Mère positive pour le VIH
Un conseil provincial transmet les questions suivantes, d'un médecin attaché au centre de référence Sida d'un hôpital, concernant le traitement d'une femme enceinte positive pour le VIH.
- A la naissance, l'enfant aura encore besoin d'un traitement médicamenteux pendant (au moins) six mois et il devra ensuite faire l'objet d'un suivi médical de longue durée. Si cette thérapie est refusée par la mère, le père de l'enfant doit-il en être averti?
- Le droit d'être informé de l'état de santé de l'enfant concerne-t-il les deux parents? Les médecins sont-ils tenus d'informer le père s'il est constaté que le bébé est séropositif?
- Que faut-il dire au père si le bébé présente de sérieux effets secondaires de la thérapie antirétrovirale?
- La responsabilité du médecin peut-elle être mise en cause si un bébé s'avère séropositif pour le VIH (probablement) parce que la mère aura refusé le traitement, et que le père n'aura pas été informé de la nécessité de la médication? Cette médication doit-elle être considérée comme la prophylaxie ou comme le traitement d'une maladie comportant un danger de mort?
Des parents peuvent-ils être contraints d'administrer des médicaments? L'hôpital doit-il garantir le traitement correct, éventuellement au moyen d'une hospitalisation?
- Peut-on, dans ce genre de situations, invoquer le "droit de parler dans un état de nécessité" et dans l'affirmative, quelle est la procédure à suivre?
Enfin, ce médecin soumet l'exemple d'une femme enceinte positive pour le VIH qui refuse le médicament et qui n'est pas disposée non plus à l'administrer au bébé après la naissance.
Avis du Conseil national:
En ses séances du 26 novembre 2005 et 14 janvier 2006, le Conseil national a examiné le problème soumis dans votre lettre du 12 avril 2005 concernant le traitement d'un nouveau-né dont le père ne sait pas que la mère est positive pour le VIH. La question posée part du principe que les parents vivent ensemble.
Il convient de noter au préalable qu'un problème aussi complexe ne peut être examiné et traité par un seul médecin, mais requiert une approche pluridisciplinaire. En effet, les aspects de ce problème ne sont pas uniquement médicaux, ils sont également psychologiques et sociaux. Mais la responsabilité finale du traitement repose sur le médecin traitant.
Il importe qu'à partir du moment où l'équipe qui traite la patiente, a connaissance de la grossesse, cette équipe doit immédiatement tout mettre en œuvre afin que le silence soit rompu au sujet de la séropositivité. Il est évident que si la mère s'y oppose, l'équipe ne peut informer le père de la séropositivité. Il faut du professionnalisme pour trouver les raisons profondes du rôle du secret dans la relation et de la persistance du secret en dépit des risques pour l'enfant, lequel n'a pas été procréé sans danger pour le partenaire. Il n'est pas exclu que des mécanismes psychopathologiques constituent un élément important dans l'installation de cette situation complexe. Il va de soi que dans ce cas, un traitement est indiqué. Il est également souhaitable de vérifier comment les partenaires envisagent leur rôle de parents et ce que cela représente pour la relation et pour l'avenir de l'enfant. La question soumise ne subsiste que dans la mesure où tous les efforts de l'équipe n'ont pas entraîné de changement dans la situation initiale.
Le traitement doit viser la prévention maximale de l'infection. Il est évident qu'il est extrêmement important que la mère soit traitée durant la grossesse. Il faut ensuite, si les médecins traitants l'estiment indiqué, procéder à une césarienne au moment le plus opportun et administrer à la mère les médicaments utiles par perfusion continue tant durant la césarienne éventuelle que durant l'accouchement par voie naturelle. Pour tous ces traitements, l'accord du partenaire n'est pas requis, et il n'a pas droit à une information sur la nécessité de la césarienne et des perfusions effectuées dans l'intérêt de l'enfant.
Lorsque l'enfant sera né, les parents exerceront ensemble l'autorité parentale et de ce fait, le père disposera d'un pouvoir de décision conjoint, du moins théoriquement.
Sur le plan scientifique, il est généralement admis que le traitement du nouveau-né est absolument nécessaire si la mère est séropositive. Même dans l'hypothèse où la mère est correctement traitée, le risque de séropositivité de l'enfant peut atteindre 5%. Il n'est légalement et déontologiquement pas justifiable de ne pas traiter un enfant courant ce risque, car cela comporte une menace réelle pour sa santé. Il s'ensuit que l'article 15, §2, de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient est d'application. Cet article prévoit que, dans l'intérêt du patient, et afin de prévenir toute menace pour sa vie ou toute atteinte grave à sa santé, le praticien professionnel dérogera, dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire, à la décision d'un parent agissant en qualité de représentant légal d'un enfant mineur. L'article 61, §1er, deuxième alinéa, du Code de déontologie médicale dispose qu'un médecin doit prendre sans délai les mesures nécessaires pour protéger un enfant gravement en danger. Si ce danger est imminent et s'il n'y a pas d'autres moyens pour protéger l'enfant, le médecin peut communiquer ses constatations au procureur du Roi. Cette règle déontologique se situe dans le prolongement de l'article 458bis du Code pénal. Il ressort de ce qui précède qu'il est tant déontologiquement que légalement justifié d'hospitaliser un bébé si tel est le seul moyen de dispenser un traitement nécessaire. Si les parents s'opposent à l'hospitalisation de l'enfant, il leur sera objecté que la situation sera soumise à l'appréciation de l'autorité judiciaire, ce qui la plupart du temps fera fléchir l'opposition.
Il peut dès lors être répondu comme suit aux questions posées :
- si la mère refuse la thérapie du bébé, elle doit savoir que l'intérêt de l'enfant prédomine et que cela découle tant de la déontologie que de la loi. Il n'y a pas de raison d'informer le père, car son consentement n'est pas nécessaire pour traiter l'enfant afin de prévenir une atteinte grave à sa santé;
le père a en principe le droit d'être informé de l'état de santé de son enfant. Si cela implique de l'informer aussi de l'état de santé de la mère qui s'oppose à ce que cette information soit donnée, il n'est pas indiqué de le faire. Il faut entre-temps vérifier auprès de la mère si elle reste sur ses positions;
en ce qui concerne les effets secondaires de la thérapie antirétrovirale, ces effets peuvent être attribués, à l'égard du père, par exemple à un traitement nécessaire;
- si un bébé s'avère par la suite être séropositif pour le VIH parce que la mère a refusé le traitement du bébé alors que le médecin l'avait estimée nécessaire. La responsabilité de ce médecin pourrait être engagée pour atteinte à la santé de l'enfant. S'il n'a pas été possible à la mère, en raison du contrôle social, d'administrer le médicament en secret, il sera vérifié notamment s'il était justifié de confier le bébé à la mère et s'il n'eût pas été plus indiqué de le faire hospitaliser. En l'occurrence, l'information du père n'est pas un élément essentiel sur le plan de la responsabilité professionnelle.
En conclusion, l'on répondra à la question de savoir si "le droit de parler dans un état de nécessité" ne pourrait être invoqué dans le cas soumis. Cette question ne se pose que si l'on part du point de vue que la communication au père de la probabilité de séropositivité pour l'enfant (violation du secret professionnel) est nécessaire à la sauvegarde d'un intérêt supérieur étant la santé de l'enfant. Il apparaît par conséquent qu'il existe suffisamment de dispositions légales et déontologiques contraignantes qui permettent de traiter l'enfant sans devoir informer le père de l'affection de la mère.
PS. En ce qui concerne la situation très exceptionnelle dans laquelle la mère refuse tout traitement durant la grossesse et l'accouchement, le Conseil national doit encore se prononcer.