Service de garde des médecins généralistes - Obligation de déplacement du médecin de garde
Concerne l’organisation des services de garde en médecine générale. Réponse à une position du docteur DAVID SIMON (MGAction et UMGB - Union des Médecins Généralistes Borains), traduite dans des documents juridiques [1](Documents juridiques (lettre 7 décembre 2009) Marc UYTTENDAELE – Marie COOMANS) et des articles de la presse médicale (Journal du Médecin n° 2045 - 11/12/2009 et Artsenkrant n° 2048 - 22/12/2009) : « le remplacement de l’obligation de déplacement du médecin généraliste de garde par un système de triage des appels, au niveau de call centers, présentant les garanties nécessaires à une bonne administration des soins sous la responsabilité de l’Etat (TASRE - triage des appels sous la responsabilité de l’Etat) ».
Avis du Conseil national :
En sa séance du 8 mai 2010, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné la problématique des services de garde - en particulier l'obligation de déplacement du médecin généraliste de garde - sur la base de documents juridiques et d'articles de la presse médicale soumis par le docteur X, qui propose des alternatives visant un triage des appels par des call centers sous la responsabilité de l'Etat.
Cette information est examinée à la lumière des dispositions actuelles du droit pénal et du droit civil, et par rapport à la législation médicale et à la déontologie.
1. Droit pénal
La piste de réflexion avancée du point de vue juridique est que, si le médecin généraliste ne reçoit pas lui-même l'appel téléphonique, il ignore totalement la situation du patient tant que la personne ayant pris l'appel ne lui a pas fait rapport. Si la personne ayant pris l'appel décide que la situation « n'est pas grave » et qu'il n'y a pas lieu d'envoyer un médecin généraliste sur place, le médecin généraliste ne sera pas averti et ne connaîtra pas l'existence d'un éventuel péril grave. Les conditions de l'article 422bis du Code pénal (obligation de venir en aide) ne seraient donc pas remplies dans le chef du médecin généraliste.
La proposition de départ est donc de contourner juridiquement la charge et la responsabilité légale du médecin généraliste de garde au sens de l'article 422bis en érigeant une barrière de fait entre le patient (ou son entourage) et le médecin généraliste de garde par la création d'une sorte d'étape intermédiaire (centre de dispatching ou call center où un « tiers » traiterait et trierait les demandes de soins). Dans ce schéma, le médecin généraliste de garde ne peut plus prendre acte personnellement de la « situation qui lui est décrite par ceux qui sollicitent son intervention (...) et il ne pourra être puni lorsque les circonstances dans lesquelles il a été invité à intervenir pouvaient lui faire croire au manque de sérieux de l'appel ou à l'existence de risques ».
• Une première question est de savoir si, dans l'esprit de l'article 422bis et au regard des responsabilités inhérentes, un médecin généraliste de garde peut se rendre « injoignable » de manière aussi permanente en confiant systématiquement à un « tiers » la gestion (réception et appréciation) des demandes de soins de ceux qui sollicitent son aide et/ou se décharger sur lui des éventuels problèmes.
L'applicabilité de l'article 422bis aux médecins [2] est cependant évidente (cf. jurisprudence). En outre, l'obligation de venir en aide pèse d'autant plus dans le cadre de l'exercice du service de garde par rapport aux médecins qui ne sont pas de garde (et qui justement peuvent invoquer une circonstance atténuante en raison précisément de l'existence d'un service de garde).
En tout cas - et certainement lorsqu'il assume un service de garde - un médecin ne peut se mettre dans l'impossibilité d'évaluer (de pouvoir évaluer) la gravité d'un danger parce que l'expertise dans l'aide à apporter est un facteur important dans ce cadre.
Le médecin ne peut se contenter d'une description de la situation par celui qui sollicite son aide (même pas par l'intermédiaire d'un confrère) ; au contraire, le médecin doit « activement » recueillir des informations, et doit juger de la situation de la manière la plus précise. Il est attendu du médecin qu'il s'informe exactement et qu'en cas de doute (ex. appels téléphoniques confus), il se rende sur place.
Dans le fonctionnement du service de garde - et dans le contexte de l'article 422bis - la distinction entre « venir en aide » et « procurer une aide » a de l'importance [3] : dans le premier cas, c'est agir soi-même, dans le deuxième, c'est faire appel à un tiers et encore, après avoir apporté les premiers soins.
Le fait de se rendre « injoignable » est possible uniquement pour les médecins qui ne sont pas de garde, précisément parce qu'il existe un service de garde et qu'ils y font appel pour la continuité des soins.
• Une deuxième question est de savoir si l'utilisation du procédé rend impossible l'application de l'article 422bis au médecin généraliste qui « preste » la garde et au cercle de médecins généralistes « organisateur », et ce qu'il en est de la responsabilité de ce « tiers ».
La plupart des cercles de médecins généralistes travaillent avec un système d'appel unifié local. L'appel est reçu, soit directement par le médecin généraliste de garde lui-même, soit indirectement par l'intermédiaire d'un opérateur qui, sans triage des soins mais en décrivant la demande de soins, en fait la communication standardisée et immédiate au médecin généraliste de garde. Parfois, le médecin généraliste de garde peut alors contacter lui-même le patient et recueillir des informations complémentaires (plus) directes.
• Dans les deux cas, le médecin généraliste de garde reste « joignable » et porte l'entière responsabilité de l'exécution de la demande de soins et de l'obligation de venir en aide conformément à l'article 422bis.
En revanche, dans le système suggéré d'un centre de dispatching ou d'un call center, la demande de soins y est reçue et appréciée au téléphone par un « tiers » sous l'angle de la gravité et de l'exécution : ce tiers décide du déplacement éventuel du médecin généraliste.
La qualification de ce « tiers » est en discussion : un médecin ou non ? L'appréciation systématique d'un problème médical - ou même la réalisation d'un diagnostic et la mise en relation ou non avec un acte ou un traitement - peut-elle être considérée comme un « exercice (illégal) de la médecine » ?
Reste la problématique connue de l'appréciation au téléphone [4] d'un problème médical sans pratiquer un examen (consultation/avis par téléphone), même si l'appel est reçu par un médecin.
La communication de la demande de soins ou du problème médical au médecin généraliste de garde est certainement problématique dans le système proposé et recouvre apparemment aussi la possibilité d'un « refus » d'envoyer un médecin généraliste de garde et donc que ce médecin généraliste ne soit pas informé (cf. la cause de justification « légale » de l'article 422bis).
Il existe un « triage » téléphonique des appels médicaux urgents par le service « 100 ». Ceci relève de la loi du 8 juillet 1964 relative à l'aide médicale urgente. Mais par le « 100 », une suite utile est en tout cas donnée à chaque appel et l'opérateur a même un droit de réquisition (article 4) : « Sur demande du préposé du système d'appel unifié adressée personnellement à un médecin, celui-ci est tenu de se rendre à l'endroit qui lui est indiqué et d'y porter les premiers soins nécessaires aux personnes visées à l'article premier ».
Le principal problème qui persiste est celui de la responsabilité de cette « tierce » personne intervenant systématiquement dans une étape intermédiaire entre le patient demandeur de soins et le médecin généraliste de garde, et qui est aussi chargée du triage des demandes de soins et de la décision d'envoyer ou non un médecin généraliste.
• La question qui suit est de savoir par qui l'organisation sera prise en charge le cas échéant: l'Etat (personne publique) ou une personne morale de droit privé (personne privée) ?
L'analyse juridique communiquée fait apparaître que la première option, l'organisation d'un TASRE (tri des appels sous la responsabilité de l'Etat), n'est pas une évidence.
La deuxième option est la création de centres de dispatching ou de call centers par des personnes morales de droit privé. L'analyse fait allusion à l'endossement par ces « personnes morales » de la responsabilité de la « tierce » personne (membre du personnel) assurant la réception téléphonique et l'évaluation de demandes de soins : ces personnes morales pourraient supporter la responsabilité sur la base d'une mauvaise gestion structurelle.
Les documents juridiques communiqués renvoient, dans la cadre de la création de centres de dispatching ou de call centers et de la possibilité d'un triage des soins par un « tiers », au cadre légal des cercles de médecins généralistes, à savoir l'arrêté royal du 8 juillet 2002 fixant les missions confiées aux cercles de médecins généralistes, article 5, 8° (complété par l'arrêté royal du 9 décembre 2004 modifiant l'arrêté royal du 8 juillet 2002 précité) « L'utilisation éventuelle d'un système d'appel unifié se fait conformément aux articles 2, 5°, et 4 de l'arrêté royal du 4 juin 2003 fixant les conditions [...] une intervention financière dans le fonctionnement des cercles de médecins généralistes agréés [...] ».
Il ressort de la lecture de ces arrêtés royaux que ces conclusions sont erronées tant sur le plan structurel que sur le fond et sont à tort extrapolées à un système de centres de dispatching ou de call centers avec un triage des soins.
Comme déjà souligné, la plupart des cercles de médecins généralistes ont leur propre système d'appel unifié local. Le cercle reçoit un financement de base pour ses missions, mais non pour ce système d'appel unifié ; il peut cependant obtenir un « financement complémentaire » pour la mise en place d'un système d'appel unifié (dans la zone de soins d'un ou plusieurs centres agréés), entre autres, si «le système d'appel unifié est organisé en collaboration réciproque avec d'autres disciplines professionnelles de première ligne sur une base contractuelle ».
Premièrement, sur le plan structurel, il est clair que ce « système d'appel unifié » est et reste entièrement géré par le cercle de médecins généralistes asbl organisateur et demeure sous sa responsabilité, et qu'il n'est ouvert à d'autres disciplines professionnelles de première ligne que sur une base contractuelle ( !).
Deuxièmement, sur le fond, il n'est question à aucun moment d'un quelconque triage médical des soins, mais le cas échéant uniquement d'un « dispatching » de l'appel - au sens d'un simple « renvoi » - vers la ou les discipline(s) professionnelle(s) de première ligne sollicitées.
2. Droit civil
L'organisation du service de garde de médecins généralistes est une attribution des cercles de médecins généralistes. L'arrêté royal du 8 juillet 2002 précité définit sous la Section II., article 5, les normes auxquelles le cercle de médecins généralistes doit répondre, en particulier, à l'article 5, 3° : élaborer son règlement interne pour le service de garde et à l'article 5, 5° : le service de garde sera communiqué clairement à la population, ce par quoi il faut entendre à la fois le système et les modalités de la communication avec la population.
Le cercle de médecins généralistes asbl est l'organisateur légal, le médecin généraliste local, l'exécutant. Il y a entre eux un « lien contractuel » matérialisée par le règlement interne du service de garde, contrôlé et approuvé par la commission médicale provinciale et le conseil provincial de l'Ordre.
La responsabilité civile se situe donc dans l'exécution exacte de la mission « contractuelle » du service de garde à laquelle sont parties, le cercle de médecins généralistes et le médecin généraliste de garde, et en outre, tous les médecins généralistes locaux puisqu'il font appel au service de garde (tant pendant les week-ends et jours fériés que pendant la semaine, pour la continuité normale des soins), et enfin les médecins généralistes et le cercle de médecins généralistes ensemble vis-à-vis de la population (service de garde) et/ou du patient individuel (continuité des soins).
Le service de garde des médecins généralistes - de la première ligne - est cependant chargé surtout de la dispensation régulière et normale des soins, et non pas en premier lieu de l' « aide médicale urgente » (AMU dont l'organisation entre dans un cadre légal à part et qui fait partie de la deuxième ligne), ce qui est la contradiction fondamentale dans les projets pilotes « 1733 » et autres (cf. ci-dessous).
C'est pourquoi il faut émettre des réserves quant à une approche trop exclusive de la responsabilité en ne se plaçant que du point de vue de l'obligation de venir en aide (article 422bis Code pénal), encore que bien entendu applicable en fonction de la gravité de la demande de soins.
3. Législation médicale
La base du service de garde des médecins généralistes est l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé, article 8, § 1er (continuité des soins) et article 9 (institution de services de garde) : les deux articles ont pour but commun de garantir la disponibilité et la joignabilité des médecins [5].
• Dans les documents juridiques communiqués, il est suggéré d'adapter l'arrêté royal n° 78, article 9, de manière à définir les normes auxquelles devrait répondre le fonctionnement des systèmes d'appel unifié pendant le service de garde : il s'agirait en particulier de prévoir que les centres de dispatching et les call centers pourraient décider de manière autonome de la nécessité d'envoyer ou non un médecin.
Ce principe correspond au projet « 1733 » qui est, selon l'arrêté royal du 28 novembre 2008 (Charleroi, Centre et Binche, Mons) « un projet d'enregistrement de l'activité de la médecine générale durant les périodes de garde et l'analyse de faisabilité de l'organisation d'un dispatching de la médecine générale sous la coordination d'un regroupement de cercles de médecins généralistes » et est mis en œuvre de la même manière dans le projet « HA-disp » arrêté royal du 5 février 2009 (Bruges), et a récemment été étendu à toute la province du Luxembourg (les arrêtés royaux du 26 janvier 2010). Le but poursuivi est une « régulation médicale des appels à la médecine générale, ainsi que les changements législatifs nécessaires [...] ».
L'un des constats de départ des projets cités « 1733 » et autres est « que le déplacement des médecins généralistes au chevet du patient est dans un certain nombre de cas inutile ou post-posable, et entraîne une perte d'efficacité et un coût élevé, et peut bénéficier d'un triage actif des missions à la manière du tri de moyens mis en place au niveau de la centrale 100 pour les appels à l'aide médicale urgente ».
Le SPF Santé publique propose un nouveau " Numéro d'appel unifié central " organisé par lui et travaillant en collaboration avec les « numéros d'appel unifiés locaux » (des cercles de médecins généralistes de l'arrêté royal 8 juillet 2002 précité, article 5, 8°) selon des protocoles à définir dans le projet.
Le numéro d'appel unifié central du SPF se rapproche étroitement du système d'appel unifié (service 100) organisant l'aide médicale urgente (arrêté royal du 2 avril 1965 déterminant les modalités d'organisation de l'aide médicale urgente et portant désignation des communes comme centres du système d'appel unifié), et vise in fine une intégration dans le service 100.
Les projets « 1733 » et autres ont un lien direct avec la « Note de politique générale » (Chambre des représentants - 31 octobre 2008) de la ministre Onkelinx, point 8. « Amélioration de l'aide médicale urgente » (p.38) (Doc 52 1529/005).
Une telle intégration, dans l'organisation de l'« aide médicale urgente » (AMU « 100 »), de tous les appels médicaux, également de ceux destinés aux médecins généralistes dans le cadre d'une « dispensation normale et régulière des soins » tant pendant le service de garde (arrêté royal n°78, article 9) que pour la continuité des soins au quotidien (arrêté royal n° 78, article 8, § 1er) - avec un régime légal particulier - est à tout le moins contre nature et controversable : pas seulement en raison d'un triage médical des soins présenté comme la norme et en raison de l'éventuelle insertion du médecin généraliste de garde dans le système de l'AMU, mais surtout en raison de l'option prévue de ne pas du tout envoyer un médecin généraliste.
• Le Conseil national renvoie à l'avis du Conseil national du 6 décembre 2008 « Garde de médecine générale : participation obligatoire - déplacement du médecin de garde - triage téléphonique » BCN 123, attirant l'attention sur des points de friction cruciaux en ce qui concerne l'insertion du médecin généraliste de garde dans l'aide médicale urgente.
Si toutefois, un numéro d'appel unifié central analogue est introduit, à l'exemple du service 100, ou même intégré dans celui-ci, il en découlera immédiatement un droit de réquisition analogue de ce régulateur à l'égard du médecin généraliste de garde
• Le Rapport annuel 2006 [6] du service de médiation fédéral « Droits du patient » analyse (pp.58-63) les plaintes portées contre le médecin de garde : la cause de la plainte est toujours la non-intervention du médecin de garde après un appel téléphonique.
(extrait)
« [...] Le service (de médiation) insiste cependant sur l'importance de la confiance que le patient doit pouvoir placer dans un service de garde - amené à offrir un service de qualité - après l'appel téléphonique pour une situation ressentie comme urgente. Un avis du médecin donné par téléphone ne correspond d'aucune manière à une prestation de soins de qualité. [...]
- Le service de médiation fédéral « Droits du patient » se demande également ce que le patient peut comprendre par la définition même de soins de qualité dispensés par un praticien professionnel dans le cadre de la continuité des soins ou bien de l'aide médicale urgente. [...] »
(fin de l'extrait)
L'exécution correcte de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (LDP) joue donc en l'occurrence un rôle essentiel : le patient est la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa demande ou non, entre autres, à la demande de son représentant (articles 12-15) ou dans une situation de secours d'urgence (article 8, § 5).
• Dans son avis du 8 mai 2010, le Conseil national renvoie à quelques droits fondamentaux du patient dans le cadre de la LDP :
LDP. Article 5. « Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à des prestations de qualité répondant à ses besoins et ce, dans le respect de sa dignité humaine et de son autonomie et sans qu'une distinction d'aucune sorte ne soit faite. »
Le médecin - également le médecin généraliste en tant que praticien professionnel pendant le service de garde - doit agir, pour dispenser ces prestations de qualité, en conformité avec les normes générales de prudence du droit de la responsabilité civile, et ce en appliquant les critères et les normes scientifiques en vigueur [7].
Pendant le service de garde, le médecin généraliste traite la plupart du temps des patients qu'il ne connaît pas et dont il ne peut dès lors évaluer ni les antécédents médicaux ni le contexte socio-familial. La difficulté est de pouvoir discerner clairement ce que sont des « besoins » médicaux objectifs/objectivables et des « souhaits » plutôt subjectifs.
Il reste hasardeux que des décisions soient prises sur la base uniquement d'une communication à distance (cf. consultations téléphoniques, systèmes de dispatching et/ou de triage) sans un quelconque examen médical sur place du « patient » par le médecin de garde. (Avis du Conseil national du 16 février 2008 « Avis d'un médecin par téléphone - Honoraires » BCN 120, p. 5 - Avis du Conseil national du 7 juin 2008 « Avis d'un médecin par téléphone - Honoraires » BCN 121, p. 6 - Les Avis du Conseil national du 6 décembre 2008 « Garde de médecine générale - Modification de l'avis du 4 octobre 2008 » « Garde de médecine générale : participation obligatoire - déplacement du médecin de garde - triage téléphonique » « Garde en médecine générale - Accompagnement d'un patient en ambulance » BCN 123).
LDP. Article 6. « Le patient a droit au libre choix du praticien professionnel et il a le droit de modifier son choix, sauf limites imposées dans ces deux cas en vertu de la loi. »
Pendant le service de garde, ce libre choix est cependant limité de facto (s'il y a plus d'un médecin généraliste de garde) ou est même inexistant (s'il n'y a qu'un seul médecin généraliste de garde).
Ce fait a un impact considérable sur la relation juridique qui naît entre le médecin et le patient étant donné l'évidente nécessité pour chaque patient de devoir faire appel dans ces circonstances à ce(s) médecin(s) de garde. De ce fait, un contrat de soins devient beaucoup moins facultatif pour les deux parties et donne encore moins la possibilité au médecin généraliste de garde de le refuser.
4. Déontologie
La mission légale du Conseil national est définie par l'arrêté royal n°79 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des médecins. Elle consiste notamment dans l'élaboration des principes et des règles qui constituent le Code de déontologie médicale à propos duquel il est précisé que « Le Code comprend notamment des règles relatives à la continuité des soins, en ce compris l'organisation des services de garde [...] ». (article 15)
Les liens avec la déontologie sont clairement stipulés dans l'arrêté royal n°78 précité.
• Comme déjà mentionné, les deux articles suivants sont complémentaires et définissent la joignabilité et la disponibilité des médecins :
Article 8, § 1er. Les conseils provinciaux de l'Ordre des médecins veillent à ce que les médecins se conforment à l'obligation de continuité des soins.
Article 9, § 1er. Les médecins généralistes qui participent aux services de garde doivent « souscrire » au règlement d'ordre intérieur du service de garde et doivent observer les règles déontologiques.
Une mission essentielle des organes ordinaux est la mise à l'épreuve rigoureuse du fonctionnement du service de garde par rapport à la déontologie et au code de déontologie médicale (CDM).
• Article 27 (CDM). Libre choix du médecin par le patient : il est en l'occurrence inévitablement limité par l'organisation pratique du service de garde et une prestation permanente de soins de qualité.
Limitation = le patient n'a pas d'autre choix que de faire appel à ce médecin de garde, si bien qu'il naît un contrat de traitement quasi obligatoire.
Permanence = il est important que la continuité des soins soit assurée en majeure partie par le service de garde.
Prestation de soins de qualité : il s'agit d'un élément essentiel du service de garde, en corrélation avec la loi relative aux droits du patient, qui, dans la cadre de la continuité doit se rapprocher très étroitement de la pratique courante de la médecine générale.
Le groupe professionnel en fixe les conditions dans le règlement interne de la garde.
• Article 28 (CDM). Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.
De même, le médecin peut se dégager de sa mission à condition d'en avertir le patient [...], d'assurer la continuité des soins [...]
Durant le service de garde, le médecin généraliste de garde agit comme « suppléant » des autres médecins généralistes puisque - selon les accords - ils font appel à ce service de garde pour la continuité de leurs soins à leurs patients, et cela au sens large des soins médicaux normaux dispensés couramment au sein de la médecine générale.
Le « refus » dans le cadre du service de garde : le patient fait appel au médecin généraliste de garde précisément parce que celui-ci s'est engagé à assurer la continuité des soins et en porte la responsabilité, si bien qu'un « refus » est dans ces conditions impossible.
• Article 34, § 1er (CDM) Tant pour poser un diagnostic que pour instaurer et poursuivre un traitement, le médecin s'engage à donner au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données actuelles et acquises de la science.
Le médecin généraliste de garde qui se coupe structurellement de toute demande de soins directe des patients et qui de cette manière se rend volontairement et formellement « injoignable » (cf. article 422bis) par le dispatching, laissant à un « tiers » la décision relative aux soins, peut difficilement être considéré comme étant attentif et consciencieux.
Il est injustifiable de laisser à un « tiers » la décision de donner suite ou non à une demande de soins, ou de s'en décharger sur lui, indépendamment de sa qualification (médicale ?).
• Articles 55>57 (CDM) Le secret professionnel
L'introduction d'un « tiers » dans le dispatching de la demande de soins d'un patient est source de problèmes sur le plan du secret professionnel et de la vie privée. Il faut sérieusement se poser des questions au sujet des modalités pratiques d'une situation dans laquelle un « tiers » a la possibilité, dans le cadre de ce type de contacts téléphoniques avec les patients, de demander toutes les « informations médicales » nécessaires et pertinentes afin de pouvoir prendre une décision fondée, par exemple, celle de « faire intervenir un médecin ».
Dans quelle mesure peut-il aussi être demandé à un patient (ou à son entourage) ou exigé d'eux de d'abord répondre à des questions peut-être délicates et/ou indiscrètes d'un « tiers » avant d'obtenir la garantie qu'alors et seulement alors un médecin généraliste de garde exécutera de manière professionnelle cette demande de soins (par une consultation et/ou une visite à domicile)?
• Article 113>118 (CDM) Continuité des soins, service de garde et aide médicale urgente.
Article 116 (CDM) Les modalités de fonctionnement de ces services et leurs rôles de garde doivent être communiqués au conseil provincial.
Article 117 (CDM) L'appréciation des manquements aux règles déontologiques relatives aux services de garde relève de la compétence des conseils provinciaux.
Articel 118 (CDM) le médecin ne peut se soustraire à un appel urgent qu'après avoir acquis la conviction qu'il n'y a pas de réel danger [...].
Ceci implique, primo, que le médecin généraliste de garde a réalisé ou a pu réaliser lui-même une appréciation directe de la demande de soins (en l'occurrence de l'appel), et secundo, qu'il prend ou peut prendre lui-même, de manière autonome, la décision d'intervenir.
Ceci cadre totalement avec la problématique juridique de l'article 422bis du Code pénal.
• Article 166 (CDM) Les statuts, contrats et règlements d'ordre intérieur doivent être conformes aux règles de la déontologie médicale.
Toute clause en opposition avec les obligations dérivant pour le médecin du contrat tacite de soins qui le lie à son malade est interdite.
La mise en œuvre d'un système de dispatching central par un « tiers » devra être soumise, le cas échéant, à des conditions déontologiques strictes, si déjà de tels systèmes s'avèrent praticables contractuellement.
En tout cas, les modèles proposés ne semblent pas compatibles avec les obligations déontologiques du médecin généraliste de garde - et avec le contrat de traitement inhérent entre médecin et patient.
• Article 181 (CDM) Les médecins qui pratiquent la médecine de groupe ou qui travaillent dans les équipes dont font partie des collaborateurs médicaux, veilleront à ne pas faire accomplir à ces derniers des actes qui sortiraient du cadre de leur compétence.
La qualification et les compétences exactes du « tiers » dans un système de dispatching central sont pour l'instant imprécises.
Etant donné le triage de « problèmes médicaux », la question doit être soulevée de l'exercice illégal de la médecine visé à l'article 2, § 1er, et § 2, de l'arrêté royal n°78 précité :
« [...] tout acte ayant pour objet ou présenté comme ayant pour objet, à l'égard d'un être humain, soit l'examen de l'état de santé, soit le dépistage de maladies et déficiences, soit l'établissement du diagnostic, l'instauration ou l'exécution du traitement d'un état pathologique, physique ou psychique, réel ou supposé [...]».
* * *
CONCLUSION
Le Conseil national est conscient de l'existence de problèmes pratiques relatifs à l'organisation du service de garde de médecins généralistes. L'élaboration de solutions nécessite toutefois une analyse très approfondie des diverses causes et conséquences possibles en tenant compte des angles d'approche complexes esquissés ainsi que des charges et responsabilités tant sur le plan légal que déontologique.
La déontologie joue en l'occurrence un rôle fondamental, d'une part, parce que les services de garde reposent sur la confraternité et la solidarité entre médecins et d'autre part, parce que les droits du patient requièrent des soins de qualité, a fortiori aussi pendant le service de garde et pour la continuité des soins en l'absence du médecin du patient.
Le Conseil national a déjà souligné, dans le cadre des services de garde (Avis du Conseil national du 21 avril 2007 « Garde de médecine générale » BCN 116, p.9), la plus-value qualitative d'une consultation au cabinet par rapport à une visite au domicile. L'obligation de déplacement dans le chef du médecin généraliste de garde doit par conséquent être nuancée : tout comme dans la pratique médicale courante au quotidien, les patients peuvent être invités activement à se rendre durant le service de garde à la consultation au cabinet ou au poste de garde de médecine générale plutôt que de recourir à la visite au domicile.
Ceci nécessite une approche pragmatique et un dialogue entre le patient demandeur de soins et le médecin généraliste de garde pour ensemble réfléchir aux possibilités/difficultés du (des) déplacement(s), en discuter et en décider clairement de manière à ce qu'une suite utile soit donnée dans chaque cas particulier à la demande de soins individuelle.
cc. Dr. X
[1] Lettre du 7 décembre 2009 : Marc UYTTENDAELE – Marie COOMANS.
[2]NYS, H., Geneeskunde Recht en medisch handelen, 2005, p. 195, n°s 434 et sv.
[3] Liber Amicorum Jean du Jardin par Hendrik VUYE, Kluwer, 2001, p. 462 et sv.
[5] NYS, H., Geneeskunde Recht en medisch handelen, 2005, p.194, n° 433.
[6] Service de médiation fédéral « Droits du patient » :
http://www.health.belgium.be/eportal/Myhealth/PatientrightsandInterculturalm/Patientrights/FederalOmbudsperson/index.htm?fodnlang=fr
[7] NYS, H., Geneeskunde Recht en Medisch handelen, 2005, p.145, n° 324 et sv.