Un conseil provincial interroge le Conseil national sur le test médical retenu par le Service des Tutelles, rattaché au Service public fédéral Justice, pour déterminer l'âge des mineurs étrangers non accompagnés.
Avis du Conseil national :
Concerne : votre courrier du 19 décembre 2008 relatif aux tests de détermination d'âge des mineurs étrangers non accompagnés.
En sa séance du 20 février 2010, le Conseil national de l'Ordre des médecins a analysé les questions posées par le professeur X concernant le test de détermination d'âge pratiqué sur des mineurs étrangers non accompagnés.
Un test de détermination d'âge peut être fait dans des circonstances et à des fins différentes. En l'espèce, le contexte dans lequel s'inscrit la question du professeur X est le suivant.
La Belgique a mis en place un régime spécifique de représentation légale et d'assistance des mineurs étrangers non accompagnés (M.E.N.A.), la Tutelle (loi-programme du 24 décembre 2002 (I) (art. 479) - Titre XIII - Chapitre VI : Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés).
Le tuteur accompagne et représente le mineur durant son séjour en Belgique, dans ses démarches administratives (son statut de séjour, sa procédure d'asile), son accueil, son hébergement, sa scolarité, son droit à l'aide sociale d'un CPAS, aux allocations familiales,... Sa mission est de soutenir le mineur dans toutes ses démarches et de l'aider à formuler un projet d'avenir. Le mineur n'est plus seul et peut ainsi affronter, avec une personne de confiance, les différents obstacles administratifs (souvent difficiles et inadaptés à son âge et à son vécu) et de la vie quotidienne qu'il va rencontrer.
Cette loi s'inscrit dans le cadre de la Résolution du Conseil de l'Union européenne du 26 juin 1997 concernant les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, notamment en ses articles 2 et 3, relatifs à la non-discrimination et à l'intérêt supérieur de l'enfant.
En matière de séjour, à côté de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, la circulaire ministérielle du 15 septembre 2005 relative au séjour des mineurs étrangers non accompagnés organise une procédure spécifique au M.E.N.A. visant à trouver une solution durable à tout M.E.N.A. se trouvant sur le territoire et veillant à ce que cette solution soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant et au respect de ses droits fondamentaux.
Le M.E.N.A. est toute personne qui paraît être âgée ou qui déclare être âgée de moins de 18 ans, et qui :
- n'est pas accompagnée par une personne exerçant l'autorité parentale ou la tutelle en vertu de la loi applicable conformément à l'article 35 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé;
- est ressortissante d'un pays non membre de l'Espace Economique Européen (E.E.E.) ;
et qui se trouve dans une des situations suivantes :
- soit, a demandé la reconnaissance de la qualité de réfugié;
- soit, ne satisfait pas aux conditions d'accès au territoire et de séjour déterminées par la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étranger (articles 1 et 5 de la loi-programme du 24 décembre 2002).
Le statut de M.E.N.A. dépend de la réalisation de ces conditions, dont la condition de minorité. La minorité peut être prouvée par toute voie mais en cas de doute, la loi prévoit le recours à un test médical, dans le but d'obtenir une preuve objective.
Le test médical qui a été retenu par le Service de tutelle, et qui est le même que celui pratiqué dans d'autres circonstances par le parquet, est communément appelé le triple test. Il consiste en la réalisation de trois radiographies: orthopantomogramme (image de la dentition), radiographie du poignet et radiographie de la clavicule.
La réalisation des trois examens pose la question éthique de l'utilisation de rayons X à des fins non médicales et plus précisément, à des fins médico-légales. Il pose également la question de l'utilisation de paramètres scientifiques à des fins juridiques.
Le Conseil national émet les considérations suivantes à ce propos.
Les rayons X constituent un rayonnement ionisant qui peut comporter un risque pour la santé. Dans le cas présent, ce risque est minime si les règles de bonne pratique sont respectées.
Une irradiation ne peut être pratiquée qu'avec prudence, surtout lorsque le sujet est jeune. Elle doit être la plus faible et la plus brève possible et être conforme aux directives de radioprotection. Elle ne doit pas être répétée inutilement.
L'interprétation d'une radiographie n'est pas une méthode infaillible pour déterminer l'âge d'une personne.
Cette interprétation requiert une expertise spécifique.
La technique de la détermination de l'âge osseux permet uniquement de déterminer l'âge du squelette ; la concordance avec l'âge civil du sujet est une appréciation diagnostique.
Différents facteurs (ethnique, génétique, endocrinien, socio-économique, nutritionnel, médical...) peuvent influencer la croissance d'un individu.
Les tables de maturation osseuse servant de références sont établies sur base d'une population déterminée, les plus utilisées reposent sur des populations blanches occidentales. Pour que la référence soit pertinente, le sujet auquel elles sont appliquées doit appartenir à la même population.
Les critères dentaires dépendent notamment des origines ethniques, du niveau socio-économique et nutritionnel de l'individu.
En outre, une difficulté réside dans la reproductibilité de l'interprétation des examens entre les différents experts.
L'estimation contient toujours un facteur d'imprécision, et ne peut dès lors aboutir qu'à fournir un intervalle de fiabilité. Le doute doit toujours profiter à la personne qui se déclare mineure.
L'exposition aux rayons ionisants n'est justifiée éthiquement que si elle offre plus d'avantages que d'inconvénients.
Le Service de tutelle doit mettre en balance l'intérêt de la détermination approximative de l'âge avec le risque, même très faible, que sa réalisation nuise à la santé de l'individu.
Le Conseil national considère, pour les raisons exprimées ci-avant, que les autres indices permettant de déterminer l'âge de l'individu ne doivent pas être négligés.
En tout état de cause, le test ne peut être réalisé sans le consentement de la personne, qui doit avoir reçu les informations nécessaires concernant la finalité du test, ses contre-indications et les risques inhérents.
Cette information doit être donnée dans un langage clair et compréhensible, le cas échéant par l'intermédiaire d'un interprète.
Le consentement doit être donné expressément.
L'assistance d'un tuteur ou d'une personne de référence est importante à ce stade de la procédure pour la personne concernée, bien que la loi-programme du 24 décembre 2002 prévoie que la désignation du tuteur intervient lorsque le statut de M.E.N.A. de la personne est établi, sauf extrême urgence.
L'examinateur doit disposer du temps nécessaire et des conditions propices à la réalisation d'un test de qualité.
L'examen doit être réalisé dans le respect de l'individu.
Enfin, le Conseil national ne voit pas d'objection à ce que le résultat du test, c'est-à-dire l'estimation de l‘âge de l'individu, soit transmis directement à l'autorité publique, tout autre élément révélé lors du test étant couvert par le secret professionnel.
cc. CP Brabant (F)
voir avis CN 14 octobre 2023, a170018.