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Déontologie

Collaboration à un acte médical - Droit d'être informé au sujet des données personnelles non médicales du patient

Collaboration à un acte médical et droit d’être informé au sujet des données personnelles non médicales du patient


Contre sa conscience et ses convictions philosophiques, un anesthésiste travaillant dans un hôpital est amené de plus en plus souvent à devoir pratiquer des sédations chez des patientes devant subir une ponction d’ovocytes dans le cadre d’une fécondation in vitro.
Pour cette raison, il soumet les questions suivantes à son conseil provincial :
1. L’anesthésiste a-t-il le droit de refuser, par conviction personnelle, de sédater une patiente qui se déclare lesbienne et qui doit subir une ponction d’ovocytes ?
2. En cas de doute, l’anesthésiste a-t-il le droit de demander à une patiente qu’il suspecte d’être lesbienne et qui doit subir une ponction d’ovocytes si elle est homosexuelle ?
3. Le gynécologue de la patiente, interrogé par l’anesthésiste, a-t-il l’obligation de lui donner toutes les informations en sa possession ?

Le conseil provincial formule une réponse circonstanciée et écrit également au président du conseil médical de l’hôpital concerné.
Le médecin n’est toutefois pas d’accord avec la réponse négative à la troisième question 1. Le conseil provincial concerné renvoie à l’avis du Conseil national du 30 juin 2007 concernant l’opposition du patient au contenu de son dossier médical, et demande l’avis du Conseil national.

1. Lettre du Conseil provincial :

Honoré Confrère,

Lors de sa séance du 26 avril 2007, notre Conseil a pris connaissance de votre lettre du 28 mars 2007 par laquelle vous Iui soumettiez trois questions en rapport avec l’éventuel droit d'un anesthésiste de refuser; par conviction personnelle, d'effectuer la sédation d'une patiente homosexuelle dans le cadre d'un prélèvement d'ovocytes. Le Conseil vous avait adressé une première réponse (voir l'annexe), et il avait décidé de soumettre les trois questions à l'examen de sa Commission d'éthique.

La Commission a transmis au Conseil ses réflexions sur les questions soulevées

Première question :

L'anesthésiste a-t-il le droit de refuser, par conviction personnelle, de sédater une patiente qui se déclare lesbienne et qui doit subir une ponction d'ovocytes?

La réponse est affirmative, et ce notamment dans le respect des prescrits de l’article 28 du Code de déontologie médicale :
« Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. De même, le médecin peut se dégager de sa mission à condition d'en avertir le patient ou son entourage, d'assumer la continuité des soins, et de fournir toutes les informations utiles au médecin qui le succède. »
Le refus de participer à l'intervention médicale préconisée peut être justifié notamment par des considérations d'ordre déontologique, d'ordre moral.

1. Le médecin sollicité peut en effet titre amené à s'interroger sur le caractère déontologique de sa participation au déroulement d'une prestation médicale (ou de la prestation elle-même) dès lors qu'il ne retrouve pas, dans la finalité de l’acte sollicité et sa concrétisation, les garanties qu'en conscience il estime devoir rencontrer sur le plan éthique et déontologique.
2. De même, le médecin sollicité peut également s'interroger sur l'existence d'un environnement psychosocial suffisant, satisfaisant, compétent à l'appréhension de cette matière, environnement susceptible d'analyser, au-delà du bien fondé de la décision prise sans doute en toute conscience par ses confrères, les conséquences de l'acte demandé. Cette interrogation va au-delà de la problématique de la technicité médicale de la prestation elle-même.
3. C'est ainsi qu'il peut s'interroger sur sa responsabilité participative dans le devenir éducatif de l'enfant à la conception duquel il aurait à coopérer et dans la meilleure formation de cet enfant en vue de son intégration dans l'actuel concept d'organisation de la société. II ne s'agirait ici que de l’éducation de cet enfant dans un milieu «parental», totalement différent de celui d'une famille, même devenue dissociée et/ou recomposée.
4. Le médecin n'ayant pas participé à une décision d'accepter de pratiquer ou non une fécondation artificielle chez une femme homosexuelle désireuse d'élever un enfant dans un milieu homosexuel exclusif, ne peut être mis en situation de devoir participer à des prestations qui heurtent ses convictions personnelles et ceci uniquement en raison d'une organisation de service.

II y a cependant lieu d'attirer l'attention du médecin anesthésiste sur le fait que son refus d'intervenir «à la carte» à l'occasion d'un prélèvement d'ovocytes, pourrait avoir pour effet de révéler, du moins partiellement, aux autres intervenants ou participants à cet acte médical la confidence de la patiente faite à son gynécologue. Ces co-intervenants pourraient en tirer des conclusions confidentielles quant à la vie privée de la patiente.
De plus, il n'est pas du tout certain que celle-ci acceptera que son homosexualité déclarée au médecin gynécologue dans le cadre du colloque singulier soit ainsi dévoilée.

Afin de prévenir un comportement qui pourrait se révéler en infraction avec les règles de la déontologie en matière de confidentialité de la chose confiée, il est préférable que le médecin, qui en conscience estime ne pas pouvoir collaborer, informe clairement l’équipe des gynécologues qu'il ne peut, pour des raisons personnelles participer a tout prélèvement d'ovocytes, dans un tel contexte, dans telle circonstance.
II y a également lieu de faire remarquer que, s'il devait lui-même veiller ponctuellement à son remplacement, il y a également risque de révélation du secret de l'éventuelle homosexualité des patientes. Le médecin anesthésiste qui moralement s'estime empêché, devrait informer l'équipe de gynécologues de sa non-participation de manière générale au prélèvement d'ovocytes afin d'éviter toute conclusion quant à son abstention, ciblée et ponctuelle, d'effectuer une prestation de ce type.

A la deuxième question :

En cas de doute, l'anesthésiste a-t-il le droit de demander a la patiente qu’il suspecte d'être lesbienne et qui doit subir une ponction d'ovocytes si elle est homosexuelle ?
Si la patiente ne s'est pas déclarée homosexuelle, il n'appartient pas au médecin de lui poser la question comme telle. La déclaration de son homosexualité ne pourrait en effet que modifier la décision du médecin de prendre en charge ou non les soins à lui donner. Cette modification pourrait être interprétée comme une infraction aux dispositions Iégislatives concernant le respect du droit à la différence.

C'est au gynécologue à qui la patiente s'est confiée et a confié son homosexualité, qu'il appartient de l’informer que d'autres médecins, sollicités à collaborer à la prestation médicale demandée, pourraient avoir des objections de conscience à leur participation.
II ne peut être accepté que suite à une réponse positive de la patiente concernant son homosexualité, elle ne puisse recevoir au moment opportun (ce qui pour la patiente représente une urgence dans le déroulement de la prestation sollicitée), la participation d'un médecin dans le parcours de soins auquel elle est en droit de s'attendre.

A la troisième question :

Le gynécologue de la patiente, interrogé par l'anesthésiste, a-t-il l'obligation de lui donner toutes les informations dont il dispose ?

La réponse est négative.
La formulation de la question laisse supposer que I'anesthésiste n'a pas trouvé la réponse a sa question dans le dossier papier ou le dossier électronique : cette documentation ne faisant sans doute pas partie aux yeux du médecin gynécologue du «secret partagé» accompagnant la patiente. L'anesthésiste est en droit d'obtenir toutes les données médico-sociales et nosologiques nécessaires et utiles à l'accomplissement de sa mission comme le prescrit l’article 142 du code de déontologie.
A moins qu'il ne soit prouvé que l’homosexualité représente un risque supplémentaire à l’anesthésie, le gynécologue est seul en droit de juger du bien fondé de communiquer ou de refuser cette information, même dans le cas d'espèce avec l'accord de la patiente.

Veuillez agréer, Honoré Confrère, l'expression de nos salutations confraternelles les meilleures.

Avis du Conseil national :

Lors de sa réunion du 16 février 2008, le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est penché sur la question posée par votre Conseil provincial au sujet d’un médecin «qui refuse de collaborer à un acte médical pour raisons personnelles, et du droit pour ce médecin d’être informé au sujet des données personnelles non médicales des patients».

Le Conseil national peut se rallier à l’avis du Conseil provincial fondé sur les articles 28 et 31 du Code de déontologie médicale. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a, en effet, le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, mais il s’abstiendra de toute ingérence dans les affaires familiales.

Des problèmes spécifiques apparaissent si la question dépasse le colloque singulier et s’inscrit dans un contexte de collaboration pluridisciplinaire.

Le Conseil national estime qu’il convient pour ces cas de rédiger, sur la base d’un dialogue ouvert tenu au préalable entre tous les intéressés et sous le contrôle du comité d’éthique local, un protocole garantissant les droits du dispensateur de soins et du patient visés aux articles 5, 28, 31 et 86 du Code, sans prendre l’un ou l’autre en otage ni le stigmatiser.