3.7. Médicaments liés à la problématique de la toxicomanie

23/03/2024

Les médecins ont régulièrement affaire à des patients souffrant de dépendance à certains médicaments. Cette dépendance peut s’accompagner d’un phénomène de « shopping médical » ou d’un comportement agressif du patient à l’égard du médecin.

La problématique de la toxicomanie est particulièrement complexe, en matière de prévention et de traitement, et le médecin a une responsabilité envers le patient et la société.

Selon l’article 21 du Code de déontologie médicale,

  • le médecin doit attirer l’attention du patient sur les conséquences de l’usage inapproprié de médicaments et de l’abus de substances qui peuvent conduire à une assuétude ;
  • le médecin précise les risques liés à l’automédication et à la surconsommation médicamenteuse ;
  • la prise en charge d’une dépendance grave nécessite une approche pluridisciplinaire.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins a émis plusieurs avis sur l’attitude déontologique à adopter lorsque les médecins sont confrontés à un patient souffrant d’un problème de dépendance (liée aux médicaments ou relative à d’autres substances créant une assuétude). Les avis les plus récents et les plus pertinents à ce sujet sont les suivants :

Les réponses aux questions individuelles fréquemment posées dans le cadre du traitement et du suivi d’un patient souffrant d’un problème de dépendance sont développées ci-après.

1. Le médecin a-t-il la possibilité de refuser une prescription de médicaments ?

Le médecin ne peut pas prescrire de médicaments sur simple demande du patient sans que son état ne le justifie médicalement (commentaire de l’article 21 du Code de déontologie médicale).

Le médecin a le droit de refuser une prescription lorsque, après avoir examiné le patient, il estime inopportun de prescrire les médicaments demandés.

Durant la permanence médicale, la prescription de médicaments susceptibles de créer une dépendance est déconseillée d’un point de vue déontologique, sauf en cas de pathologie extrêmement urgente.

Le médecin a également la possibilité de subordonner la prescription à des conditions et/ou d’établir un accord de soins avec le patient. Il peut, par exemple, en tant que médecin détenteur du DMG, convenir avec le patient d’être le seul à prescrire cette médication et l’indiquer dans le dossier médical. Si cette médication était prescrite par un autre médecin en cas d’extrême urgence, le patient donne son consentement au médecin prescripteur de le notifier au médecin détenteur du DMG.

Le médecin et le patient peuvent rédiger un accord de soins sur l’utilisation d’opioïdes en cas de douleurs chroniques : Accord de soins entre médecin-patient sur l’utilisation d’opioïdes en cas de douleurs chroniques. L’Ordre des médecins prépare une extension de cet accord.

2. Quelle attitude déontologique le médecin doit-il adopter si le patient fait du shopping médical ?

En premier lieu, le médecin entame le dialogue avec le patient. Le médecin explique les risques d’un abus de produits et essaye de convaincre le patient de prendre part à un trajet de soins éthique, étayé et pluridisciplinaire. Une bonne communication et le développement d’une relation de confiance avec le patient sont des maillons importants du processus d’aide. Ceci est consigné dans le dossier médical du patient.

Le médecin évite d’agir de façon stigmatisante. La problématique est si complexe que le patient ne peut être tenu responsable de sa dépendance. L’accent doit être mis sur l’aide, pas sur le comportement justifié ou non du patient.

Le médecin a toutefois la possibilité de refuser une prescription de médicaments créant une assuétude. Il a également la possibilité de subordonner la prescription à des conditions. Par exemple, il peut convenir avec le patient de prescrire certains médicaments en tant que seul médecin traitant et enregistrer cet accord dans le Sumehr et/ou le VIDIS (VIDIS : Partager les données sur les médicaments de façon électronique).

En principe, le secret professionnel reste d’application. Les données relatives à la santé du patient (y compris celles sur les problèmes de dépendance) ne peuvent être partagées avec d’autres professionnels des soins de santé que sous réserve des mêmes conditions que celles du secret professionnel : https://ordomedic.be/fr/avis/deontologie/secret-professionnel/les-conditions-de-la-doctrine-du-secret-professionnel-partag%C3%A9.

Certaines exceptions sont possibles :

  • Si le médecin a convenu avec le patient, dans le cadre d’un accord de soins, d’être le seul prescripteur, en cas de violation de l’accord, d’autres médecins prescripteurs et/ou professionnels des soins de santé (psychologues, pharmaciens, etc.) avec lesquels le patient entretient une relation thérapeutique peuvent être informés de l’accord de soins et/ou de la problématique de dépendance. Le patient doit être informé à l’avance de la possibilité de ce partage de données.
  • L’état de nécessité : si le médecin constate que le patient se trouve en grave danger, par exemple en raison d’un risque élevé de surconsommation avec de graves conséquences sur son état de santé, ou si le patient peut représenter un graver danger pour les autres, par exemple en raison de comportements extrêmement agressifs, le médecin peut estimer que l’obligation légale de soins ou le droit de protéger l’intégrité physique d’autrui l’emportent sur le secret professionnel. Dans ce cas, après une évaluation approfondie des deux impératifs, le médecin peut rompre le secret professionnel et demander l’aide d’autres personnes (les membres de la famille ou d’autres professionnels des soins de santé. La police ou le parquet ne seront impliqués qu’en dernier ressort) ;
  • Une concertation entre le médecin prescripteur et le pharmacien qui délivre les médicaments au sujet de la prescription du médecin est toujours possible ;
  • Une concertation entre les cercles de médecins généralistes voisins au sujet du comportement de consommation du patient identifié est possible. Les données personnelles ou de santé autres que le nom et le comportement du patient sont couvertes par le secret professionnel. Aucune liste de noms ne peut être conservée ;
  • Un comportement agressif, des menaces ou du harcèlement de la part du patient vis-à-vis du médecin peuvent être signalés à la police ou au parquet.

3. Que peut faire le médecin face au comportement agressif d’un patient ?

Le médecin cherche en premier lieu à comprendre le comportement du patient. Un comportement agité peut être la conséquence de problèmes liés à la dépendance.

Si le comportement agressif persiste, la relation thérapeutique peut être arrêtée, conformément aux conditions énoncées à l’article 32 du Code de déontologie médicale.

Le patient doit de préférence être informé par écrit de la fin de la relation thérapeutique.

Le médecin doit organiser la continuité des soins et s’assurer qu’il n’a pas affaire à une pathologie extrêmement urgente. Le cas échéant, le médecin ne peut pas refuser de traiter le patient.

Un comportement agressif persistant, des menaces ou du harcèlement du patient vis-à-vis du médecin peuvent être signalés à la police ou au parquet. Le médecin ne mentionne que le nom et les faits commis, mais ne divulgue pas les informations relatives à la santé du patient.

Le Conseil national recommande de signaler l’agression via le formulaire d’agression de l’Ordre des médecins : Ordomedic | Formulaire d’agression.

4. Le médecin peut-il se concerter avec d’autres médecins traitants et/ou professionnels des soins de santé sur les problèmes de dépendance d’un patient ?

Le médecin est tenu au secret professionnel. Les données relatives à la santé du patient (y compris les données sur les problèmes de dépendance) ne peuvent être partagées avec d’autres médecins traitants/professionnels des soins de santé que sous réserve des mêmes conditions que celles du secret professionnel : https://ordomedic.be/fr/avis/deontologie/secret-professionnel/les-conditions-de-la-doctrine-du-secret-professionnel-partag%C3%A9.

L’application du secret professionnel partagé entre professionnels des soins de santé est soumis aux conditions suivantes :

  • Le partage des données ne peut être réalisé qu’entre professionnels des soins de santé ou autres prestataires de soins tenus au secret professionnel ;
  • Les professionnels des soins de santé exercent dans un même contexte de soins et visent la même finalité ;
  • Les professionnels des soins de santé agissent dans l’intérêt du patient ;
  • Le partage des données se limite aux informations nécessaires au déroulement efficace et effectif de la mission des deux professionnels de la santé ;
  • Le patient est informé de quelles données sont partagées, avec qui et pour quelle finalité ;
  • Le patient ne s’oppose pas au partage des données.

Si le médecin estime que l’opposition du patient de partager ses données avec un (ou plusieurs) professionnel(s) des soins de santé présente un danger grave et aigu pour l’intégrité du patient ou d’un tiers, l’information peut être partagée sur base de l’état de nécessité. Un grave problème de dépendance ou d'abus de la part d'un patient peut justifier le partage d'informations sur la santé avec d'autres professionnels de la santé, même si le patient s’y oppose. Le médecin apprécie s’il s’agit d’un cas d’urgence au cas par cas.

5. Le médecin peut-il être tenu pour responsable en cas de surconsommation ou d'autres incidents médicaux liés à la prise de médicaments par le patient ?

Le médecin est conscient de sa responsabilité en cas de prescription de médicaments. Il est inadmissible d'entretenir la toxicomanie d’un patient sans faire les efforts nécessaires pour aider le patient à se débarrasser de sa dépendance.

La responsabilité pénale et civile à la suite d’un incident est une question de fait et doit appréciée au cas par cas. L’Ordre des médecins n’est pas compétent en la matière.

Sur le plan disciplinaire, le conseil provincial compétent de l’Ordre des médecins peut prendre les mesures appropriées à l’encontre du médecin qui n’agit pas dans le respect de la déontologie.

6. Comment le médecin doit-il agir si les médicaments prescrits sont susceptibles d’affecter l’aptitude à la conduite du patient ?

Veuillez consulter le FAQ 2.1. qui traite de l’inaptitude à la conduite d’un véhicule.

7. Plus d’informations

Pour plus d’informations, veuillez consulter les avis suivants du Conseil national de l’Ordre des médecins :