Position d’un infirmier à domicile – Exécution du traitement prescrit par un médecin
Un organisme demande l'avis du Conseil national concernant la position d'un infirmier à domicile si le médecin traitant maintient trop longtemps la médication prescrite, s'il ne propose pas d'autre traitement et s'il ne tient pas compte des graves effets secondaires chez le patient, qui lui ont aussi été signalés.
Question 1 : Quelle attitude doit adopter l'infirmier si le médecin traitant ne tient pas compte des remarques et constatations répétées relatives aux effets négatifs qui résultent de l'exécution du traitement prescrit et qui ont été communiqués au médecin ?
Question 2 : Quelle procédure faut-il suivre ? Qui l'infirmier peut-il contacter pour avis et où peut-il s'adresser à cette fin ?
Avis du Conseil national :
En sa séance du 21 novembre 2015, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné votre lettre du 30 mars 2015.
L'exercice des professions des soins de santé est réglé par la « loi coordonnée du 10 mai 2015 », en particulier l'exercice de l'art médical (chapitre 2) et de l'art infirmier (chapitre 4).
L'exercice de l'art médical
L'article 31 de cette loi prévoit : « Les praticiens visés aux articles 3, 4 et 6 ne peuvent être l'objet de limitations réglementaires dans le choix des moyens à mettre en œuvre, soit pour l'établissement du diagnostic, soit pour l'institution du traitement et son exécution, soit pour l'exécution des préparations magistrales. (...)
Les abus de la liberté dont ils jouissent, conformément à l'alinéa 1er, sont sanctionnés par les conseils de l'Ordre dont ils relèvent. »
L'exercice de l'art infirmier
L'article 23 de cette loi dispose : « Le Roi peut également, conformément à la procédure prévue à l'article 141, fixer les conditions dans lesquelles les actes visés à l'alinéa précédent peuvent être confiés à des personnes habilitées à exercer l'art infirmier. La liste des actes visés aux alinéas précédents, les modalités de leur exécution ainsi que les conditions de qualification requises sont arrêtées par le Roi, conformément aux dispositions de l'article 141. »
L'article 46, § 1er, de cette loi définit : « On entend par exercice de l'art infirmier, l'accomplissement des activités suivantes : (notamment) observer, identifier et établir l'état de santé sur les plans psychique, physique et social ; définir les problèmes en matière de soins infirmiers ; collaborer à l'établissement du diagnostic médical par le médecin et à l'exécution du traitement prescrit ; informer et conseiller le patient et sa famille [...]. »
La loi relative à l'exercice des professions des soins de santé, en particulier à l'art médical, régit notamment le monopole des médecins quant aux actes médicaux et la « liberté thérapeutique et diagnostique » qui en résulte. Cependant, des limites découlent de cette autonomie professionnelle parce que ce « libre choix » doit se dérouler selon la norme de prudence (en rapport avec la responsabilité) pour les actes pour lesquels on est peu ou pas qualifié, les critères médico-scientifiques, les lignes directrices, les règles de consensus et le peer-review.
En outre, la législation AMI impose des restrictions (financières) étant donné qu'il convient (littéralement) de tenir compte des moyens mis à disposition par la société, notamment dans le cadre de la surconsommation, d'où aussi l'évaluation des prestations par le Service d'évaluation et de contrôle médicaux de l'INAMI (1) qui s'effectue sur la base d'indicateurs de bonne pratique médicale ou en comparaison (quantitative) de dispensateurs de soins normalement prudents et diligents dans des circonstances similaires.
La liberté thérapeutique et diagnostique du médecin est par conséquent une « liberté réglementée », il s'agit d'une liberté permettant d'agir librement tel qu'il « convient » d'agir : « Middelen die een zorgvuldig arts niet zou aanwenden omdat er geen medische indicatie voor bestaat of omdat zorgvuldig handelen, impliceert dat de patiënt wordt door verwezen naar een meer deskundig collega, vallen niet onder bescherming van dit artikel. »(2) (Traduction du service de traduction du Conseil national : « Les moyens qu'un médecin méticuleux n'utiliserait pas parce qu'il n'existe pas d'indications médicales ou parce que'agir minutieusement implique que le patient soit dirigé vers un confrère davantage spécialisé ne relèvent pas de cet article. »)
Par ailleurs, le médecin est tenu, dans le cadre de cette « liberté thérapeutique et diagnostique », de toujours respecter la loi relative aux droits du patient. La patient doit donner son consentement éclairé pour le traitement proposé par le médecin et doit aussi, le cas échéant, être informé des autres traitements ou possibilités. Des soins orientés vers le patients doivent être justifiés scientifiquement et doivent subir l'épreuve de la « norme professionnelle » : comment agirait un médecin compétent et normalement prudent et diligent dans des conditions semblables ? Le choix du traitement peut donc être examiné a posteriori, inter pares, et peut être apprécié, au besoin, du point de vue disciplinaire par un conseil provincial de l'Ordre.
La liste des prestations techniques de soins infirmiers (prestations B1 ou B2) et des actes qui peuvent être confiés par un médecin à des praticiens de l'art infirmier (actes C) a été établie dans l'arrêté royal du 18 juin 1990 portant fixation de la liste des prestations techniques de l'art infirmier et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l'art infirmier, ainsi que des modalités d'exécution relatives à ces prestations et à ces actes et des conditions de qualification auxquelles les praticiens de l'art infirmier doivent répondre.
Le médecin doit donner les instructions (3) nécessaires pour que l'infirmier exécute les actes correctement et doit l'informer des risques liés à l'acte. Le médecin doit également garantir l'accompagnement et le contrôle nécessaires, ce qui est essentiel pour la responsabilité éventuelle du médecin en cas de « faute » de l'infirmier lors de l'exécution de telles prestations et d'actes médicaux confiés, d'autant plus dans le cas des prestations B2 pour lesquelles une prescription médicale est nécessaire. En outre, le dialogue entre le médecin prescripteur et l'infirmier exécuteur reste primordial, non seulement par écrit, par la « prescription », mais aussi oralement, et ce, certainement s'il y a des problèmes médicaux déterminés ou s'il faut répondre à des questions concrètes sur les soins. La communication et la concertation sont des conditions sine qua non !
« Le fait d'être capable relève d'une appréciation individuelle et dépend de la formation et de l'expérience de l'infirmier. Lorsqu'il est demandé à un infirmier d'effectuer des actes qu'il ne maîtrise pas suffisamment ou qu'il n'est pas en mesure d'effectuer en toute sécurité, celui-ci doit refuser et en informer immédiatement son supérieur hiérarchique ainsi que le médecin qui l'a chargé de cette tâche » (19 juin 2007 - Circulaire ministérielle relative à l'arrêté royal du 18 juin 1990).
L'infirmier ne peut donc tout simplement pas être « contraint » d'exécuter des actes prescrits, sûrement pas ceux qui causent, manifestement déjà, un préjudice prouvé (dans ce cas, même des dommages) au patient, en raison aussi des responsabilités partagées. Par contre, l'infirmier doit immédiatement informer le médecin qu'il l'a chargé de la tâche des problèmes médicaux et également, le cas échéant, du refus/de la suspension motivé(e) de l'exécution de certains actes de soins infirmiers prescrits en attendant une solution adaptée au problème.
L'infirmier peut également en aviser le patient (et sa famille).
L'infirmier ou le supérieur hiérarchique peut le cas échéant (en l'occurrence, en l'absence de réponse du médecin prescripteur et en cas d'abus ou d'une mauvaise utilisation de la « liberté thérapeutique ») introduire une plainte contre le médecin et transmettre toutes les informations utiles au conseil provincial de l'Ordre pour une suite disciplinaire appropriée.
1.Article 73 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités (1994)
2.Tom Goffin, Handboek Gezondheidsrecht - Volume I - Hoofdstuk I - Diagnostische en therapeutische vrijheid
3.Willeke Dijkhoffz en Marlies Eggermont - Handboek Gezondheidsrecht - Volume I - Hoofdstuk V - Het verpleegkundig beroep