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Déontologie

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Hôpitaux07/04/1978 Code de document: a026029
Appareillage médical lourd

NOTE RELATIVE A «L'APPAREILLAGE MEDICAL LOURD»

Le Conseil national de l'Ordre des médecins a pris connaissance du projet de loi modifiant la législation sur les hôpitaux et relatif à certaines autres formes de dispensation de soins (Documents parlementaires, Chambre, S.E. 1977, 85, n° 1).

Ce projet a été voté par la Chambre et est actuellement pendant au Sénat (Doc. parlem., Sénat, 1977‑1978, 243, n° 1).

Le projet modifie notamment l'article 6 bis, § 2, 5°, c de la loi du 23 décembre 1963 sur les hôpitaux modifiée par les lois des 6 juillet 1973 et 5 janvier 1976.

L'article 6 bis, § 2 5°, prévoit actuellement sous la lettre a) que le Fonds de construction d'institutions hospitalières et médico-sociales peut intervenir éventuellement à concurrence de 100 p.c. dans le financement des frais d'investissement de l'appareillage médical lourd. Le Roi détermine, de l'avis conforme du Conseil des hôpitaux, quel équipement devra être considéré comme appareillage médical lourd.

Le même article prévoit, sous la lettre b) que l'intervention visée sous a) ne sera octroyée qu'à condition que l'installation dudit appareillage s'inscrive dans le cadre d'un programme élaboré par le Roi sur base des critères qu'll fixe après avis de la Commission nationale de programmation hospitalière.

Sous la lettre c) le texte actuel dispose que le Roi peut soumettre l'installation de certains équipements d'appareillage médical lourd à une autorisation.

Le projet de loi en discussion prévoit que la disposition figurant sous la lettre c) sera remplacée par le texte suivant:

«c) A partir du moment où un équipement est considéré par le Roi comme appareillage médical lourd conformément au a), il ne peut plus être installé sans autorisation préalable du Ministre qui a la Santé publique dans ses attributions, et ce même si l'initiateur ne sollicite pas les subsides visés sous a) et également si I'investissement s'effectue en dehors des hôpitaux et des établissements médico‑sociaux visés au 1°.

Avant de prendre une décision relative à une demande d'autorisation, le Ministre demande l'avis de la commission de programmation hospitalière.»

Le projet de loi complète les dispositions qui précèdent par le texte suivant formant les lettres d) et e)

«d) Le Roi peut fixer la date à partir de laquelle est interdite l'exploitation d'un appareil médical lourd qui ne s'inscrit pas dans le cadre d'un programme qu'll a élaboré comme prévu sub b).

e) A partir du moment où l'intervention du Fonds atteint 100 % des frais d'investissement de l'appareillage médical lourd, aucun amortissement ni aucune charge financière relatifs à cet appareillage ne peuvent être pris en considération comme éléments constitutifs de l'intervention de l'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité ou du prix de la journée d'entretien.

Le Roi détermine par arrêt délibéré en Conseil des Ministres, les conditions d'intervention du Fonds pour l'installation de l'appareil médical lourd.»

Le projet ajoute, enfin, à l'article 6bis, § 2, de la loi du 23 décembre 1963, un 6° rédigé comme suit:

«6°. Par un arrêté délibéré en Conseil des Ministres et après avis du Conseil des hôpitaux, le Roi peut assimiler les laboratoires de biologie clinique à l'appareillage médical lourd et les soumettre en tout ou en partie aux règles susmentionnées».

D'autre part, I'article 2 du projet de loi punit d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt‑six à deux mille francs ou d'une de ces peines seulement:

«Celui qui, en contravention avec l'article 6 bis, § 2, 5°, c), installe un appareillage médical lourd sans autorisation préalable du Ministre qui a la Santé publique dans ses attributions ou qui, en contravention avec l'article 6 bis, § 2, 5°, d), exploite un appareillage médical lourd qui ne s'inscrit pas dans le cadre d'un programme élaboré par le Roi».

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Le système prévu par le projet de loi peut, dans ses grandes lignes, se résumer de la manière suivante.

La loi ne définit en aucune façon ce qu'il faut entendre par appareillage médical lourd.

Tout appareillage médical quelconque sera donc considéré comme lourd dès qu'un arrêté royal pris de l'avis conforme du Conseil des hôpitaux lui aura attribué cette qualification.

L'installation et l'exploitation d'un appareillage médical lourd, sans autorisation, sont interdites sous la menace de peines correctionnelles.

Dès qu'un arrêté royal aura qualifié un appareillage médical d'appareillage lourd, son exploitation pourra être interdite, même si cet appareillage a été installé avant la date de l'arrêté royal. Celui‑ci atteindra donc rétroactivement l'installation de l'appareillage, puisque cette installation sera privée de toute utilité.

***

Le projet poursuit un triple but:

  1. établir une programmation hospitalière,
  2. assurer le financement de l'appareillage médical lourd,
  3. limiter les dépenses de l'assurance maladie‑invalidité.

Mais le projet contient des interdictions qui ne sont nullement justifiées par ce triple but.

  1. L'interdiction est applicable même si l'appareillage médical lourd est installé en dehors des hôpitaux et des établissements médico‑sociaux visés à l'article 6 bis, 62, 1°, de la loi.

    Elle vise donc toute personne physique ou morale, même étrangère aux établissements hospitaliers qui relèvent de la loi.

  2. L'interdiction ne vaut pas seulement pour l'appareillage acquis au moyen de subventions des pouvoirs publics, mais pour tout appareillage médical lourd acheté uniquement avec les fonds d'une personne morale ou physique, que ces fonds lui appartiennent en propre, qu'ils aient été recueillis à la suite d'un appel à la solidarité publique, qu'ils aient été récoltés par une oeuvre ayant pour objet le développement et le progrès du traitement d'une maladie déterminée ou qu'ils soient l'objet d'un acte de mécénat.

  3. Enfin, I'interdiction s'applique quelle que soit l'incidence de l'exploitation de l'appareillage sur l'assurance maladie‑invalidité.

    Elle vaut même si aucune intervention n'est demandée à l'assurance, ou si l'intervention est limitée au prix coûtant ou encore si l'intervention n'est pas supérieure à celle qui est accordée en cas d'utilisation d'un appareil subventionné à 100 p.c. par les pouvoirs publics (v. Ia disposition prévue sous la lettre e) du projet).

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Il s'agit donc, sauf dans les cas où une autorisation est accordée, d'une interdiction absolue, qui touche n'importe quelle personne, dans n'importe quelles conditions, et cela sous la menace de peines correctionnelles.

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Le Conseil national de l'Ordre des médecins estime que ce système contraignant n'est pas compatible avec les principes fondamentaux relatifs à l'exercice de l'art de guérir.

En outre, il méconnaît l'égalité entre les citoyens, définie par les juridictions internationales sous la notion d'égalité de traitement.

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Les principes relatifs à l'exercice de l'art de guérir trouvent leur expression notamment dans l'article 11 de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967, en vertu duquel les praticiens de l'art de guérir «ne peuvent être l'objet de limitations réglementaires dans le choix des moyens à mettre en oeuvre, soit pour l'établissement du diagnostic, soit pour l'institution du traitement et son exécution, soit pour l'exécution des préparations magistrales». En vertu du même article, les abus de la liberté dont les praticiens jouissent à ce triple point de vue sont sanctionnés par les conseils de l'Ordre dont ils relèvent.

Ce texte a valeur de loi.

Certes, sur le plan strictement juridique, une loi nouvelle peut modifier une loi antérieure ou lui apporter des exceptions ou des limitations.

Mais l'article 11 précité n'a pas seulement le caractère d'une disposition légale de droit positif, elle est l'expression d'un principe fondamental de l'exercice de l'art de guérir, qui préexiste à son expression juridique.

La liberté du médecin sur le plan du diagnostic et de la thérapeutique implique qu'il puisse choisir librement le traitement qui lui paraît le meilleur pour son patient et qu'il puisse s'entourer de tous les moyens techniques qu'il estime nécessaires. Cette liberté est une condition de la qualité de la médecine et du respect de la règle de déontologie suivant laquelle le médecin s'engage, en acceptant de soigner le patient, à lui donner des soins conformes aux données actuelles de la science (article 34 du Code de déontologie).

Cette liberté n'existe pas dans l'intérêt du médecin, mais dans celui du malade; elle n'est que la garantie du droit fondamental de chaque personne humaine à obtenir librement et dans les meilleures conditions, les soins qu'exige son état de santé.

Il est superflu de souligner les dangers que comporte toute limitation étatique à la liberté des médecins et aux droits des citoyens en ce domaine.

Certes, personne ne peut nier que des raisons économiques peuvent malheureusement exiger certaines limitations à la dispensation des soins.

Mais à la lumière des principes qui précèdent, il est évident que le législateur ne peut établir des limitations que si elles sont absolument nécessaires et s'il n'est pas possible de réaliser autrement le but poursuivi par la loi.

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Le système du projet de loi est, au surplus, inconciliable avec le principe de l'égalité entre les citoyens.

Ce principe est consacré par l'article 6 de la Constitution, qui dispose que les Belges sont égaux devant la loi.

Mais il est formulé de manière plus précise dans les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice des Communautés européennes relatives à l'«égalité de traitement».

L'égalité de traitement est violée, dit une de ces décisions, si la distinction entre les citoyens manque de justification objective et raisonnable. L'existence d'une pareille justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée, eu égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés démocratiques.

Une distinction de traitement dans l'exercice d'un droit consacré par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ne doit pas seulement poursuivre un but légitime; I'article 14 qui prohibe toute discrimination, est également violé lorsqu'il est clairement établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (v. à ce sujet, les exposés de M. Sorensen, Juge à la Cour de justice, et de M. Ganshof van der Meersch, Juge à la Cour des droits de l'homme, dans «Informations sur la Cour de justice des Communautés européennes» 1977, 111, p. 41 et s.).

Le droit aux soins de santé n'est pas consacré comme tel par la Convention des droits de l'homme, mais le principe de l'égalité de traitement et la règle de la «proportionnalité» invoquée par les juridictions internationales sont des principes généraux du droit qui valent en toutes matières (ibid.).

Or le système contraignant prévu par le projet de loi, sans nécessité absolue, par rapport au but poursuivi, aboutit à une inégalité de traitement entre les établissements de soins et entre les médecins dans l'utilisation de l'appareillage médical lourd.

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Pour montrer le caractère excessif du projet de loi, il faut d'abord relever l'absence de définition légale de l'appareillage médical lourd et le danger d'arbitraire dans sa définition par le pouvoir exécutif.

L'appareillage médical lourd était déjà mentionné dans l'article 148 de la loi du 5 janvier 1976 relative aux propositions budgétaires 1975‑1976.

Au cours des travaux parlementaires relatifs à cette loi, il a été déclaré ce qui suit (Rapport fait au nom des Commissions réunies des Finances et de la Santé publique du Sénat, Pasinomie, 1976, p. 135):

«Au membre qui lui a demandé de préciser la notion d'appareillage lourd, le Ministre répond qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre appareillage de diagnostic et appareillage thérapeutique, ceux‑ci étant l'un et l'autre visés par la loi.

Le Conseil des hôpitaux est suffisamment compétent pour donner à ce sujet un avis objectif et valable.

La liste ne sera d'ailleurs jamais établie de façon limitative, étant donné la trop grande rapidité d'évolution des techniques médicales; le Ministre est toutefois d'avis qu'il ne faut certainement pas y inclure, par exemple, les instruments dont disposent les dentistes, oculistes, cardiologues et radiologues. Pour ces derniers, du moins, pas dans une première phase, bien que précisément dans ce domaine, I'on en soit presque arrivé à un stade de suréquipement. C'est ce suréquipement que le Ministre entend éviter en imposant une programmation impérative, même en dehors des hôpitaux.»

Le Ministre de l'époque a exprimé ainsi un avis relativement restrictif quant aux instruments qu'il convient de soumettre à autorisation.

Mais ce n'est là qu'un avis sur l'application de la loi et rien n'empêche légalement de soumettre à autorisation les instruments dont disposent les dentistes, oculistes et cardiologues.

On lit dans le même rapport des Commissions réunies du Sénat (Pasinomie, 1976, p. 134): «Les objections émises par le corps médical, selon lesquelles le ministre restreindrait ainsi la liberté d'établissement et d'équipement de cabinets privés, trouvent leur réfutation dans le fait que le projet précise bien qu'il s'agit uniquement d'appareillage médical lourd non rentable, et ce principalement dans les hôpitaux.»

En réalité, la loi de 1976 ne fait aucune distinction entre les appareils rentables et non rentables; d'autre part, elle prévoit expressément qu'elle est applicable même en dehors des hôpitaux. Les mêmes remarques valent pour le projet de loi actuellement en discussion.

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Le Conseil des hôpitaux, sur l'avis conforme duquel le Roi détermine quel est l'appareillage médical lourd, comprend un président et 49 membres (loi du 23 décembre 1963, art. 11).

Il comporte une commission générale et une commission universitaire.

La commission générale comprend 33 membres, dont 15 médecins seulement, soit une minorité.

La commission universitaire comprend 21 membres, dont 10 médecins seulement, soit également une minorité.

Cette composition ne donne pas la garantie que les problèmes de déontologie médicale seront suffisamment pris en considération lors de la détermination de l'appareillage médical lourd, elle ne donne pas la garantie que les problèmes scientifiques délicats que pose cette détermination seront traités avec la compétence nécessaire, elle ne donne pas la garantie qu'une importance exagérée ne sera pas accordée aux problèmes propres des établissements hospitaliers aux dépens des problèmes relatifs à l'exercice de l'art de guérir en général.

Ne risque‑t‑on pas de maintenir un équipement technique périmé, parce que l'appareillage dont disposent ces établissements n'est pas suffisamment amorti, et d'empêcher l'installation d'un équipement neuf, qui représente un progrès considérable pour la médecine, et cela même en dehors des établissements intéressés.

Le progrès scientifique peut ainsi relever plus de l'appréciation des gestionnaires d'hôpitaux que des médecins.

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Les autorisations d'installation et d'exploitation seront fonction du programme établi par le Roi sur avis de la Commission de programmation hospitalière et des avis émis par cette commission dans chaque cas d'espèce quant aux subventions et aux autorisations.

La composition de la Commission nationale de programmation hospitalière et celle des Commissions régionales de programmation hospitalière ont fait l'objet de deux arrêtés royaux du 12 juin 1974.

La composition de ces commissions appelle les mêmes remarques que celle du Conseil des hôpitaux.

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Le projet est enfin excessif, ainsi qu'il a été dit ci‑dessus, parce qu'il comporte des interdictions qui ne sont pas justifiées par les buts poursuivis.

La programmation hospitalière ne justifie pas des interdictions qui valent en dehors des établissements hospitaliers. Le financement de l'appareillage médical lourd n'exige pas que l'on interdise l'achat de cet appareillage même si l'on ne recourt pas aux finances publiques. La limitation des dépenses de l'assurance maladie-invalidité n'implique pas une interdiction absolue de l'exploitation, sans autorisation, de cet appareillage.

Il n'appartient pas au Conseil national, qui se place uniquement sur le plan déontologique, de proposer des moyens de limiter les dépenses de l'assurance maladie‑invalidité en ce domaine, mais de nombreuses formules se présentent immédiatement à l'esprit: remboursement des prestations uniquement suivant leur prix coûtant, remboursement au même taux que pour les appareils subsidiés, refus de remboursement s'il n'en résulte pas une discrimination qui n'est pas justifiée par une nécessité absolue.

Mais les interdictions prévues par le projet vont manifestement au delà de ce qui est exigé par les objectifs que le législateur s'est fixé et elles heurtent dès lors le principe de la «proportionnalité».

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Le Conseil national n'entend nullement méconnaître qu'il existe de graves problèmes économiques qui sont liés à l'exercice de l'art de guérir.
Ces problèmes ne concernent le Conseil national que dans la mesure où ils ont une incidence sur les principes qui sont à la base de l'exercice de l'art de guérir dans notre société et sur la déontologie médicale.

Il appartient au Conseil national de veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte, sans nécessité suffisante, à ces principes.

La liberté du médecin sur le plan du diagnostic et de la thérapeutique est un de ceux‑ci.

L'article 11 de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967, qui consacre ce principe dans notre droit positif, prévoit aussi que les abus de la liberté dont les praticiens jouissent sont sanctionnés par les conseils de l'Ordre dont ils relèvent.

Le Conseil national est conscient de la nécessité de réprimer ces abus avec la plus grande sévérité. Il a entamé, il y a quelques mois, une action de grande envergure contre certains abus en matière de biologie clinique. Il est décidé à la poursuivre avec la plus grande fermeté.

Mais les abus de certains médecins ne peuvent justifier des mesures aussi contraignantes que celles du projet à l'égard de tous les médecins. Il s'agit alors d'un procès d'intention que l'on fait aux médecins et d'un régime qui s'apparente plus à une «censure préalable» qu'à une programmation maintenue dans des limites raisonnables.

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Le Conseil national de l'Ordre des médecins est convaincu que les observations qu'il a formulées sur le plan déontologique retiendront l'attention du Ministre.

Il demande de soumettre ces observations à la Commission de la santé publique du Sénat qui est saisie du projet de loi. Il ne serait pas concevable que le législateur prenne des mesures aussi graves que celles qui sont envisagées sans avoir connaissance des objections de l'Ordre des médecins.

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