Sommaire
1. Le principe de légalité, applicable en droit pénal comme principe général, ne s’applique pas tel quel en matière disciplinaire.
Le juge disciplinaire n’est pas tenu de décrire les faits sanctionnés dans les termes exacts de la loi ou du code de déontologie. Il suffit qu’il les précise suffisamment pour permettre de vérifier si le professionnel poursuivi a, ou non, manqué à l’honneur ou à la dignité de sa profession.
L’action disciplinaire peut donc porter sur des faits ne faisant pas nécessairement l’objet d’une définition légale stricte.
2. L’action disciplinaire vise à examiner si un professionnel, tel qu’un médecin, a enfreint les règles de déontologie ou a manqué à l’honneur ou à la dignité de sa profession. L’action pénale, en revanche, a pour objectif de sanctionner les atteintes à l’ordre public et est exercée dans l’intérêt de l’ensemble de la société.
Les professionnels poursuivis sur le plan disciplinaire et les personnes poursuivies sur le plan pénal ne constituent donc pas des personnes ou des catégories de personnes se trouvant dans une situation juridiquement comparable.
Rétroactes
Le docteur X s’est initialement vu infliger une sanction de suspension par son conseil provincial à l’issue d’une procédure disciplinaire menée en raison de déclarations et prises de positions publiques sur les réseaux sociaux relatives au virus du COVID-19 excédant le cadre déontologique admissible et impactant l’honneur et la dignité de la profession.
La décision du conseil d’appel rendue en juin 2022 a aggravé la sanction, portant la suspension du médecin à une durée de quatre mois.
Le docteur X s’est ensuite pourvu en cassation et l’arrêt de la Cour faisant l’objet de la présente a été rendu en avril 2025.
Décision
(Extraits)
« I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre la décision rendue le 13 juin 2022 par le Conseil d’appel de l’Ordre des Médecins, dont la langue de procédure est le néerlandais. […]
II. Le moyen de cassation
Le demandeur soulève, dans son mémoire annexé au présent arrêt, un moyen.
III. La décision de la Cour
Première branche
Le principe de légalité, applicable en droit pénal comme principe général, ne s’applique pas tel quel en matière disciplinaire.
Le juge disciplinaire n’est pas tenu de décrire les faits sanctionnés dans les termes exacts de la loi ou du code de déontologie. Il suffit qu’il les précise suffisamment pour permettre de vérifier si le professionnel poursuivi a, ou non, manqué à l’honneur ou à la dignité de sa profession.
L’action disciplinaire peut donc porter sur des faits ne faisant pas nécessairement l’objet d’une définition légale stricte.
Dans la mesure où elle repose sur une autre interprétation du droit, la branche manque en droit.
2.
En vertu des articles 6, 2°, et 25 de la loi sur les médecins, les conseils provinciaux et les conseils d’appel veillent au respect de la déontologie médicale et à la préservation de l’honneur, de la discrétion, de l’intégrité et de la dignité des médecins.
Ils peuvent prononcer des sanctions disciplinaires pour :
- des fautes commises dans l’exercice de la profession,
- ou des fautes graves commises en dehors, lorsqu’elles affectent la dignité de la profession (art. 16 et 25).
3.
Les juges d’appel constatent que :
- Les faits déclarés établis dans la décision d’appel portent sur des déclarations et prises de position publiques sur les réseaux sociaux, accessibles à tous, et ne se limitant pas à un débat scientifique entre experts ;
- Le médecin, bien qu’ayant le droit de défendre son opinion, doit le faire avec respect pour les collègues, et sans miner inutilement les mesures soutenues par des experts, surtout en pleine crise sanitaire ;
- Le demandeur a affirmé que le virus COVID n’était qu’un canular, invoquant son autorité de médecin, sans base scientifique, utilisant des arguments sloganesques et subjectifs, et ce de manière dénigrante, en recourant à des insultes ad personam, un langage pamphlétaire et grossier, ainsi que des insinuations infondées et calomnieuses ;
- Ces propos ne relèvent pas d’un débat scientifique où chacun, sur la base d’une argumentation rationnelle, tente de convaincre les autres du bien-fondé de son point de vue ;
- Ce comportement n’est pas compatible avec l’honneur et la dignité attendus d’un médecin, en particulier vu le mépris affiché envers ses pairs ;
- Il est temps que le demandeur prenne conscience qu’il ne peut faire valoir ses opinions en insultant et en ridiculisant ceux qui ne partagent pas son point de vue, et qu’on est en droit d’attendre de lui en tant que médecin, et certainement de quelqu’un qui revendique lui-même un certain niveau scientifique, une certaine dignité dans les discussions, qu’elles soient ou non de nature scientifique, et qu’elles se tiennent ou non sur un forum public, en particulier lorsqu’il s’agit de questions de santé majeures qui touchent l’ensemble de la nation;
- Compte tenu de la gravité des faits, commis dans une période de forte inquiétude générale concernant la santé publique de l’ensemble de la nation, ainsi que de la personnalité du médecin concerné, qui agit de manière irrespectueuse et agressive pour imposer ses opinions, la sanction prononcée en première instance est jugée insuffisante, et une suspension du droit d’exercer la médecine pour une durée de quatre mois lui est infligée pour les faits retenus à sa charge.
4.
Ces motifs permettent à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.
Dans la mesure où elle est fondée sur l’article 149 de la Constitution, la branche ne peut être accueillie.
Deuxième branche
5.
Le demandeur, qui a été sanctionné disciplinairement par une suspension de l’exercice de la médecine pour une durée de quatre mois, invoque une différence de traitement entre :
- un médecin sanctionné sur le plan disciplinaire, à l’égard duquel la décision disciplinaire n’est pas tenue de mentionner les dispositions légales applicables aux faits sanctionnables et aux sanctions disciplinaires ;
- et un médecin condamné pénalement, pour lequel la décision pénale doit, en vertu des articles 163, 176, 195 et 211 du Code d'instruction criminelle, mentionner les dispositions légales applicables aux infractions et aux peines.
Selon le demandeur, aucun critère objectif et raisonnable ne permet de justifier cette distinction.
6.
L’action disciplinaire vise à examiner si un professionnel, tel qu’un médecin, a enfreint les règles de déontologie ou a manqué à l’honneur ou à la dignité de sa profession.
Elle est exercée dans l’intérêt du corps professionnel et peut porter sur des faits qui ne font pas nécessairement l’objet d’une définition précise.
Elle peut donner lieu à des sanctions disciplinaires affectant le professionnel dans l’exercice de sa profession, et ces sanctions sont prononcées par un organe propre à la profession.
L’action pénale, en revanche, a pour objectif de sanctionner les atteintes à l’ordre public et est exercée dans l’intérêt de l’ensemble de la société.
Elle relève de la compétence du juge pénal.
Elle ne peut porter que sur des faits que la loi érige précisément en infractions, et, en cas de condamnation, elle donne lieu à des peines légalement déterminées.
7.
Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la branche, les professionnels poursuivis sur le plan disciplinaire, d’une part, et les personnes poursuivies sur le plan pénal, d’autre part, ne constituent pas des personnes ou des catégories de personnes se trouvant dans une situation juridiquement comparable.
La branche manque en droit.
Troisième branche
8.
Contrairement à ce que soutient la branche, les juges d’appel n’ont pas sanctionné disciplinairement le demandeur pour des manquements aux articles 4, alinéa 2 (le devoir d’agir conformément à l’état actuel des connaissances scientifiques), 5 (le devoir de veiller à la prévention en matière de santé) et 38 (le devoir, pour le médecin qui s’exprime publiquement, de le faire de manière objective et dans le respect des règles déontologiques) du Code de déontologie médicale, mais bien pour des faits établis constituant des manquements à l’honneur ou à la dignité de la profession médicale.
Reposant sur une lecture erronée de la décision attaquée, la branche manque en fait ».
Par ces motifs, la Cour
Rejette le pourvoi en cassation […].