Sommaire
1. Le principe de légalité des infractions et des peines ne s’applique pas en matière disciplinaire, sous les précisions suivantes :
- l’article 6, 2° de l’arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins constitue le fondement légal de la poursuite disciplinaire et précise en quoi consiste le manquement disciplinaire ;
- l’article 1 du Code de déontologie médicale définit la notion de déontologie ;
- l’article 16, alinéas 1 et 2 de l’arrêté royal n° 79 précité énumère de manière limitative les sanctions disciplinaires.
2. Outre le fait que l’action disciplinaire et l’action publique poursuivent des objectifs propres et relèvent de la compétence de juridictions différentes, un principe général de droit ne peut supplanter une norme législative spécifique, telle celle fondant l’action disciplinaire dans le chef du Conseil de l’Ordre.
Rétroactes
En décembre 2023 le Conseil provincial de l’Ordre des médecins de Y prononce une décision infligeant au docteur X la sanction de la suspension du droit d’exercer l’art médical pour une durée de six mois, en suite d’une condamnation pénale pour des faits de revanche pornographique, de faux informatiques, de harcèlement et d’usurpation d’identité.
Le docteur X interjette appel de cette décision en janvier 2024 et est ensuite invité par le Conseil d’appel à se défendre du chef d’un grief précisé et requalifié.
A l’audience en juin 2024 le docteur X plaide l’irrecevabilité des poursuites en ce que le Code de déontologie médicale, en son article 3, viole le principe de légalité des infractions et des peines et que la sanction disciplinaire prononcée sur cette base viole le principe général de droit « non bis in idem » dès lors qu’il a déjà encouru une peine pénale.
Décision
(Extraits)
« Compte tenu de la requalification des faits en degré d’appel, c’est désormais vainement que l’appelant soutient […] que la prévention disciplinaire ne fait référence à aucune disposition légale ou réglementaire.
La présente décision n’est en rien fondée sur l’article 3 du Code déontologie médicale, laquelle concerne d’ailleurs la pratique médicale, alors que les faits de la cause se situent en dehors de celle-ci.
Par ailleurs, le principe de légalité des infractions et des peines n’est pas applicable en matière disciplinaire, sous les précisions suivantes :
- l’article 6, 2° de l’arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins constitue le fondement légal de la poursuite disciplinaire ;
- cette disposition précise, en outre, en quoi consiste le manquement disciplinaire ;
- l’article 1 du Code de déontologie médicale définit la notion de déontologie ;
- l’article 16, alinéas 1 et 2, de l’arrêté royal n° 79 précité énumère de manière limitative les sanctions disciplinaires pouvant être infligées par la juridiction ordinale (conseil provincial ou conseil d’appel).
De surcroît, à la lecture de la requalification du grief comme il est dit ci-dessus, il ne peut être question de faire application du principe « non bis in idem » en la cause.
A l’instar de tout principe général de droit, le principe général de droit « non bis in idem » ne peut, en effet, prévaloir sur une norme législative expresse, comme il en est de l’article 6, 2°, de l’arrêté royal n°79 du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins sur la base duquel le docteur X a été invité à se défendre et s’est effectivement défendu (C.E.8e ch., n°234.241, 24 mars 2016).
Au demeurant, les actions pénales et disciplinaires ont deux finalités bien distinctes.
L’action disciplinaire tend à observer si le titulaire d’une fonction publique ou d’une profession a enfreint les règles de déontologie ou de discipline, ou a porté atteinte à l’honneur ou à la dignité de sa fonction ou de sa profession. Elle est exercée dans l’intérêt d’une profession ou d’un service public et ne relève pas, comme telle, de la matière pénale (C.E.D.H., Tabet c. France, 3 novembre 2005 et C.E.D.H. Durand c. France, 31 janvier 2012).
A contrario, l’action publique a pour but de réprimer les atteintes à l’ordre public et est exercée dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Elle est de la compétence des juridictions pénales.
Lorsque, comme en l’espèce, la procédure se meut dans un contexte exclusivement disciplinaire, dès lors que les actes reprochés à l’appelant tombent sous l’empire de textes appartenant sans conteste au droit disciplinaire, la sanction revêt un caractère purement disciplinaire dont le but est de s’appliquer à un groupe déterminé doté d’un statut particulier, ce qui exclut qu’une telle sentence puisse être considérée comme la condamnation d’une infraction au sens de l’article 6, §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (O.Michiels et A. Berrendorf, Les contours de l’application du principe non bis in idem au disciplinaire, JT 2022, page 57 et, en particulier la jurisprudence de la CEDH citée à la note 46).
Sous l’angle du respect du principe non bis in idem, la Cour européenne des droits de l’homme étant d’avis que les poursuites disciplinaires ne relèvent pas, comme telles, de la matière pénale, c’est vainement que l’appelant, qui a été sanctionné pénalement, soutient que la poursuite disciplinaire violerait l’article 4 du protocole n° 7 (O. Michiels et A. Berrendorf, op. cit. ibidem et, en particulier la jurisprudence de la CEDH, citée à la note 47) ».
Par ces motifs, le Conseil d'appel,
Statuant contradictoirement, en audience publique, et à la majorité des voix des membres présents,
Reçoit l’appel,
Dit le grief établi tel que requalifié,
Et inflige dès lors au docteur X la sanction de la suspension du droit d’exercer l’art médical pendant une durée de six mois.