux Témoins de Jéhovah et à la Note conceptuelle sur les Droits du patient. Ces avis précisent que les médecins doivent prêter la plus grande attention à la déclaration anticipée écrite, car celle-ci peut être déterminante en cas de doutes sur la décision à prendre. Elle n'a néanmoins de valeur qu'indicative mais non impérative.
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Dans son avis du 15 janvier 2000, le Conseil national faisait déjà remarquer que toutes les procédures a posteriori offraient pour le patient, moins de garanties, et pour le médecin, moins de sécurité juridique, qu'une évaluation préalable réglée par la loi.
Le Conseil national présume qu'en raison de la majorité requise des deux tiers des voix, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation ne prendra que rarement la décision d'envoyer un dossier au procureur du Roi. Le Conseil national pense que les documents d'enregistrement comme les dossiers médicaux peuvent être saisis par le juge d'instruction lorsqu'ils ont trait à des accusations portées contre un médecin. La déontologie médicale recommande qu'il ne soit pas possible au médecin de s'opposer à cette saisie. Ceci ne peut qu'inciter les médecins à respecter les dispositions légales de manière stricte et à remplir minutieusement les documents.
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Il ressort de ce qui précède que le projet de loi ne sera d'application que pour quelques-unes des nombreuses personnes qui aspirent à mourir dans la dignité. C'est pourquoi il est tellement important pour les médecins qu'ils se conforment à l'article 33 du Code de déontologie médicale. Il y sont notamment exhortés à communiquer à temps même un pronostic fatal afin de pouvoir parler de la façon de mourir, avant la phase terminale, à plusieurs reprises, ouvertement et de manière approfondie. Le rôle central du médecin généraliste dans l'accompagnement du patient en phase terminale ne sera jamais assez souligné, et ne pourra que s'amplifier lorsqu'il sera possible à tout malade qui le souhaite de mourir chez soi.