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Déontologie

Stérilisation dans un but contraceptif d’une personne déficiente mentale

Un médecin est confronté à une demande de stérilisation dans un but contraceptif d'une personne déficiente mentale incapable d'exercer seule les droits que lui reconnaît la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins observe une différence de traitement selon les règles du Code civil et celles de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Il estime utile de connaître l'avis de la Commission fédérale droits du patient, dans cette situation particulière.

Avis du Conseil national :

En sa séance du 15 novembre 2014, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné votre courrier du 1er juillet 2014 concernant la stérilisation d'une personne majeure incapable dans un but contraceptif.

1° L'examen de votre question soulève au niveau juridique une interrogation concernant le droit du représentant de demander et de consentir à ce que soit pratiquée une stérilisation chirurgicale sur la personne majeure incapable qu'il représente.

Vous trouverez en annexe à la présente le courrier que le Conseil national adresse à ce propos à Madame la ministre de la Santé publique.

2° Vous interrogez le Conseil national s'il existe une législation ou une protection pour le médecin qui refuse de procéder à une intervention chirurgicale de stérilisation irréversible dès lors qu'il considère qu'une méthode contraceptive réversible est plus indiquée.

Le Conseil national insiste sur le rôle fondamental du médecin quant au respect de la personne vulnérable, de sa santé et de son intégrité. Ce rôle ressort notamment de l'article 15, § 2, de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient qui précise que dans l'intérêt du patient et afin de prévenir (...) toute atteinte grave à sa santé, le praticien professionnel, le cas échéant dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire, déroge à la décision prise par la personne visée aux articles 12, 14, § 2 ou 3 (représentant du patient).

La stérilisation irréversible dans un but contraceptif nécessite un geste chirurgical endoscopique (laparoscopie) ou à foyer ouvert (laparotomie) ; c'est un geste mutilant et une atteinte à l'intégrité physique.

En outre, elle touche au droit fondamental de tout individu de fonder une famille.

Le Conseil national vous renvoie à l'avis du Comité consultatif de bioéthique du 14 septembre 1998 1 pour ce qui concerne les aspects éthiques inhérents à la stérilisation d'un patient majeur incapable, notamment la question de son consentement et de la consultation d'une équipe multidisciplinaire.

Concernant le choix de la méthode contraceptive, il ressort de cet avis que de par son caractère le plus souvent irréversible, la stérilisation d'une personne handicapée, incapable d'y consentir valablement, ne peut se justifier que lorsqu'il est avéré que toute autre méthode anticonceptionnelle est peu fiable, mal tolérée ou nuisible, que la personne est réellement en risque de procréer et qu'il est indiqué de l'en empêcher.

Dans son avis du 15 janvier 1994 2, le Conseil national préconise également que lorsque le handicap mental est tel que le malade qui subirait une stérilisation ne présente pas la possibilité de donner un consentement éclairé malgré une information adéquate et patiente avec l'assistance de personnes habituées à la communication avec des handicapés mentaux, le médecin consulté et l'équipe pluridisciplinaire doivent apporter les éléments justifiant que les moyens réversibles ne peuvent résoudre le problème.

Conformément à l'article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, le patient incapable et son représentant doivent recevoir préalablement à toute intervention une information complète concernant la méthode contraceptive ou de stérilisation proposée, en ce compris sur le plan de la fiabilité, afin d'y consentir.

Le médecin doit proposer l'intervention la plus opportune en fonction des besoins et de l'intérêt du patient, sans céder aux pressions extérieures.

À la demande du médecin consulté, de l'équipe soignante ou des proches, l'avis du comité d'éthique de l'institution hospitalière ou l'assistance d'une cellule d'aide à la décision est sollicité.

Si le patient ou son représentant refusent l'intervention qui est proposée par le médecin, le médecin peut se dégager de sa mission à condition d'avertir le patient et son représentant, d'assurer la continuité des soins, et de fournir toutes les informations utiles au médecin qui lui succède (articles 28 et 29 du Code de déontologie médicale).

Le médecin qui effectue une stérilisation en porte la responsabilité.

Le Conseil national est d'avis qu'un médecin qui suit les recommandations déontologiques et éthiques rappelées ci-dessus se comporte comme un praticien prudent et diligent.


Annexe :
Lettre du Conseil national à Madame Maggie DE BLOCK, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publiqu
e
:

Madame la Ministre,

En sa séance du 15 novembre 2014, le Conseil national de l'Ordre des médecins a examiné la question de la stérilisation dans un but contraceptif d'une personne déficiente mentale qui n'est pas en mesure d'exercer elle-même les droits que lui confère la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

Cette problématique a fait l'objet d'un avis du Conseil national 3, mais aussi d'un avis du Comité consultatif de bioéthique 4, antérieurement à la loi du 22 août 2002 et à la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine.

Ces législations ont profondément modifié le régime de protection du majeur incapable. Dans le cadre du problème soulevé, leur coordination soulève des questions.

1- Depuis la loi du 17 mars 2013 précitée, l'article 497/2 du Code civil prévoit que le consentement à une stérilisation d'une personne majeure qui, en raison de son état de santé, est totalement ou partiellement hors d'état d'assumer, fût-ce temporairement, la gestion de ses intérêts non patrimoniaux n'est pas susceptible de faire l'objet d'une assistance ou d'une représentation par un administrateur.

L'exposé des motifs précise que la stérilisation fait partie d'actes très importants requérant un choix extrêmement personnel de la part de la personne protégée, au sujet desquels personne ne peut prendre de décision à sa place ni a fortiori juger si l'acte envisagé est bien conforme à ses intérêts. Il s'agit d'actes constituant l'expression des sentiments et des souhaits les plus profonds de la personne protégée 5.

La loi ne nuance pas suivant la motivation de la demande de stérilisation.

L'article 499/7 du Code civil énonce en son paragraphe 1er , 2° et 3°, que sans préjudice des dispositions de lois particulières, l'administrateur de la personne doit être spécialement autorisé par le juge de paix pour exercer les droits prévus par la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, conformément à l'article 14, § 2, de la loi précitée.(...) Le juge de paix peut donner l'autorisation visée à l'alinéa 1er, 2°, pour l'exercice de tous les droits liés à un traitement médical déterminé.
Par dérogation à l'alinéa 1er, 2°, l'administrateur compétent pour intervenir en vertu de la loi du 22 août 2002 peut, en cas d'urgence, exercer sans autorisation préalable particulière du juge de paix les droits énumérés dans la loi précitée. (...)

L'article 496/3, alinéa 2, du Code civil précise que le juge de paix choisit de préférence, comme administrateur de la personne, les parents ou l'un des deux parents, le conjoint, le cohabitant légal, la personne vivant maritalement avec la personne à protéger, un membre de la famille proche, (...).

2- Par ailleurs, la loi du 17 mars 2013 a remplacé l'article 14 de la loi du 22 août 2002, modifié depuis lors par l'article 214 de la loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses en matière de Justice :

"Art. 14. § 1er. Les droits d'une personne majeure inscrits dans la présente loi sont exercés par la personne même, pour autant qu'elle soit capable d'exprimer sa volonté pour ce faire.
Ces droits sont cependant exercés par une personne que le patient a préalablement désignée pour se substituer à lui, pour autant et aussi longtemps qu'il n'est pas en mesure d'exercer ses droits lui-même.
La désignation de la personne visée à l'alinéa 2 s'effectue par un mandat écrit spécifique, daté et signé par cette personne ainsi que par le patient, mandat par lequel cette personne marque son consentement. Ce mandat peut être révoqué par le patient ou par le mandataire désigné par lui par un écrit daté et signé.
§ 2. Si le patient n'a pas désigné de mandataire ou si le mandataire désigné par le patient n'intervient pas, les droits établis par la présente loi sont exercés par l'administrateur de la personne, après autorisation du juge de paix, conformément à l'article 499/7, § 1er du Code civil, pour autant et aussi longtemps que la personne protégée n'est pas en mesure d'exercer ses droits elle-même.
§ 3. Si aucun administrateur n'est habilité à représenter le patient en vertu du § 2, les droits établis par la présente loi sont exercés par l'époux cohabitant, le partenaire cohabitant légal ou le partenaire cohabitant de fait.
Si la personne qui peut intervenir en vertu de l'alinéa 1er ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut, les droits sont exercés, en ordre successif, par un enfant majeur, un parent, un frère ou une sœur majeurs du patient.
Si la personne qui peut intervenir en vertu de l'alinéa 2 ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut, c'est le praticien professionnel concerné, le cas échéant dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire, qui veille aux intérêts du patient. Il en va de même en cas de conflit entre deux ou plusieurs personnes pouvant intervenir en vertu du § 2 ou des alinéas 1er et 2.
§ 4. Le patient est associé à l'exercice de ses droits autant qu'il est possible et compte tenu de sa capacité de compréhension.
(...)

3- La lecture combinée de ces dispositions conduit à observer une différence de traitement selon le Code civil et la loi du 22 août 2002.

Si l'administrateur de la personne (protection judiciaire), visé à l'article 494, b, du Code civil, et à l'article 14, § 2, de la loi du 22 août 2002, spécialement autorisé à exercer les droits prévus par cette loi (article 499/7, 2° du Code civil) ne peut consentir à une stérilisation, il ne ressort pas de la loi qu'une telle interdiction soit opposable au mandataire visé à l'article 14, § 1er, alinéa 2, et au représentant légal visé à l'article 14, § 3, de la loi du 22 août 2002.

Cette discordance, dans le pouvoir de représentation de l'administrateur de la personne, du mandataire et du représentant, est interpellante dès lors qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 17 mars 2013 que si le législateur a exclu le consentement à une stérilisation des actes pouvant faire l'objet d'une représentation c'est au motif qu'il fait partie d'actes très importants requérant un choix extrêmement personnel de la part de la personne protégée, au sujet desquels personne ne peut prendre de décision à sa place ni a fortiori juger si l'acte envisagé est bien conforme à ses intérêts.

Il est difficilement compréhensible que le respect dû à l'intégrité de la personne déficiente mentale diverge, dans l'exercice de ses droits en tant que patient, suivant le mode de désignation, judiciaire ou légal, de son représentant ; s'agissant de la personne du représentant, sans être parfaitement superposables, les systèmes judiciaire et légal favorisent la désignation des mêmes personnes au titre de représentant (voir les articles 496/3, alinéa 2, du Code civil et 14, § 3, alinéa 2, de la loi du 22 août 2002).

La distinction observée pourrait également être envisagée sous l'angle du respect du principe d'égalité et de non-discrimination, au sens des articles 10 et 11 de la Constitution, mais cette question n'est pas du ressort du Conseil national.

4- Afin de faire la clarté sur ces questions, le Conseil national estime qu'il serait utile que la Commission fédérale « Droits du patient » émette un avis concernant le droit du mandataire visé à l'article 14, § 1er, alinéa 2, et du représentant légal visé à l'article 14, § 3, de la loi du 22 août 2002 de demander que soit pratiquée sur le majeur incapable qu'il représente une intervention médicale proscrite par la loi du 17 mars 2013 dans le chef de l'administrateur de la personne.

Il serait également utile que cet avis envisage la demande de stérilisation dans un but contraceptif faite par le représentant visé à l'article 12 de la loi du 22 août 2002, d'un patient déficient mental mineur et incapable d'apprécier raisonnablement ses intérêts.

La situation de la demande de stérilisation pour des motifs thérapeutiques devrait être aussi abordée.

Le Conseil national vous prie de bien vouloir transmettre vos observations à la Commission fédérale « Droits du patient » en vue de recueillir son avis.

1.Avis n° 8 du 14 septembre 1998 relatif à la problématique de la stérilisation des handicapés mentaux.
2.Avis du 15 janvier 1994, handicapés mentaux-stérilisation, Bulletin du Conseil national n°64, p. 20.
3.15 janvier 1995, Handicapés mentaux - stérilisation, Bulletin du Conseil national n° 64, p. 20.
4.Avis n° 8 du 14 septembre 1998 relatif à la problématique de la stérilisation des handicapés mentaux.
5. La Chambre, Doc 53 1009/001, pp. 48-49.