Propositions de loi portant modification de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d’organes
Lettre aux Commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat de Belgique.
Avis du Conseil national :
En sa séance du 17 septembre 2011, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné votre courrier du 5 juillet 2011, ainsi que les différentes propositions de loi portant modification de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes. Il a également analysé les comptes rendus des auditions tenues à ce propos devant la commission des Affaires sociales du Sénat ainsi que l'avis n° 50 du 9 mai 2011 rendu par le Comité consultatif de Bioéthique concernant certains aspects éthiques des modifications apportées par la loi du 25 février 2007 à la loi du 13 juin 1986. Il n'a pas jugé opportun d'analyser dans le détail chacune des propositions de loi qui parfois portent sur le même sujet et il se limitera dans cet avis à émettre des commentaires et des recommandations à propos des différents aspects traités dans ces textes.
1. Utilisation de la plateforme eHealth pour l'enregistrement des dons d'organe.
La loi du 13 juin1986 précitée prévoit en son article 10 concernant le prélèvement après le décès que
« des organes destinés à la transplantation, ainsi qu'à la préparation de substances thérapeutiques (...) peuvent être prélevés sur le corps de toute personne inscrite au registre de la population ou depuis plus de six mois au registre des étrangers, excepté s'il est établi qu'une opposition a été exprimée contre un prélèvement ».
Cette procédure de consentement implicite (opting out) a permis à la Belgique d'atteindre un nombre de donneurs parmi les plus élevés : 25 par million d'habitants par an. Néanmoins, les listes d'attente restent longues et un pourcentage non négligeable de patients décède avant d'avoir accès à une transplantation.
L'opposition ou l'expression de la volonté expresse au don d'organe peuvent être exprimées auprès de l'administration communale et enregistrées par les services du Registre national. La proposition de loi instaurant l'utilisation de la plateforme eHealth pour l'enregistrement des dons d'organes (Doc. parl., Sén., n° 5.666/1, art.2) prévoit d'étendre cette possibilité au médecin généraliste qui gère le dossier médical global de la personne concernée et ce en faisant appel à la plateforme eHealth.
Le Conseil national n'a pas d'objection de principe vis-à-vis de cette proposition qui présente plusieurs avantages. La connaissance que le médecin généraliste a de son patient lui permet de le conseiller sur l'intérêt et la signification de sa prise de position. Le médecin généraliste est plus compétent que l'employé de l'administration communale pour répondre efficacement aux questions. On peut espérer, de cette manière, augmenter le nombre de volonté expresse de don, éviter certaines oppositions justifiées par l'ignorance, des malentendus ou de l'a priori et sensibiliser la population à l'importance et au caractère altruiste du don d'organe. Néanmoins, certains points de la proposition demandent à être précisés.
a.
Les déclarations collectées par les administrations communales et par les médecins généralistes doivent figurer dans une seule base de données, par exemple celle gérée par les services du Registre national et dont l'accès doit être limité aux personnes autorisées.
b.
L'intervention du médecin généraliste se limitera-t-elle à répondre aux demandes spontanées du patient ou devra-t-elle être systématique comme c'est le cas aux Pays-Bas ? Dans cette seconde éventualité, le risque est grand de voir augmenter le nombre d'opposition et de remplacer progressivement le système du consentement implicite (opting out) qui a fait la preuve de son efficacité par un système de consentement explicite (opting in) comme dans les pays voisins, ce qui pourrait entraîner une diminution du nombre de donneurs. Le Conseil national s'associe aux représentants des équipes de transplantation pour demander que le principe du consentement implicite reste le principe de base de la législation concernant les prélèvements d'organes après le décès.
c.
La procédure doit être simple pour ne pas alourdir la charge administrative des généralistes.
d.
Enfin, quoique le médecin généraliste ait de la transplantation et de la psychologie de son patient une connaissance et une expérience plus grande que celle de l'employé de l'administration communale, il parait cependant utile qu'une formation complémentaire soit assurée.
2. Suppression de l'article 6, § 2 introduit dans la loi du 13 juin 1986 par la loi du 25 février 2007.
L'article 6, § 2, du chapitre II consacré au prélèvement sur des personnes vivantes qui prévoit que :
« Chez une personne qui atteint l'age de 18 ans, mais n'est pas en mesure de manifester sa volonté en raison de son état mental, le prélèvement est subordonné au consentement du mandataire légal... »
fait l'objet de controverses.
Cette disposition, en effet, ignore le droit à l'autonomie dont jouit toute personne et viole plusieurs conventions internationales qui disposent qu'une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée sur une personne n'ayant pas la capacité de consentir que dans son bénéfice direct (déclaration d'Oviedo sur les droits de l'Homme et la Biomédecine de 1997, article 6).
Cependant, comme l'analyse en détails l'avis n° 50 du Comité consultatif de Bioéthique, la suppression pure et simple de l'article pourrait poser des difficultés en ne permettant plus des prélèvements de tissus régénérables tels que la moelle hématopoïétique et les cellules souches circulantes. Ces prélèvements n'entraînent que des risques minimes pour le donneur vivant et dans certaines conditions, par exemple transplantation chez un frère ou une sœur, peuvent apporter des avantages par rapport à des tissus prélevés chez d'autres donneurs. Cette situation doit au préalable être soumise à l'avis d'une commission pluridisciplinaire indépendante de l'équipe de transplantation. Le patient incapable sera toujours associé à la décision dans la mesure de son discernement et de sa possibilité d'évaluation.
3. Création d'un réseau de transplantation en Belgique.
Une analyse de l'activité des unités de soins intensifs réalisées par le SPF Santé publique révèle que la proportion de prélèvements d'organes par rapport au nombre total de décès varie fortement selon les hôpitaux. On peut en conclure que certains hôpitaux font plus d'efforts que d'autres pour prélever des organes en vue d'une transplantation. L'avis du Conseil national du 14 décembre 1991 (BCN n° 55, p. 28) illustre les difficultés parfois rencontrées. La proposition de loi créant un réseau de transplantation en Belgique (Doc. parl., Sén., n° 5-667/1) consiste dans la mise en place d'un réseau de transplantation afin d'aider les hôpitaux dans le dépistage des donneurs potentiels et les assister dans leur prise en charge. Elle prévoit qu'un accord de collaboration avec un ou plusieurs centres de transplantation puisse être à l'avenir un critère d'agrément des hôpitaux.
Dès à présent, suite à la directive européenne 2010/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation, le SPF Santé publique a adressé à tous les hôpitaux ayant un potentiel de donneurs un courrier leur proposant le financement de réseaux de coordination de transplantation. Le Conseil national suggère d'évaluer l'impact de cette initiative, ses avantages et ses difficultés d'application, avant de rendre contraignante la participation des hôpitaux à un réseau de transplantation, dont l'utilité paraît cependant bien établie. Il convient également d'éviter l'agressivité du système adopté en Espagne où les coordinateurs locaux de transplantation se lancent dans une véritable chasse aux donneurs, en raison du bénéfice financier qu'ils en retirent, ce qui est contraire à l'article 10 du Code déontologie médicale ainsi qu'à l'article 4, § 1, de la loi du 13 juin 1986 précitée.
4. Propositions visant à incriminer le commerce d'organes et le tourisme de transplantation.
Le commerce d'organes et le tourisme de transplantation sont punissables en Belgique en application des articles 17 à 19 de la loi du 13 juin 1986 ainsi que de l'article 433quinquies, § 1, 4°, du code pénal qui fait partie du chapitre consacré à la traite des êtres humains. La proposition de loi modifiant la loi du 13 juin 1986 relative au prélèvement et à la transplantation d'organes, en vue d'incriminer la transplantation d'organes prélevés de manière illicite (Doc. parl., Sén. n° 5-922/1) vise à permettre de sanctionner de manière plus spécifique quiconque réalise un don d'organe ou effectue une transplantation à des fins commerciales ou en tire profit.
Le Conseil national s'associe à cette initiative qui renforce la législation concernant la prévention et la sanction de ces pratiques illégales et contraires à la déontologie et à l'éthique. Fréquemment condamnées dans les médias et par la Déclaration d'Istanbul du 2 mai 2008 sur le trafic d'organes et le tourisme de transplantation, ces pratiques sont susceptibles de nuire à la notoriété de transplantation, de diminuer la motivation des donneurs volontaires et par là, d'affecter les possibilités thérapeutiques.
Cependant, le Conseil national s'interroge sur les responsabilités respectives des différents acteurs impliqués dans ces pratiques. La responsabilité des personnes qui assurent le racolage des donneurs et en tirent fréquemment un bénéfice financier, de même que celle des médecins qui transplantent des organes dont ils connaissent l'origine illégale ne fait aucun doute et doit être sanctionnée. Par contre, ne faut-il pas tenir compte que, très souvent, le donneur, a subi des contraintes soit a vu dans le don d'organe un moyen d'échapper à une situation socio-économique difficile ?
Quelle est la culpabilité du paysan indien qui vend un rein pour nourrir sa famille ou payer les études de ses enfants ?
De même, n'y a-t-il pas des circonstances atténuantes à prendre en considération pour le receveur dont l'état de santé se détériore alors qu'il figure de longue date sur une liste d'attente de transplant ?
Une législation plus répressive dont le Conseil national reconnaît l'intérêt devrait tenir compte de ces nuances.
Restant à votre disposition, je vous prie d'agréer, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, l'expression de mes sentiments distingués.