Avant-projet de loi relatif aux expérimentations sur l'homme
En vue de la transposition (avant le 30 avril 2004) dans le droit belge de la directive 2001/20/CE concernant la recherche clinique en matière de médicaments et se référant à la réunion de travail avec une délégation de la commission "Ethique médicale" du Conseil national au cabinet du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique (cf. avis du 15 novembre 2003, Bulletin du Conseil national n°103, mars 2004, p. 5), monsieur Rudy DEMOTTE, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, demande dans un e-mail du vendredi 5 décembre 2003 un avis urgent concernant le texte d'un avant-projet de loi en matière d'expérimentation humaine.
Avis du Conseil national à monsieur Rudy DEMOTTE, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique:
A la première lecture, le Conseil national constate:
- que l’avant-projet de loi qui lui est transmis ne se limite pas à l’exécution de la Directive européenne 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain.
- que l’avant-projet établit une distinction entre différents essais cliniques de médicaments alors qu’aucune gradation n’est prévue pour d’autres expérimentations, comme si une distinction entre les expérimentations non invasives et les autres types d’expérimentations ne s’imposait pas. Cette absence de distinction aura un impact négatif sur la recherche scientifique en Belgique.
- que l’extension du champ d’application à l’ensemble des expérimentations a pour conséquence d’accroître considérablement l’importance des comités d’éthique. Conformément à l’avant-projet, leur avis sera désormais contraignant pour toutes les expérimentations.
A cet égard, le Conseil national renvoie à l’avis exprimé le 15 novembre 2003 à votre collaborateur le professeur Englert concernant les répercussions de la Directive européenne ci-dessus sur le fonctionnement et la composition des comités d'éthique (voir annexe). Vu le rôle accru des comités d’éthique, les recommandations émises antérieurement par le Conseil national concernant leur composition, leur reconnaissance, leur indépendance et leur mode de fonctionnement voient, elles aussi, s’accroître leur importance.
- que l’autorité compétente, à savoir le ministre compétent en matière de santé publique ou son délégué, déterminera quels comités d’éthique sont habilités à exercer des missions telles que prévues par la loi. Ceci équivaut à une mise sous tutelle des comités d’éthique.
- qu’il est inacceptable de prévoir qu’un comité d’éthique devra analyser vingt nouveaux protocoles par an afin de pouvoir rester habilité à exercer des missions. Comment un comité d’éthique lié à une association scientifique de médecins généralistes réalisera-t-il pareille gageure? On peut d’ailleurs se demander si à terme tous les comités d’éthique des hôpitaux universitaires continueront à remplir ces critères compte tenu de l’exclusion des études multicentriques et du poids excessif accordé aux promoteurs. Le Conseil national estime que la qualité des comités d’éthique ne se mesure pas à la quantité des protocoles analysés.
- que l’avant-projet accorde une puissance sans précédent aux promoteurs. La déontologie médicale a toujours estimé qu’il imcombe au chercheur lui-même de prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un comité d’éthique. Laisser ce choix aux promoteurs est de nature à éveiller des soupçons de collusion.
Le Conseil insiste sur l’importance de l’indépendance du comité d’éthique vis-à-vis du promoteur, de l’investigateur ou de toute autre forme d’influence indue (art. 13 de la Déclaration d’Helsinki).
- que la procédure relative aux études multicentriques, décrite dans l’avant-projet, est complexe. Le Conseil national ne comprend pas pourquoi les comités d’éthique des sites approchés par le promoteur doivent faire connaître leur jugement au comité d’éthique qui doit émettre l’avis unique. Pourquoi ne suffirait-il pas que le promoteur, une fois en possession d’un avis favorable, contacte les sites approchés afin de savoir s’ils sont disposés à participer à l’étude multicentrique ?
- que les délais prévus dans l’avant-projet sont plus courts que ceux prévus dans la Directive européenne. Le Conseil national comprend que des facteurs économiques interviennent en la matière, mais estime que les sujets d’expérimentation ne peuvent être la victime des délais imposés.
Le Conseil national se demande en particulier s’il y a de bonnes raisons de maintenir les délais prévus pour des expérimentations non commerciales et des expérimentations n’impliquant pas l’usage de médicaments.
- que l’article 26 confère des compétences exceptionnelles au ministre en stipulant que les inspecteurs doivent vérifier entre autres si «les bonnes pratiques cliniques et les bonnes pratiques de fabrication déterminées par le Ministre sont respectées». Le Conseil national peut marquer son accord quant au fond avec l’article 4 de l’avant-projet, mais s’oppose à la compétence conférée au ministre par l’article 26.
- que l’avant-projet contient de nombreuses erreurs de rédaction qui engendrent la compréhension malaisée et nécessitent la lecture comparative des textes néerlandais et français.
Compte tenu de ce qui précède, le Conseil national estime que dans sa forme actuelle l’avant-projet de loi est préjudiciable à la recherche scientifique ainsi qu’à la sécurité des sujets d’expérimentation.