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Déontologie

Helsinki et la Déclaration d'Helsinki (Chronique internationale)

CHRONIQUE INTERNATIONALE
Helsinki et la Déclaration d'Helsinki
Pr G. DE ROY

La 55ème Assemblée générale de l'AMM s'est tenue à Helsinki en septembre 2003. Une réunion très attendue, dont il était espéré qu'elle permettrait de vider les controverses suscitées par la dernière version de la Déclaration d'Helsinki. Un accord final dans la ville où était née, en 1964, la première version de la Déclaration donnerait une valeur symbolique à l'événement. Nous relatons ci-dessous la perception que nous avons eue des péripéties et des discussions éthiques dont a fait l'objet cette dernière version en question.

La 6ème édition de la Déclaration d'Helsinki a été approuvée à Edimbourg le 7 octobre 2000. Déjà lors des débats, plusieurs représentants avaient demandé de différer l'approbation de cette nouvelle version. Ils s'attendaient à des critiques négatives de la part des investigateurs et des promoteurs, mais leurs mises en garde furent promptement balayées. La crédibilité de l'AMM, disait-on, serait en jeu si après tant d'années de travail préparatoire, la révision annoncée de longue date, était reportée.

Ceux qui avaient exhorté à un temps de réflexion, avaient cependant eu raison. Soudain, quelques membres de l'AMM ont élevé de sérieuses objections à la version pourtant adoptée à l'unanimité. Les Etats-Unis surtout se firent réprimander par leur arrière-ban, lisez la FDA . L'irritation a été provoquée par le paragraphe 29 concernant le recours au placebo et par le paragraphe 30 à propos du droit des participants à bénéficier du meilleur traitement après l'étude.

Les opposants au paragraphe 29 estimaient que des études contrôlées par placebo étaient indispensables à une évaluation statistique fiable des résultats de l'essai. C'est pourquoi d'ailleurs la FDA recommande plutôt un contrôle par placebo systématique, car dans le cas contraire, la méthodologie de l'étude scientifique est sans valeur et des projets de recherche sans valeur ne reçoivent pas de subsides. En suivant le paragraphe 29, des institutions, parmi lesquelles des universités, ont pris le risque d'un avis négatif de leur Institutional Review Board , des NIH et évidemment de la FDA. Plusieurs expérimentations humaines scientifiques ont par conséquent été interrompues et d'autres n'ont même pas été commencées. Dans ces conditions, on comprend leur protestation.

Les opposants au paragraphe 30 ont souligné le très mauvais fonctionnement des services de santé des pays du Tiers monde où se déroulent la plupart des expérimentations humaines. Ce paragraphe obligerait les entreprises pharmaceutiques à faire bénéficier les patients ayant participé à une étude, du traitement dont l'étude aura démontré la supériorité. L'industrie pharmaceutique a estimé que cela ne serait financièrement pas réalisable.

Les autorités académiques et les porte-parole de l'industrie pharmaceutique ont insisté avec force, chacun avec ses arguments, pour une réécriture de la Déclaration d'Helsinki, en avertissant sérieusement de ne plus faire référence au caractère très impératif de la Déclaration d'Helsinki. Un tel boycott signifierait une perte de prestige pour l'AMM dont la Déclaration d'Helsinki est l'orgueil. Dans le fond, nul n'a souhaité saper l'autorité morale de l'AMM en matière de recherche, et certainement pas les pays du Tiers monde.

Pour parer à la crise imminente, l'AMM a organisé à Pretoria au mois de mars 2001, en collaboration avec le EFGCP et avec la School of Health Systems and Public Health de l'université de Pretoria, une conférence qui avait toutes les allures d'une session d'urgence. Les représentants de l'industrie pharmaceutique, de la FDA et des NIH étaient singulièrement en nombre. Les pays du Tiers monde en revanche étaient à peine représentés. Pretoria avait pourtant été choisie dans l'espoir d'une participation élevée de ces pays mais il est apparu qu'ils étaient financièrement trop faibles pour se faire représenter.

Aucun accord n'a pu être atteint à Pretoria, sinon que pour la plupart, la Déclaration d'Helsinki doit demeurer le principal code d'éthique en matière de recherche. Les quelques pays qui pouvaient difficilement admettre les paragraphes 29 et 30 devaient en prendre leur parti. Mais ces "quelques" pays étaient justement les riches pays industriels; ceux-ci ont persisté dans leur opposition et ont continué à réclamer une révision. Il n'était politiquement pas faisable de revoir la déclaration quelques mois à peine après son approbation. Cela aurait conduit indubitablement à entendre affirmer que l'AMM avait cédé aux intérêts financiers des pays riches.

Pour sortir de l'impasse, le Conseil de l'AMM a tout simplement attribué la grande divergence de vues à des difficultés d'interprétation des paragraphes contestés. Ceci pouvait être facilement résolu par l'ajout de notes explicatives et au besoin par des amendements. Les Etats-Unis approuvèrent, la déclaration ne serait pas réécrite, mais les paragraphes 29 et 30 seraient passés au crible. La bombe était désamorcée.

Un groupe de travail devait examiner si le paragraphe 29 était effectivement une entrave à une recherche scientifique fiable; le groupe était aussi chargé d'évaluer les implications financières du paragraphe 30. Il s'est avéré indiqué d'associer aux discussions des interlocuteurs externes, réputés pour leur autorité morale et leur expertise. C'est ainsi que le CIOMS , alors occupé à réécrire ses "directives éthiques pour la recherche biomédicale" , prit également part à la discussion.

Le groupe de travail décida de ne pas réécrire le paragraphe 29, mais d'y ajouter une note explicative. Cette note explicative a été approuvée par la 160ème assemblée du Conseil de l'AMM, le 7 octobre 2001 à Ferney-Voltaire (France); elle fait désormais partie intégrante de la Déclaration d'Helsinki.

Le texte du paragraphe 29, inchangé, et de sa note explicative sont les suivants:

Paragraphe 29:
"Les avantages, les risques, les contraintes et l'efficacité d'une nouvelle méthode doivent être évalués par comparaison avec les meilleures méthodes diagnostiques, thérapeutiques ou de prévention en usage. Cela n'exclut ni le recours au placebo ni l'absence d'intervention dans les études pour lesquelles il n'existe pas de méthode diagnostique, thérapeutique ou de prévention éprouvée.".

Note explicative concernant le paragraphe 29:
"L'AMM réaffirme par la présente note que les essais avec témoins sous placebo ne doivent être utilisés qu'avec de grandes précautions et, d'une façon générale, lorsqu'il n'existe pas de traitement éprouvé. Toutefois, même s'il existe un traitement éprouvé, les essais avec témoins sous placebo peuvent être éthiquement acceptables dans les conditions suivantes:

  • lorsque, pour des raisons méthodologiques impérieuses et scientifiquement solides, il n'existe pas d'autres moyens qui permettent de déterminer l'efficacité ou l'innocuité d'une méthode prophylactique, diagnostique ou thérapeutique;
  • lorsqu'une méthode prophylactique, diagnostique ou thérapeutique est mise à l'essai pour une affection bénigne et que la participation à l'essai n'expose pas à des risques supplémentaires de dommages significatifs ou durables.

Toutes les dispositions énoncées dans la Déclaration d'Helsinki doivent être respectées, en particulier, la nécessité d'un examen éthique et scientifique approfondi.".

Les commentateurs ont estimé que cette note explicative, plutôt que d'éclairer le paragraphe, le vident de son essence en réintroduisant, certes sous certaines conditions, le recours au placebo. L'on a prétendu que cela était en définitive utile à la recherche scientifique; les implications éthiques pour les pays pauvres n'ont pas assez retenu l'attention au goût de certains.

La grande pierre d'achoppement fut, même à Helsinki, l'interprétation et le contenu à donner au paragraphe 30.

Paragraphe 30:
Tous les patients ayant participé à une étude doivent être assurés de bénéficier à son terme des moyens diagnostiques, thérapeutiques et de prévention dont l'étude aura montré la supériorité.

Ce paragraphe ne peut être lu indépendamment du paragraphe 19.

Paragraphe 19:
Une recherche médicale sur des êtres humains n'est légitime que si les populations au sein desquelles elle est menée ont des chances réelles de bénéficier des résultats obtenus.

Ces deux paragraphes traitent du sujet sensible de l'expérimentation humaine dans des pays en voie de développement. Sans ces paragraphes, la protection des participants est pratiquement inexistante.

Les partisans du maintien inchangé du paragraphe 30 ont rappelé que la Déclaration d'Helsinki adoptée en 1964 était directement inspirée du Code de Nuremberg. Ce Code rappelle l'obligation de garantir les droits des toutes les personnes se prêtant à des essais, et spécialement des plus vulnérables d'entre elles. D'autres instances internationales comme le CIOMS et le EGE - ont d'ailleurs aussi adopté des positions concernant la protection des groupes de population participant à la recherche clinique scientifique.

La discussion autour du paragraphe 30 indique un fossé entre le Nord et le Sud, entre riches et pauvres. Les pays pauvres pensent avoir droit au meilleur traitement issu de l'étude. Mais dans la pratique, cela ne se passe pas ainsi; généralement, les traitements expérimentaux cessent à la fin de l'étude. La population en question, pour laquelle le traitement expérimental est le seul traitement disponible, est alors abandonnée à son sort sans que nul ne s'en soucie . Les pays en voie de développement invoquent précisément le paragraphe 30 en prévention de façons d'agir à leurs yeux non éthiques. Le paragraphe 30 est leur dernier rempart.

Les pays riches déclarent que ces populations n'auraient de toute façon pas accès à un quelconque traitement. Les firmes pharmaceutiques ne sont pas disposées dans ces conditions à contracter un engagement lourd financièrement. Pour le dire crûment, les firmes ne sont pas des organisations humanitaires; elles veulent bien soutenir la recherche, sachant qu'elles en récolteront le fruit, mais elles n'entendent pas payer les frais de soins de santé efficaces pour les pays pauvres.

Les firmes ne sont pas satisfaites des paragraphes 19 et 30. Elles relativisent le droit des participants au meilleur traitement et à son coût. Tout bien considéré, une déclaration éthique n'est pas une loi et l'on n'est finalement obligé de la respecter que de son mieux. Il se fait aussi que l'investigateur n'est pas en mesure de désigner quel est le meilleur traitement à la fin d'une expérimentation; les résultats d'une expérimentation déterminée doivent être comparés à ceux d'autres recherches avant de savoir quel traitement est supérieur aux autres; cela peut prendre des dizaines d'années avant qu'un médicament soit disponible sur le marché.

Qui aura entendu le plaidoyer des représentants des pays en voie de développement aura retenu ce que leur message a de bouleversant. Avec dignité, ils font la part des choses entre leurs frustrations et le tort social qui leur est fait. Ils ne sont pas en colère mais résignés par rapport à leur malheur: ils doivent lutter contre des soins de santé médiocres, sans technologie, sans médicaments, sans le bien-être élémentaire; pour eux, il n'y a que l'extrême pauvreté. Ils doivent compter sur la bienfaisance pour survivre; ils ne connaissent pas la sécurité sociale fondée sur la solidarité comme celle des pays nantis dont ils entendent si souvent parler au sein de l'AMM.

Presque tout le monde est convaincu du bien-fondé de sa plainte et qu'il y a de grandes missions à accomplir dans les pays en voie de développement; quant à définir ce qu'elles contiennent, cela est moins évident. Pour les riches, la solution à ce problème de grande échelle n'a pas à être recherchée dans la Déclaration d'Helsinki mais auprès des autorités locales. Ceci est un autre débat, répond-on, un débat d'où émerge avec régularité le mot corruption, un débat qui réduit au silence l'économiquement faible. Il reste aux pauvres à interpréter correctement le paragraphe 30: le but n'est pas de mettre des médicaments à la disposition de la population du Tiers monde mais de protéger cette population d'une exploitation lors de la participation à des essais cliniques.

A une époque de commercialisation et de globalisation croissante, les pays pauvres se demandent anxieusement ce qu'il restera du paragraphe du 30, leur seule lueur d'espoir, après que les riches l'auront expliqué.

L'Assemblée générale a promis de poursuivre la réflexion et a décidé en attendant de ne pas modifier la paragraphe en question; mais en espérant que cela ne sera pas pour trop longtemps, pensent les pays riches qui savent encore très bien où ils ont enterré la hache de guerre en mai 2001. A suivre très certainement …

Nul ne conteste que la Déclaration d'Helsinki est un document de référence qui fait autorité. Ses implications lient éthiquement toutes les instances impliquées dans la recherche clinique scientifique: il s'agit tant de l'investigateur que du promoteur de l'étude et des membres des comités d'éthique médicale. On ne peut que se réjouir d'observer les références régulières à la Déclaration d'Helsinki dans les règles de droit tant européen que national.

C'est en mars 2001 que fut présenté à Pretoria le projet de directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain. L'Assemblée tenait particulièrement à ce qu'il fût fait référence à la Déclaration d'Helsinki dans cette directive. La Déclaration aurait ainsi force de loi, du moins dans les Etats membres de l'Europe, après la transposition de la directive dans le droit national.

La directive a été publiée le 1er mai 2001 et il est en effet fait référence à la Déclaration d'Helsinki dans son préambule. Mais on découvre avec surprise que la directive renvoie en réalité à la version antérieure de 1996 et non à celle de 2000. La dernière version révisée et les restrictions qu'elle adresse à l'industrie pharmaceutique sont ainsi considérablement affaiblies. D'aucuns y voient la marque de puissants lobbies, car la directive ne concerne pas n'importe quelles expérimentations, mais bien les essais de médicaments.

Les Etats membres de l'Union européenne devront avoir transposé la directive 2001/20/CE dans leur droit national pour le 1er mai 2004. Bien que la directive fasse référence à la version de la Déclaration d'Helsinki de 1996, nous osons espérer que les législateurs nationaux tiendront compte de la dernière prise de position de l'AMM. Et ce, pour éviter, en guise de parodie, que quelqu'un ne se réfère à une version périmée du code de la route pour définir sa conduite. Il se fait l'heure tant pour l'AMM que pour les entreprises pharmaceutiques de décider si elles rouleront à gauche ou à droite, en d'autres termes, si elles opteront pour les riches ou pour les pauvres.

Association médicale mondiale - World Medical Association www.wma.net
Déclaration d'Helsinki, Bulletin du Conseil national, n°90, p.24.
Food and Drug Administration
Comparable au comité d'éthique en Belgique
National Institutes of Health
European Forum on Good Clinical Practice
Council of International Organizations of Medical Sciences, www.cioms.ch
CIOMS Revised ethical guidelines for biomedical research involving human subjects. August 2002; OSBN 92 9036 075 5. Texte disponible en ligne.
European Group on Ethics in Science and New Technologies; http://europa-eu.int/comm./European_group_ethics
Avis du 17 février 2003: Ethical aspects of clinical research in developing countries; texte disponible en ligne.
Pour être tout à fait correct, il faut tout de même noter l'existence de quelques exceptions remarquables.
Journal officiel des Communautés européennes L 121/34 1.5.2001.